Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd'hui concerne une partie somme toute réduite des dépenses de la sécurité sociale, mais qui est en progression constante du fait de l'évolution de notre société.
Pour tout ce qui concerne les soins, la dépendance est prise en charge par la sécurité sociale, à travers les dépenses de prestations sociales et médicosociales.
La redéfinition par la loi du 11 février 2005 des missions de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a modifié le cadre de gestion de ces dépenses. Seules nous intéressent dans ce débat les dépenses des établissements et services pour personnes âgées dépendantes et pour personnes handicapées, qui relèvent de la CNSA.
L'année 2006 est la première année de plein exercice des attributions définitives de la CNSA : cela fonctionne parfaitement bien, et nous avons certainement fait les bons choix institutionnels en ne créant pas une nouvelle branche, dont les lourdeurs auraient pu nous faire perdre tous les bénéfices de ce que nous avons mis en place. Elle est aussi la première année de mise en oeuvre de la réforme du lien entre autorisation et financement, qui permet la création de places par anticipation. C'était une réforme très attendue par de nombreux établissements et services dont l'extension ou la création était bloquée par la rigueur de la règle de l'annualité budgétaire, qui empêchait de faire avancer des dossiers en raison de l'absence de dotation budgétaire.
Le 10 juillet dernier, la Cour des comptes a rendu public son rapport sur les conditions de mise en place et d'affectation des ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. Elle constate que les nouvelles recettes créées en 2004, en particulier celles qui sont tirées de la journée de solidarité, ont bien été intégralement affectées à la Caisse : « Les craintes qui ont pu être exprimées sur l'affectation des nouvelles ressources de la contribution de solidarité ne sont pas fondées : elles bénéficient bien intégralement aux personnes âgées dépendantes et aux personnes handicapées. Un effet vignette n'est pas à craindre. »
Les « Cassandre » qui avaient annoncé que l'utilisation de ces fonds risquait d'être détournée se sont trompées. Nous ne pouvons donc que nous féliciter du dispositif mis en place et des choix qui ont été faits. C'était indispensable au regard de l'évolution très dynamique des dépenses d'assurance maladie en faveur du secteur médico-social, de l'ordre de 9, 12 %. Pour 2006 et 2007, les recettes de la journée de solidarité ont rendu possibles de nombreux progrès en termes de prise en charge pour les personnes âgées dépendantes comme pour les personnes handicapées.
Pour les personnes âgées, les montants dégagés ont permis de poursuivre la médicalisation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, et d'assurer, voire dans certains cas d'accélérer, la mise en oeuvre des plans pluriannuels de créations de places et de structures.
Le plan « Vieillissement et solidarités » de 2003 avait déjà permis la création de nombreuses places nouvelles en établissements, mais aussi de services de soins infirmiers à domicile, les SSIAD.
Monsieur le ministre, vous venez de présenter un nouveau plan, le plan « Solidarité grand âge », qui amplifiera cet effort. Il prévoit un doublement du rythme actuel de créations de places : le nombre des places de SSIAD sera augmenté de 40 % sur cinq ans ; 2 500 places d'accueil de jour et 1 100 places d'hébergement temporaire seront créées par an afin d'apporter un soutien physique et matériel aux aidants familiaux, qui souffrent trop souvent d'isolement et de fatigue ; le taux d'encadrement par des professionnels soignants des personnes âgées les plus dépendantes dans les maisons de retraite sera relevé.
De même, la complémentarité entre l'accompagnement en hôpital et l'accompagnement en service social et médico-social sera améliorée. En effet, chacun a pu constater que la prise en charge de pathologies propres aux personnes âgées est reportée trop souvent sur des structures d'urgence ou de spécialité médicale. Des places de gériatrie seront donc créées pour parfaire l'accueil des personnes âgées.
Pour les personnes handicapées, de nouvelles places seront ouvertes. Pour les adultes handicapés, cela concerne 2 250 places de SSIAD et 2 500 places en maisons d'accueil spécialisé et foyers d'accueil médicalisé. Pour les enfants, cela représente 1 250 places de services d'éducation spéciale et de soins à domicile, 180 places en établissement pour polyhandicapés, 250 places en établissement pour autistes, 120 places d'instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, 7 centres de ressources pour autistes, 22 centres médico-psycho-pédagogiques et 22 centres d'action médico-sociale précoce.
Un tel dispositif est très satisfaisant et démontre une fois de plus, si cela était nécessaire, la volonté du Gouvernement de répondre toujours mieux aux besoins de ceux qui souffrent et à l'égard desquels la solidarité doit s'exercer avec la plus grande vigueur.
Je me félicite de voir les efforts dirigés notamment vers les services de soins à domicile, qui manquent cruellement.
Je profiterai de ce débat pour aborder un sujet qui me tient particulièrement à coeur, le vieillissement des personnes handicapées. Cette question, qui se pose en France depuis une vingtaine d'années avec de plus en plus d'acuité, a été soulevée de façon récurrente, en particulier par les professionnels et par les familles, ces derniers s'alarmant des difficultés concrètes de prise en charge des personnes handicapées vieillissantes.
Monsieur le ministre, vous avez bien voulu me charger d'étudier les enjeux de ce problème : je vous ai remis au mois de juillet dernier un rapport proposant plusieurs pistes de réflexion. Vous me permettrez de reprendre aujourd'hui quelques-unes des idées que j'ai développées à cette occasion.
Le problème du vieillissement des personnes handicapées prend une nouvelle dimension du fait de l'ampleur des mutations démographiques et sociales en cours. Dans un pays qui a structuré ses droits sociaux et ses formes d'aide aux personnes en perte d'autonomie en deux régimes bien distincts - l'un pour les personnes handicapées, l'autre pour les personnes dépendantes âgées -, l'apparition d'une catégorie intermédiaire, les personnes handicapées vieillissantes, contraint à repenser la structure globale du dispositif. En effet, le critère d'âge est devenu à l'évidence excessivement simplificateur.
Les choix qui seront opérés à court et à long terme auront des conséquences sensibles non seulement pour les personnes concernées et leur famille, mais aussi pour les financeurs des dispositifs, principalement l'État, l'assurance maladie et les départements, sans oublier les personnes concernées elles-mêmes.
La loi du 11 février 2005 prévoit de supprimer d'ici à cinq ans toute distinction en matière de compensation et d'aide sociale à l'hébergement entre personnes handicapées en fonction de l'âge. Le critère d'âge conduit en effet aujourd'hui à distinguer deux régimes conçus en réponse à des situations types contrastées : un système destiné aux personnes âgées, qui répond à des situations considérées comme caractéristiques du grand âge et relativement homogènes ; un autre système destiné aux personnes handicapées, qui embrasse une gamme plus hétérogène de situations, évaluées par des outils multidimensionnels, et qui se situe dans la perspective dynamique d'un projet de vie.
La dualité des systèmes et l'appartenance à l'un ou l'autre régime selon un critère d'âge posent donc des problèmes incontestables de frontière et d'équité.
Bien sûr, le système le plus universel dans son objet n'est supportable par la société et les collectivités publiques que dans la mesure où il demeure réservé à des situations exceptionnelles. Pour autant, les deux régimes sont destinés à converger à terme, car, s'ils diffèrent sur leurs « cibles », ils ont des points communs. Un rapprochement des institutions et des dispositifs locaux est donc souhaitable.
Devant le panorama institutionnel - maisons départementales des personnes handicapées, d'un côté, centres de liaison et d'information, et équipes médicosociales qui évaluent la situation au regard de l'APA, de l'autre -, l'existence d'un double dispositif peut apparaître comme une source de complication et de perte d'efficacité. Certains départements y ont d'ailleurs déjà réfléchi.
Ce rapprochement des structures aurait l'avantage de permettre une meilleure diffusion territoriale et le partage des savoir-faire utiles. Par ailleurs, des procédures parallèles sont déjà prévues et rendues obligatoires par les textes en ce qui concerne l'élaboration et la validation de stratégies à moyen terme dans les deux secteurs.
Les collaborations d'ores et déjà constatées contribuent à une salutaire confrontation avec des réalités de terrain. Les représentations que chacun se fait de « l'autre secteur » peuvent ainsi évoluer. À terme, on peut, dans ces conditions, projeter la constitution d'un large réseau technique, comprenant un panel de compétences diversifiées et les spécialisations nécessaires.
Les plus importantes difficultés immédiates pourraient se rencontrer dans les départements où aucune politique active de liaison et de coordination dans le secteur des personnes âgées n'a encore été mise en place. Tel n'est pas le cas, je le sais, dans le département du Rhône !
Il est également indispensable de préparer une évolution des référentiels et des grilles d'évaluation.
En effet, pour cadrer les décisions d'attribution des prestations et construire les plans de compensation et d'aide, dans le secteur des personnes âgées comme dans celui du handicap, il est fait appel à des référentiels se fondant sur la classification internationale du handicap.
Cependant, les objectifs visés au travers de la construction des grilles diffèrent.
La grille AGGIR, utilisée en matière de dépendance des personnes âgées, permet de construire un « score », d'apprécier la lourdeur du handicap d'une personne, tandis que, dans le secteur du handicap, le référentiel employé et le guide d'évaluation ne sont pas conçus pour permettre de classer une personne dans un « groupe » ou sur une « échelle » de handicap. Si les deux systèmes de référence et d'évaluation sont appelés à évoluer, car rien techniquement ne s'y oppose, on ne connaît pas les conséquences, pour la solidarité nationale ou les collectivités publiques, de la généralisation de l'un des deux à l'ensemble des personnes visées.
Il me semblerait donc opportun qu'une réflexion soit entreprise sur les possibilités techniques de juxtaposer un « tronc commun » de références pour l'accès au droit à compensation, ce qui serait plus satisfaisant que la situation actuelle au regard du principe d'universalité du droit à compensation, et des « questions filtres » permettant de répartir les personnes ayant droit à compensation entre plusieurs régimes, dont un régime applicable aux personnes âgées dépendantes.
Par ailleurs, nous devons progresser vers une harmonisation des prestations, des prises en charge et des tarifs.
Du fait de la dualité des systèmes, les prestations, les tarifs et les conditions d'accès aux différents types de prise en charge appliqués aux personnes handicapées et aux personnes âgées diffèrent de façon souvent inutilement compliquée, aussi bien pour les personnes concernées que pour les prestataires de services et les financeurs. Dans la perspective d'une convergence, ces disparités doivent être traitées chaque fois que c'est possible.
En tout état de cause, une harmonisation est de nature à simplifier la gestion de toutes les instances qui ont à traiter de ces sujets, depuis les administrations jusqu'aux prestataires de services.
Quant à la question de l'évolution des sources de financement, elle est cruciale, eu égard à une hausse des charges difficilement évitable.