... sans polémique ni contestation, et il nous impose, aujourd'hui, d'essayer d'en tirer les conséquences concrètes et positives pour la suite de la construction européenne.
Les citoyens français n'ont pas souhaité confirmer l'accord donné par les chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-cinq pays membres, accord succédant à l'unanimité inattendue des membres de la Convention sur le projet de Constitution. En effet, un texte aussi novateur, établissant un pouvoir politique nouveau, contenant de réelles avancées institutionnelles, devait être soumis à la ratification référendaire. Ce fut l'honneur et la vitalité de notre démocratie, sur l'initiative du Président Chirac.
C'était aussi accepter un risque considérable, quand on sait d'expérience combien en France le référendum est vulnérable en ce que l'on peut facilement le détourner en plébiscite.
Sur la lancée du « non » français, trois jours plus tard, les Pays-Bas, animés d'un réel sentiment anticommunautaire, confirmaient par leur vote le sombre avenir de la Constitution européenne.
Dans ce contexte, très difficile et historiquement inédit pour la France et pour l'Europe, va se tenir le Conseil européen, les 16 et 17 juin. On doit aborder à cette occasion des questions majeures, l'avenir de la Constitution, les perspectives financières, l'élargissement de l'Union, la stratégie des réformes économiques, le développement durable, la justice et les affaires intérieures - notamment le terrorisme - et les relations extérieures.
A l'heure actuelle, la réussite de ce Conseil relève donc de la gageure, tant les positions des uns et des autres, malgré les efforts considérables de la présidence luxembourgeoise, sont divergentes.
Force est de constater que l'hypothèse du surplace et du blocage, envisagée au lendemain du 29 mai, s'avère déjà en deçà de la réalité. Le risque d'un véritable et prodigieux retour en arrière n'est plus à exclure. Chaque jour qui passe défait un peu plus l'oeuvre européenne commune. Il faut absolument éviter un commencement de « détricotage » des acquis. Nous assistons à une sorte de revanche des égoïsmes nationaux, stimulés par les difficultés économiques et sociales, oublieux de l'intérêt général européen, qui nous a tant apporté depuis cinquante ans.
Aujourd'hui, il semble que les Etats membres consacrent plus d'énergie à leur positionnement tactique à court terme qu'aux enjeux à long terme de la réunion. La survie du nouveau traité et l'accord sur le budget à moyen terme de l'Union sont des sujets centraux qui méritent pourtant une réflexion sérieuse.
A ce propos, j'ajoute que les spéculations récentes sur l'existence de l'euro me paraissent non seulement fantaisistes et irréalisables, mais susceptibles de semer un trouble préjudiciable tant dans l'esprit de tous les dirigeants que dans les opinions européennes.
En ce printemps 2005, l'un des partisans ambigus du traité, le Royaume-Uni, en quête d'une échappatoire au dilemme qu'il s'est posé à lui-même en proposant d'organiser un référendum national, s'attache à blâmer la France et les Pays-Bas de la situation où l'ont plongé les deux votes négatifs.
De tous côtés retentit l'affirmation que, si l'adversaire ne cède pas de terrain, il emmène toute l'équipe à la catastrophe. Quel que soit le sort du traité, personne ne conteste la pertinence des questions qu'il tente de résoudre : mieux outiller l'Union européenne pour qu'elle puisse continuer de répondre à ses aspirations internes et externes, et se relier à la vie de ses citoyens. A cet égard, le Conseil doit se concentrer sur la manière d'atteindre ces objectifs, sous peine d'offrir au monde une image dramatique consternante.
A l'heure actuelle, les priorités indispensables résident, me semble-t-il, dans l'adoption des perspectives financières pour la période 2007-2013, signal essentiel de la volonté de l'Union européenne de poursuivre son chemin en se donnant les moyens pour réaliser des programmes ambitieux à moyen terme, s'agissant, en particulier, de l'amélioration des programmes de recherche-développement, essentiels pour la compétitivité de l'Europe de demain.
Le revirement le plus important, parce que concret et perceptible pour l'opinion publique, est en effet celui qui est relatif aux perspectives financières. Or, sur ce point, le couple franco-allemand, moteur indispensable, semble prêt à un compromis constructif.
Ce compromis présuppose un certain rééquilibrage des contributions nettes des Etats membres : le gel, d'abord, et la réduction, ensuite du « chèque britannique », la diminution progressive des financements en faveur des principaux bénéficiaires actuels de la politique de cohésion et la réduction des dotations proposées par la Commission européenne dans plusieurs domaines.
Ce compromis reste inacceptable pour certaines délégations, dont avant tout le Royaume-Uni, qui s'oppose à la remise en cause de la ristourne budgétaire qui lui est accordée depuis 1984, à moins, éventuellement, de remettre à plat la PAC.
Nous sommes nombreux ici à estimer qu'il ne doit pas y avoir de remise en cause de l'accord sur la PAC dont le financement est sanctuarisé jusqu'en 2013. Nul n'ignore, au sein de la Haute Assemblée, combien la PAC, depuis des décennies, a assuré la modernisation de notre agriculture, la stabilisation sociale de la France rurale et l'aménagement du territoire, et ce malgré les pesanteurs bureaucratiques.
Mes collègues sénateurs du groupe UMP n'accepteraient pas que les entreprises agricoles soient fragilisées, voire mises à mal par des pratiques contraires au traité de Rome.
L'Italie a menacé d'user de son droit de veto pour bloquer la négociation, craignant de perdre des milliards d'euros pour ses régions du sud. La Suède et l'Espagne demandent également une réduction du « chèque britannique », ce qui, au passage, montre que la position de la France sur ce point n'est pas aussi isolée qu'on a bien voulu le dire.
Monsieur le Premier ministre, aujourd'hui, le blocage semble acquis et l'impasse certaine. Dès lors, comment éviter d'ajouter à la crise institutionnelle une crise financière, qui serait dramatique pour l'avenir du continent?
Nous attendons sur ce point, monsieur le Premier ministre, des signes d'une avancée qui pourraient nous faire espérer et croire que l'Union européenne saura retrouver, dans un avenir proche, la voie constructive qui fut la sienne depuis près de cinquante ans.
L'unification européenne n'apparaît plus comme le projet mobilisateur qui nous a donné pendant des décennies paix et prospérité avant de déboucher sur l'unification de notre continent. Or certains n'hésitent pas à se demander si l'espoir n'a pas changé de camp.
Dans ce contexte, un accord sur les perspectives financières prendrait une dimension toute particulière et son adoption dès maintenant donnerait à l'Europe l'impulsion politique dont elle a besoin.
A notre avis, le Conseil européen doit se donner les capacités d'émettre un message clair et convergent sur le processus de ratification de la Constitution européenne et sur un cadre financier stable pour l'avenir. Il est absolument nécessaire de faire émerger un nouveau consensus politique pour relancer l'Europe. Les Etats membres doivent réagir ensemble et éviter les réactions individuelles et dispersées.
Le Conseil doit rejeter deux solutions : d'une part, celle qui consiste à faire comme si rien ne s'était passé, et qui représenterait une attitude irresponsable et arrogante à l'égard du « non » tant néerlandais que français, et, d'autre part, celle qui consiste à abandonner le processus, ignorant en cela les dix Etats qui ont déjà ratifié et ceux qui ne se sont pas encore prononcés. Il faut donc chercher une autre solution, qui ne soit ni administrative, ni technocratique, ni bureaucratique, mais politique, purement politique.
Il reste le dialogue et le langage de la vérité qui devraient permettre d'approfondir le diagnostic sur la situation actuelle en évitant de faire de Bruxelles le bouc émissaire de toutes les difficultés.
En conclusion, il m'apparaît que le bon sens devrait nous imposer à l'avenir de subordonner tout élargissement à une véritable stabilisation institutionnelle.
A cet égard, la position de notre groupe concernant le refus de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne est pour moi l'occasion de souligner que nous pourrions créer un espace de partenariat et de voisinage développé qui permettrait à la Turquie et à d'autres pays méditerranéens, aux côtés de l'Union Européenne, de bénéficier des progrès de celle-ci.
C'est donc, au travers de mes propos, monsieur le Premier ministre, l'ensemble des sénateurs de mon groupe qui vous apporte son soutien dans ces heures difficiles.