Intervention de Alain Houpert

Réunion du 18 octobre 2011 à 22h15
Plan d'aménagement et de développement durable de corse — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Alain HoupertAlain Houpert, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

La Corse a grandement contribué à l’histoire de notre pays. Comment ne pas évoquer Napoléon Bonaparte, dont l’héritage est encore vivant ici même, au Palais du Luxembourg ? De beaux esprits, comme Jean-Jacques Rousseau, ont exprimé l’intérêt et la solidarité du continent pour l’île. C’est donc sur le fond d’un héritage historique et culturel commun que nous engageons aujourd’hui l’examen du projet de loi relatif au PADDUC.

Belle, la Corse n’en est pas moins complexe. La République doit aujourd’hui l’aider à aller de l’avant tout en surmontant les tensions qui la traversent, à envisager son développement économique tout en préservant ses espaces naturels remarquables.

Tel est bien le sens de ce texte, qui a pour objectif de répondre à une situation de blocage politique et de vide juridique.

En effet, depuis le vote de la loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse, la collectivité territoriale de Corse a compétence pour élaborer un PADDUC, document-cadre d’aménagement et de planification spatiale du territoire qui est assimilable à une directive territoriale d’aménagement et de développement durable, ou DTADD. La différence principale réside dans le fait que, alors qu’une DTADD est élaborée par les services des ministères compétents et arrêtée par un décret en Conseil d’État, le PADDUC est, lui, élaboré et approuvé par la collectivité territoriale de Corse.

Toutefois, le conseil exécutif ne parvint pas à trouver de majorité au sein de l’Assemblée de Corse pour approuver le projet de PADDUC qu’il avait élaboré au cours des années suivant le vote de la loi de 2002. En conséquence, il dut le retirer de l’examen en séance, le 15 juin 2009.

Le projet de loi prévoit donc des modifications de la procédure d’élaboration du PADDUC, qui devraient rendre plus facile la recherche d’un consensus. Il tend également à intégrer dans ce document-cadre les apports du Grenelle de l’environnement et à en préciser la portée juridique.

Pour éclairer les enjeux de ce texte, j’ai souhaité effectuer un déplacement de trois jours dans l’île, au cours duquel j’ai rencontré des représentants de tous les groupes politiques de l’Assemblée de Corse, le président de celle-ci, des élus locaux, des représentants des services de l’État, des représentants des associations protectrices de l’environnement, le président du Conseil économique, social et culturel de Corse, ainsi que les présidents des chambres d’agriculture et des chambres de commerce et d’industrie. J’ai aussi eu des entretiens avec la quasi-totalité des élus nationaux représentant la Corse au Parlement, notamment avec le président de la collectivité territoriale, qui est également député, M. Paul Giacobbi.

Ces contacts multiples m’ont permis de bien saisir les besoins du développement économique de la Corse, mais aussi de prendre conscience des difficultés particulières de l’aménagement dans cette belle île.

En ce qui concerne les caractéristiques de l’économie corse, ce qui frappe d’abord, c’est une croissance démographique marquée. Depuis les années soixante-dix, l’île ne se dépeuple plus, mais gagne au contraire des habitants à un rythme plus rapide que l’ensemble de la France, avec une progression annuelle de 1, 8 % entre 1975 et 1999, contre seulement 0, 7 % à l’échelon national. Alors que la Corse compte aujourd’hui 294 000 habitants, la prolongation théorique de la tendance actuelle aboutirait à une population de 400 000 habitants en 2030. Ce dynamisme démographique s’explique plus par les apports extérieurs à l’île, venant soit de France continentale, soit de l’étranger, que par la croissance naturelle. Au total, c’est un flux de l’ordre de 3 000 personnes, qu’il faut bien loger, qui vient grossir chaque année la population de la Corse.

Sur le plan macroéconomique, cette base démographique explique en partie les bonnes performances de l’économie corse, qui a amorcé son rattrapage par rapport au continent. La croissance est tirée par le tourisme et par le secteur de la construction, et les performances de l’économie insulaire sont, sur la période récente, supérieures à la moyenne nationale. Entre 1996 et 2006, le produit intérieur brut de la Corse a augmenté au rythme de 3 % par an, alors que celui de l’ensemble de la France métropolitaine ne progressait, sur la même période, que de 2, 3 % par an. Jusqu’en 2008, le taux de chômage a reculé, pour passer au-dessous du niveau national.

La croissance démographique et la bonne tenue de l’économie corse, ajoutées à une forte demande de résidences secondaires, expliquent que le marché immobilier de l’île ait connu une hausse constante au cours de la dernière décennie. On peut même parler de « bulle » immobilière, laquelle se traduit par une forte pression sur le marché du foncier et provoque également des tensions sur le marché du logement. Les résidents de l’île trouvent de plus en plus difficilement à se loger, y compris en location. En effet, la priorité des investisseurs va au logement locatif saisonnier, et non au logement locatif annuel. Les résidences secondaires représentent en Corse 35 % du parc de logements, contre 10 % en moyenne nationale. Le taux de logements sociaux n’est en Corse que de 10 % des résidences permanentes, contre 17 % en moyenne nationale.

Une démographie dynamique, une croissance économique plus forte qu’ailleurs et des besoins de logement non satisfaits expliquent que l’île ait de réels besoins en termes d’aménagements. Toutefois, l’aménagement présente en Corse des difficultés particulières, que nous devons avoir bien à l’esprit en examinant ce projet de loi.

Premièrement, la Corse est une « montagne dans la mer », avec près de 1 000 kilomètres de côtes, plus de 200 sommets de plus de 2 000 mètres d’altitude et une altitude moyenne de 568 mètres. Cette donnée naturelle constitue une contrainte pour l’aménagement de l’île : en dehors de la plaine orientale, les espaces plats sont rares, ce qui accentue inévitablement les conflits d’usage entre agriculture et développement urbain.

Deuxièmement, l’urbanisation en Corse est peu dense. La moitié de la population est concentrée dans les agglomérations d’Ajaccio et de Bastia, le reste résidant dans de petites villes, de gros bourgs et des villages. Cette faible urbanisation explique que les espaces artificialisés ne représentent qu’un peu plus de 3 % du territoire corse, contre environ 9 % en France continentale. Par ailleurs, même là où existe une urbanisation, celle-ci prend souvent des formes extensives. Certaines communes comportent non pas une agglomération bien identifiée, mais un ensemble de hameaux éparpillés sur leur territoire. Cet urbanisme traditionnellement diffus peut rendre très délicate l’application de la notion d’urbanisation en continuité avec les agglomérations existantes, qui vise à éviter le « mitage » du territoire.

Troisièmement, les espaces forestiers et les milieux semi-naturels représentent environ 85 % du territoire de l’île, dont une partie considérable fait l’objet d’une protection. Un parc naturel couvre la chaîne montagneuse centrale, les réserves naturelles marines sont au nombre de six, et les sites classés ou inscrits encore bien plus nombreux. Le Conservatoire du littoral a acquis 23 % du linéaire côtier de l’île, contre 11 % seulement sur le plan national.

Cette géographie particulière explique qu’un quart des communes corses soient soumises à la loi Littoral et la plupart d’entre elles à la loi Montagne, 20 % du total des communes étant concernées par ces deux textes à la fois.

Enfin, la planification de l’aménagement est pénalisée, en Corse, par les lacunes des documents locaux d’urbanisme.

D’une part, ceux-ci sont relativement rares : sur un total de 360 communes, 129 seulement, soit 35, 8 % de l’ensemble, disposent d’un plan local d’urbanisme, d’un plan d’occupation des sols ou d’une carte communale.

D’autre part, lorsqu’ils existent, ces documents d’urbanisme souffrent d’une grande fragilité juridique. Dans la période récente, une série de jugements successifs du tribunal administratif de Bastia ont annulé, sur le fondement de la loi Littoral, les plans d’occupation des sols de plusieurs communes, dont ceux de Sartène et de Porto-Vecchio. Chaque fois, le juge administratif a relevé des extensions d’urbanisation qui n’étaient pas en continuité avec les agglomérations et villages existants, la difficulté étant de savoir si l’existant peut, ou non, être considéré comme urbanisé. La réponse n’est pas évidente lorsqu’il s’agit d’habitat diffus. À la suite de l’annulation de leur plan local d’urbanisme, les communes se retrouvent soumises au règlement national d’urbanisme, encore plus restrictif que la loi Littoral.

En bref, l’aménagement répond en Corse à de vrais besoins, mais se trouve soumis à de fortes contraintes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, examinons maintenant les dispositions du projet de loi.

Comme je vous l’ai indiqué, ce texte est une réponse à l’échec du précédent PADDUC, retiré en séance le 15 juin 2009. Il était devenu nécessaire de revoir le cadre législatif d’élaboration du PADDUC avant de remettre celui-ci en chantier.

Conformément au statut, l’Assemblée de Corse a été consultée sur un avant-projet de loi le 8 novembre 2010. En réponse, elle a adopté à l’unanimité, le 17 décembre 2010, une délibération demandant des modifications de ce texte sur plusieurs points. L’ensemble de ces demandes ont été prises en compte par le Gouvernement et intégrées au projet de loi tel qu’issu de son examen par le Conseil d’État. L’Assemblée de Corse a été entendue, notamment lorsqu’elle a sollicité l’adjonction au PADDUC d’une cartographie dont elle pourra déterminer l’échelle, ainsi que l’opposabilité du PADDUC aux tiers dans le cadre des procédures d’autorisation d’urbanisme. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces deux points lors de l’examen des amendements présentés par notre collègue Nicolas Alfonsi.

Je tiens à souligner l’importance politique du vote unanime de l’Assemblée de Corse sur l’avant-projet de loi, qui augure favorablement de la possibilité de parvenir à un consensus, ou au moins à une majorité, sur l’adoption du prochain PADDUC.

Le projet de loi apporte des améliorations dans trois domaines.

Premièrement, il intègre les apports du Grenelle de l’environnement en prévoyant, à l’article 1er, que le PADDUC devra être compatible avec les plans de gestion des risques d’inondation, et, à l’article 3, qu’il vaudra schéma régional de cohérence écologique.

Deuxièmement, il consolide la valeur juridique du PADDUC. L’article 1er précise l’insertion de ce dernier dans la hiérarchie des documents locaux d’urbanisme, qui seront dans une relation de compatibilité par rapport à lui. Par ailleurs, les orientations fixées par le PADDUC seront assorties d’une cartographie adaptée. L’article 1er prévoit une carte générale au 1/100 000e, qui pourra être précisée par des cartes à plus petite échelle pour certaines zones prévues aux articles 3 et 4.

Troisièmement, l’article 5 améliore la procédure d’adoption et de modification du PADDUC, de manière à rendre plus facile la constitution d’une majorité pour l’approuver. Ainsi, un débat d’orientation préalable au sein de l’Assemblée de Corse permettra au conseil exécutif d’être éclairé sur les attentes de celle-ci avant de commencer le travail d’élaboration du projet de PADDUC. La liste des organismes associés à cette élaboration est complétée et les avis obligatoires devront être rendus dans des délais stricts. Notre collègue Thierry Repentin nous propose des amendements tendant à préciser encore davantage cette liste des organismes associés ou consultés.

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