Intervention de Denis Badré

Réunion du 15 juin 2005 à 15h00
Conseil européen — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Denis BadréDenis Badré :

Il faut la charrue, mais il faut aussi l'étoile, les dispositions concrètes, mais aussi l'inspiration.

Nous attendons du Conseil qu'il adopte rapidement un calendrier d'approfondissement des institutions. Ne reportons pas aux calendes grecques ce qui est indispensable pour que l'Europe vive à vingt-cinq. A défaut d'une belle Constitution cohérente et complète, de plus petits traités à objet limité seraient au moins nécessaires pour offrir à l'Union certaines dispositions, par exemple celles qui figurent dans la partie I de la Constitution, je pense en particulier au président du Conseil ou aux conditions de désignation des membres et du président de la Commission, Commission dont il faut impérativement restaurer le rôle de « porteur de l'intérêt commun ».

Nous souffrons aujourd'hui d'un manque de revitalisation de l'intérêt commun ; il a disparu et il faut le restaurer.

Engager une telle démarche est nécessaire pour que ne se découragent pas ceux qui croient vraiment que l'Europe est notre destin, ceux qui ont compris que bien souvent la solution à nos problèmes est dans plus d'Europe.

Deux sujets font la une de l'actualité : la politique agricole commune et le chèque britannique, de manière assez désastreuse à mon sens. Le fait que deux grands Etats de l'Union se les opposent accrédite l'idée selon laquelle l'Europe serait d'abord un grand marchandage, un lieu où l'on tente de régler des conflits d'intérêts nationaux.

Derrière ce premier affrontement, c'est tout le débat sur les « retours nets » qui est rouvert. Où est l'intérêt commun dans le « J'en veux pour mon argent » ?

La paix, la libre circulation des personnes, le développement des échanges économiques ne sont pas des produits chiffrables et localisables dans tel ou tel Etat de l'Union. Il s'agit bien des fruits d'un intérêt commun. N'oublions jamais que cet intérêt commun parce qu'il est commun est bien aussi l'intérêt de chacun. Lorsque l'on perd de vue l'intérêt commun, l'Europe s'échoue, et ce sont les Etats qui souffrent.

La Convention a précisément été mise en place pour favoriser l'expression de l'intérêt commun mieux qu'au sein de la conférence intergouvernementale. Tentons de vivre la crise actuelle comme une opportunité nous appelant à retrouver le sens et l'importance de l'intérêt commun.

En ce qui concerne la PAC, rester sur l'accord de 2002 est à l'évidence justifié du point de vue de l'intérêt national. Pour l'instant c'est nécessaire, mais veillons, monsieur le Premier ministre, à ne pas payer très cher par d'autres concessions cette situation dans laquelle nous choisissons de nous installer.

Veillons à ne pas le payer cher non plus en nous interdisant de reprendre une réflexion de fond sur la PAC. Mettre des rustines sur une PAC à bout de souffle n'a plus grand sens. Plus personne d'ailleurs ne s'y retrouve. Rappelons que la PAC n'a pas été faite d'abord pour les agriculteurs français. Sortons de ce piège où nous nous sommes laissé enfermer : elle a été faite pour que les consommateurs européens disposent d'une alimentation garantie en quantité et en qualité et d'un espace rural vivant et harmonieux.

La PAC fut dévoyée par la mise en place d'aides directes. En 1992, n'aurait-il pas mieux valu généraliser aux grandes cultures un système de prix différenciés semblable à celui qui régit le marché du sucre ?

Avec l'élargissement et l'arrivée dans l'Union de pays qui avaient précisément besoin d'une PAC identique à celle que nous avions su mettre en place dans notre vieille Europe trente ans auparavant, nous avions l'occasion de revoir tout le système. Nous ne l'avons pas saisie. Nous avons une nouvelle occasion de réformer la PAC autour du principe de la préférence communautaire. Cette fois, saisissons-la. Monsieur le Premier ministre, nous sommes à votre disposition, car nous avons beaucoup réfléchi sur ce sujet.

Je le disais tout à l'heure, le « chèque britannique » est une absurdité du point de vue européen. C'est une absurdité coûteuse : plus de 5 milliards d'euros cette année, montant bien supérieur aux 400 millions d'euros consacrés dans le budget européen à l'aide humanitaire ou aux seuls crédits de recherche inscrits dans le cadre du PCRD, le programme cadre de recherche et développement. Que le « chèque britannique » coûte plus cher à l'Europe que la recherche est tout de même insensé ! De plus, ce « chèque » coûte 1, 5 milliards d'euros à la France, c'est-à-dire presque 10 % de notre contribution au budget de l'Union.

Il s'agit donc non seulement d'un vrai problème de principe, mais aussi d'un vrai problème financier. Il ne sera pas traité isolément puisque la Grande-Bretagne y mettra toujours son veto. Nous ne progresserons pas non plus en nous cantonnant dans un face à face stérile, PAC et « chèque britannique ».

Il faut reprendre une vraie réflexion sur la forme, la structure et le contenu du budget européen. Je ne développe pas non plus ce point aujourd'hui, car je le fais chaque année, lors de l'examen de l'article du projet de loi de finances qui fixe le montant du prélèvement sur nos recettes au profit du budget européen.

Je rappelle simplement que nous n'irons pas loin avec un budget dont l'essentiel des recettes est voté par les Parlements nationaux et dont les dépenses sont adoptées par le Parlement européen. Où est alors le principe du consentement à l'impôt ?

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