Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, les continentaux qui ont la chance de découvrir la Corse éprouvent souvent un double sentiment : d’émerveillement, bien entendu, devant la beauté de ces paysages préservés, dont ils ne se lassent pas, mais aussi, presque au même degré, d’étonnement.
En effet, pour tous ceux qui connaissent les rivages bétonnés de la Méditerranée, de l’Espagne à l’Italie, découvrir des paysages aussi peu urbanisés est souvent source d’interrogations. Comment la Corse a-t-elle pu résister ainsi à l’appétit des promoteurs et aux tentations touristiques, dans une Méditerranée où un certain tourisme de masse à courte vue a pris possession de tant de rivages et de sites magnifiques ?
C’est une histoire bien complexe qui a conduit à cette situation. Je ne la détaillerai pas ici, car nous n’en n’avons pas le temps, mais elle nous a légué un patrimoine unique, que notre première responsabilité est de préserver.
L’important aujourd'hui est de nous concentrer sur l’enjeu qui se dessine : conserver sur l’Île de Beauté un équilibre entre tourisme de découverte et préservation des paysages et des cultures, assurer à la Corse un revenu touristique régulier et important tout en préservant ses attraits et ses équilibres démographiques, montrer la voie d’un tourisme soutenable et, finalement, chercher ainsi à établir un véritable « modèle corse », qui pourrait s’appliquer en d’autres lieux, en Méditerranée ou ailleurs.
La nouvelle démarche d’élaboration d’un PADDUC qui nous est proposée aujourd’hui peut répondre à ces défis. Telle est notre conviction.
Un premier projet de PADDUC, défendu par une autre majorité à l’Assemblée de Corse, a été fortement contesté par nombre d’élus et de représentants de la société civile pour sa conception centrée sur le tourisme, sacrifiant littoral et terres agricoles.
En effet, l’application de ce plan aurait supprimé 10 % des espaces naturels remarquables du littoral, soit 7 000 hectares. Les Corses ne pouvaient laisser faire cela, et ce projet a amené la constitution d’un véritable front anti-PADDUC, réunissant plusieurs dizaines d’associations, de syndicats et d’organisations politiques et culturelles appelant, au travers d’une pétition largement diffusée, à s’unir contre un modèle qui « mis[ait] sur un tourisme massif, un déséquilibre démographique et une bétonisation des côtes. […] Dans ce type de société, la démocratie régresse, le pouvoir des clans s’intensifie, les grandes multinationales et l’argent douteux gèrent l’économie et le politique. » Voilà qui était clairement énoncé !
L’adoption du présent projet de loi, alternatif à ce premier PADDUC, est donc extrêmement attendue en Corse. Arriver à un consensus sur un sujet aussi sensible que celui-ci n’était pas évident. Pourtant, l’Assemblée de Corse a adopté à l’unanimité le cadre juridique qui permettra aux habitants de l’île d’élaborer ce plan essentiel pour leur avenir. Nous nous félicitons donc de cette volonté politique, soutenue par un processus démocratique. Nous avons la conviction que notre responsabilité aujourd’hui est de prolonger cette volonté et d’aller vite, pour que la Corse puisse, enfin, assumer son rôle dans l’élaboration de son propre plan de développement.
Nombre de communes de l’île n’étant régies par aucun document d’urbanisme local, comme M. le rapporteur l’a souligné tout à l'heure, nous savons que ce cadre juridique a jusque-là cruellement fait défaut aux Corses, ce qui a conduit à des situations de grande tension et, parfois, à un non-respect pur et simple de la loi.
L’un des grands enjeux de ce prochain PADDUC sera effectivement de ne plus laisser les élus locaux seuls face aux décisions d’urbanisme, seuls face à ces appétits immobiliers parfois capables de toutes les intimidations, comme l’ont montré, malheureusement, cet été encore, plusieurs faits divers, seuls aussi face à un État qui n’agit pas toujours pour faire respecter la loi.
Cette incapacité de l’État à faire respecter le droit est l’un des graves problèmes qui se posent aujourd’hui sur l’île.