Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est bien naturel qu’un tel texte soit examiné en premier lieu par la Haute Assemblée, car il revient d’abord aux sénateurs de concilier lois de la République et spécificités des territoires.
La Corse nous invite souvent à ce délicat exercice, à ce passionnant débat, elle dont l’histoire, la culture, l’exceptionnelle beauté des paysages ont, au long des siècles, forgé une identité forte et singulière.
Ce débat se poursuit aujourd’hui au travers de l’examen d’un texte important pour l’avenir de l’un des territoires de la République, la Corse, qui doit permettre à celle-ci de lever les blocages de toutes sortes qui minent depuis trop longtemps son développement.
Ce projet de loi a trait à l’élaboration du futur plan d’aménagement et de développement durable de la Corse, le PADDUC. Mesurons bien le fait, mes chers collègues, qu’il s’agit d’un document-cadre d’aménagement et de planification spatiale du territoire sans équivalent dans aucune autre région de France métropolitaine. Il a valeur de directive territoriale d’aménagement et de développement durable, de schéma de mise en valeur de la mer, de schéma régional d’aménagement du territoire et de schéma régional du territoire. Croyez-le bien, monsieur le ministre, les élus locaux que nous sommes aussi mesurent bien l’originalité et l’importance d’un tel document.
Dans cette perspective, permettez-moi, mes chers collègues, de regretter, au nom du groupe socialiste et apparentés, que nous n’ayons pas pu disposer de davantage de temps pour approfondir le sujet et examiner plus en détail un texte qui fera de la Corse la région de France métropolitaine la plus décentralisée.
Ce texte constitue une marque de confiance à l’égard des élus insulaires : cela est devenu si rare ces dernières années, monsieur le ministre, que je m’empresse de le souligner.
Les conditions d’élaboration du PADDUC méritent donc une attention toute particulière de la part de la représentation nationale.
Au cours des cinq ans qui ont suivi le vote de la loi, le conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse a tenté, en vain, de trouver une majorité au sein de l’Assemblée de Corse pour approuver le projet de PADDUC. Il a dû retirer le texte de l’ordre du jour des travaux de celle-ci, le 15 juin 2009.
Il y a des raisons de fond à cet échec ; M. le rapporteur, que je salue, les a rappelées à juste titre en commission.
Le projet, selon ses détracteurs, avait le tort d’orienter le développement de la Corse vers une économie presque exclusivement tournée vers le tourisme et, surtout, d’ouvrir trop largement le littoral et les terres agricoles à l’urbanisation, avec évidemment pour conséquence une demande d’assouplissement des conditions d’application des lois Littoral et Montagne.
C’est particulièrement ce point qui a suscité la polémique. Il faut aborder cette question, essentielle pour la Corse : elle sera, à n’en pas douter, le fil rouge de nos discussions sur ce projet de loi.
En tant qu’élu des Alpes-Maritimes, cette problématique m’est familière. Dans mon département aussi, les montagnes entrent dans la mer, ce qui a une forte incidence sur les possibilités d’aménagement. Notre département a d’ailleurs fait l’objet de la première directive territoriale d’aménagement appliquée sur le territoire national, et certaines de ses communes relèvent elles aussi à la fois de la loi Montagne et de la loi Littoral.
Quelle est la situation en Corse ?
L’évolution démographique de l’île, sa croissance économique et ses besoins insatisfaits en matière de logement induisent de réelles et profondes attentes en termes d’aménagement, lequel pose des difficultés tout à fait particulières.
La Corse est, en effet, il est banal de le dire, une « montagne dans la mer ». En dehors de la plaine orientale, rares sont les espaces facilement urbanisables ou pouvant accueillir des activités agricoles à caractère maraîcher.
Que l’on me permette de revenir sur quelques données essentielles rappelées par M. le rapporteur.
L’urbanisation est peu dense et prend souvent des formes extensives. Bon nombre de communes ne comportent pas d’agglomération bien identifiée, mais se composent d’un ensemble de hameaux éparpillés sur leur territoire. Cette situation, qui rend les choses très complexes, renvoie à la notion d’urbanisation en continuité avec les agglomérations existantes, à laquelle la loi Littoral fait référence.
Enfin, les espaces forestiers et les milieux semi-naturels représentent plus de 80 % du territoire de l’île, dont la majeure partie fait l’objet d’une protection. Le Conservatoire du littoral – je parle sous le contrôle de son premier vice-président – a acquis 23 % du linéaire côtier de l’île, alors que cette proportion ne s’élève qu’à 11 % sur le plan national. Pour bien fixer les enjeux, je soulignerai que le littoral de la Corse est aussi long que celui qui s’étend de Menton jusqu’à Collioure !
Sur un total de 360 communes, un tiers à peine disposent d’un plan local d’urbanisme, d’un plan d’occupation des sols ou d’une carte communale. Par ailleurs, il n’existe, à ma connaissance, aucun schéma de cohérence territoriale en Corse.
Je voudrais enfin insister sur un élément qui ne vaut pas pour d’autres régions et dont l’importance a souvent été sous-estimée : les lois Littoral et Montagne, au demeurant excellentes et dont il est heureux qu’elles aient été adoptées, sont antérieures au développement démographique de la Corse.
Le décor ayant ainsi été planté au travers de ces quelques constats, il faut donc sécuriser juridiquement le dispositif pour concilier efficacement développement et protection durable d’un territoire exceptionnel. Tel est bien l’enjeu de notre débat, tel est aussi le défi que doivent relever les Corses eux-mêmes.
Face à la complexité et à la multiplicité des enjeux, en Corse comme ailleurs, rien ne pourra se faire sans l’adhésion et l’engagement des élus et des populations concernés.
Rien n’a été facile. Une mandature de la collectivité territoriale de Corse s’est écoulée, à partir de 2002, sans qu’un consensus, ou au moins une majorité, ne se soit dégagé sur ce sujet. Il était donc urgent d’avancer.
Je veux saluer, à cet instant, le travail effectué par la nouvelle majorité…