Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous donner lecture de la déclaration de M. le Premier ministre.
« Les crises ne sont pas nouvelles en Europe. Elles ont rythmé la vie des institutions européennes depuis leur création.
« C'est naturel : un projet politique de cette envergure ne peut grandir qu'en franchissant une à une des étapes difficiles. Le succès est à ce prix : la mise en place de la monnaie unique ou notre capacité à garantir la paix dans les Balkans en sont deux témoignages exemplaires.
« L'Europe n'est jamais donnée : c'est le fruit d'un compromis entre des Etats liés par l'histoire et par la volonté, mais qui ne partagent pas toujours les mêmes intérêts ni la même vision. L'Europe ne se réinvente pas chaque jour : elle se construit sur la base d'accords et de traités qui engagent chacun de ses Etats membres. Elle est un destin négocié et voulu.
« Au cours des dernières années, nous avons voulu franchir trois étapes : l'étape de l'élargissement, l'étape de la réforme des institutions et l'étape des valeurs de l'Europe.
« Au regard des bouleversements historiques qu'a connus le continent européen depuis la chute du mur de Berlin, l'ambition était légitime. Au début des années quatre-vingt-dix, les peuples décidaient de leur destin. Ils affirmaient leur volonté de vivre ensemble dans un continent unifié, démocratique et en paix. II était de notre devoir de répondre à leurs attentes en repoussant les frontières vers l'Est.
« Cette réalité exigeait de doter l'Union européenne de nouvelles règles de fonctionnement : à vingt-cinq, nous ne pouvions continuer à travailler sur la base des mêmes textes. Nous avions besoin de dégager plus facilement des majorités et de prévoir des dispositifs appropriés pour permettre aux Etats qui l'auraient souhaité d'aller plus loin.
« Enfin, chacun mesurait que le nouvel ensemble européen devait entrer dans l'âge politique en définissant un corps de valeurs cohérent : la Charte des droits fondamentaux.
« Toutes ces étapes ont trouvé leur aboutissement dans le projet de traité constitutionnel soumis le 29 mai dernier à référendum. Ce projet a été rejeté : c'est le choix souverain des Françaises et des Français. Il doit nous conduire à répondre rapidement à leurs interrogations, en veillant à préserver l'unité européenne.
« Le Conseil européen est le premier rendez-vous. Deux questions sont à l'ordre du jour : les perspectives financières et l'avenir du processus de ratification du traité. Sur chacun de ces sujets, je voudrais vous faire part de la position qui sera défendue par la France.
« Aux difficultés politiques, nous ne devons pas ajouter une crise financière. Nous soutenons donc tous les efforts de la présidence luxembourgeoise en vue d'un accord sur les perspectives financières lors du Conseil européen tout en estimant que pour parvenir à un accord raisonnable et équitable, chacun doit faire une part du chemin.
« Dans cette négociation, comme l'a rappelé le Président de la République, nous défendons quatre principes.
« Premier principe : le respect de la discipline budgétaire, qui s'impose à tous.
« Deuxième principe : la solidarité, qui doit permettre de financer la modernisation et le décollage économique des nouveaux membres dans l'intérêt de chacun.
« Troisième principe : le respect des engagements. En octobre 2002, nous avons adopté une décision qui garantit le financement de la PAC jusqu'en 2013. C'est un acquis majeur pour nos agriculteurs, sur lequel personne ne saurait revenir.
« Quatrième principe : l'équité. Chacun doit contribuer à l'effort européen à hauteur de ses moyens. Le Royaume-Uni, notamment, doit prendre toute sa part au financement de l'Europe élargie.
« Sur la base de ces principes, je souhaite que nous parvenions à un accord satisfaisant pour tous.
« La deuxième question qui sera abordée à partir de demain à Bruxelles est l'avenir du projet de traité.
« Douze pays se sont déjà prononcés, dont trois par référendum. L'Espagne a largement dit oui, la France et les Pays-Bas ont dit non. Treize pays doivent encore rendre leur décision, dont certains ont déjà annoncé le report ou la suspension de leur procédure.
« Partant de ce constat, le premier choix porte sur la procédure à suivre : faut-il interrompre le processus de ratification ou le poursuivre ? La France s'est déjà prononcée. Il appartient désormais à chaque Etat de s'exprimer à son tour suivant les modalités qu'il aura choisies. C'est le respect de la démocratie. C'est aussi le signe le plus clair de notre volonté de préserver l'unité européenne et l'expression de chacun.
« Au-delà du Conseil européen, des questions importantes se posent auxquelles nous ne pouvons pas aujourd'hui apporter toutes les réponses. Devant la représentation nationale, je ne veux cependant rien éluder des difficultés et des choix qui se présenteront à nous dans un avenir proche. Nous Français, qui avons répondu non au projet de texte, nous portons une exigence particulière de vérité et de lucidité. Aujourd'hui, j'ouvre le débat avec vous.
« La première question est celle des institutions.
« A vingt-cinq, nous devons inventer de nouvelles règles de fonctionnement. En rester au compromis de Nice ne peut pas être une solution durable. Très vite nous nous heurterons à des difficultés majeures dans la prise de décision et dans la définition des grandes orientations de l'Union. J'ajoute que ce n'est pas l'intérêt de notre pays.
« Un travail considérable a été accompli sur ce sujet au cours de ces dernières années. Il doit contribuer à éclairer notre réflexion.
« La deuxième question est celle du modèle économique et social européen.
« La Charte des droits fondamentaux fixe un certain nombre de principes essentiels auxquels la France est particulièrement attachée : je pense à la défense des services publics, au respect de l'égalité hommes-femmes, à la reconnaissance de la diversité culturelle ou au rejet de toute forme de discrimination. Mais les Françaises et les Français n'y ont pas trouvé les réponses suffisantes à leurs interrogations sur le modèle de développement économique et social que nous leur proposons. L'Europe est-elle d'inspiration purement libérale, comme certains le craignent ? Doit-elle renforcer sa dimension sociale ? En France comme en Europe, je crois que la vérité est plutôt dans le dépassement de ce clivage, dans la fidélité à un héritage universaliste et humaniste. L'exigence d'initiative n'est pas contradictoire avec le besoin de solidarité. Elle est même complémentaire.
« L'insatisfaction qui s'est exprimée dans le non européen ne porte donc pas la marque d'une résignation. Elle exprime au contraire une certaine ambition européenne. Pour y répondre, il faudra rapidement avancer des propositions concrètes. Nous le ferons en étroite concertation avec nos partenaires, en particulier avec l'Allemagne car nos deux pays doivent continuer à coopérer étroitement au service du projet européen
« Renforcer la politique sociale, c'est un premier défi à la hauteur des enjeux. La mise en oeuvre sans délai de la clause sociale horizontale sera un moyen d'affirmer notre volonté d'avancer dans cette voie : aucun texte ne pourra être adopté sans que ses incidences dans le domaine social aient été évaluées et publiquement présentées.
« Coordonner les politiques budgétaires et économiques au sein de l'Eurogroupe, c'est un autre défi majeur : nous devons être plus forts, plus confiants dans nos capacités à fixer de grandes orientations économiques pour notre continent.
« Revenir à la préférence européenne, ...