Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 14 novembre 2006 à 22h30
Financement de la sécurité sociale pour 2007 — Article 12 bis

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Si nous discutons de cet article 12 bis aujourd'hui, c'est que la manière dont la durée du travail et bien d'autres questions concernant la branche des hôtels, cafés et restaurants, les HCR, ont été traitées depuis le début offre l'exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

Le secteur des HCR a une composition très variée. Il comprend à la fois des chaînes hôtelières et de restauration très prospères, et de nombreuses petites entreprises en équilibre précaire. Il mêle une véritable industrie calée sur des groupes financiers et des entreprises artisanales.

Partout, le taux de syndicalisation est particulièrement faible pour de multiples raisons, notamment à cause de l'éparpillement des établissements. Cela conduit à une représentation des salariés plus difficile que dans d'autres secteurs plus structurés. Là réside très certainement l'une des raisons fondamentales d'un cafouillage juridique issu d'un accord au départ mal conçu. C'est un premier point.

Par ailleurs, dans les petits établissements, même si l'on considère que ces entreprises peuvent embaucher, la durée du travail, particulièrement à l'échelon journalier et hebdomadaire, est difficilement planifiable dans la mesure où elle dépend d'abord des horaires de clients et des activités locales très diverses.

Si l'on parvient à établir un cadre précis, la seule possibilité est de compter des heures supplémentaires, ce qui est dans le domaine de la stricte légalité. Et c'est parfaitement possible dans les grandes chaînes hôtelières.

Il faut cependant constater que la vérification des heures supplémentaires dans un secteur aussi éparpillé n'est pas facile, d'autant que le nombre d'inspecteurs et de contrôleurs du travail est très insuffisant. Nous ne cessons de le rappeler depuis quatre ans. Certes, M. Larcher a annoncé un effort, mais c'est encore insuffisant.

Un accord a donc été passé entre les partenaires sociaux le 13 juillet 2004 sous la forme d'un avenant à la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.

Le problème juridique vient de ce que les partenaires sociaux n'ont pu aboutir à un accord dans le cadre de la loi. Ils ont donc « bricolé » une convention de branche à partir des heures d'équivalence.

Pour les employeurs, l'avantage est de ne pas avoir à comptabiliser et à payer des heures supplémentaires. Pour les salariés, l'intérêt est de bénéficier de jours pleins de congé à titre de compensation. De plus, en cas de contentieux, la prise ou non de jours de congé est plus aisée à prouver que la réalisation et le paiement d'heures supplémentaires.

La législation relative aux heures d'équivalence ne peut cependant être appliquée indistinctement à tous les métiers de la branche des HCR.

En effet, l'article L. 212-4 du code du travail dispose clairement qu'un décret pris après conclusion d'un accord collectif peut instituer cette durée équivalente, mais seulement pour des emplois déterminés comportant des périodes d'inaction.

À l'évidence, tous les métiers des HCR n'entrent pas dans ce cas de figure. C'est donc à bon droit que le Conseil d'État a pris sa décision d'annulation du décret et de l'arrêté ministériel.

Le Gouvernement demande donc aux partenaires sociaux de négocier un nouvel accord avant le 31 janvier 2007, de préférence conforme à la loi, et il nous demande de valider les dispositions de l'accord de 2004, pour éviter d'ajouter une indescriptible pagaille à l'actuelle confusion.

Nous ne voulons pas aller à l'encontre d'une négociation des partenaires sociaux sur le principe de laquelle tout le monde est d'accord.

De plus, le délai court jusqu'au 31 janvier 2007, ce qui couvre à peine plus que le délai d'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, y compris le délai d'une décision du Conseil constitutionnel si celui-ci était saisi d'un recours. Toutefois, monsieur le ministre, que fera-t-on si aucun accord n'est signé le 31 janvier 2007 ?

Au demeurant, ni le Gouvernement ni le Parlement ne sont supposés faire de telles injonctions aux partenaires sociaux, en vertu du principe d'autonomie dont ces derniers bénéficient. Mais passons !

Si nous en sommes là, c'est que les vrais problèmes de la branche des HCR n'ont pas été pris en compte globalement.

Nous regrettons ce bricolage dans un secteur où des négociations de fond sont devenues indispensables. Les difficultés de recrutement de la branche sont dues, chacun le sait, aux salaires pratiqués et aux conditions de travail. Les conditions d'emploi, de salaire et de travail y sont parmi les plus contestables. Et je ne parle même pas du sort des saisonniers, qui effectuent des horaires démentiels, sont logés dans des conditions parfois discutables et sont souvent payés « avec un lance-pierre » !

En outre, la branche est la dernière en matière de formation professionnelle, et donc de perspectives pour les salariés.

Enfin, le développement de la sous-traitance dans les chaînes hôtelières appartenant à des groupes financiers a pris des proportions considérables afin de réduire les coûts.

Dans une branche de main-d'oeuvre, cela signifie une aggravation des conditions de travail, une précarisation quasi systématique des personnels, y compris les gestionnaires, qui sont maintenant franchisés.

Qu'a fait le Gouvernement pour améliorer la situation des salariés de cette branche depuis 2002 ? Objectivement, monsieur le ministre, peu de chose, même si nous vous avons entendu à un certain moment piquer une grosse colère contre la profession, mais cela n'a duré que très peu de temps !

Le Président de la République s'est engagé, contre toute évidence, à obtenir de nos partenaires européens un accord sur un taux de TVA à 5, 5 % pour la restauration traditionnelle.

Quelque 1, 230 milliard d'euros sur deux exercices budgétaires, et ce n'est pas fini ! L'accord de Bruxelles n'a évidemment pas été obtenu, ce qui a conduit le Gouvernement à octroyer des aides sectorielles considérables, qui sont venues ponctionner d'autant le budget de l'emploi. Quel a été le résultat en matière d'emploi et d'amélioration des conditions de travail ? Il a été nul ou quasi nul ! Mais l'objectif était-il vraiment d'obtenir un résultat ? C'est un véritable échec, tissé d'effets d'annonce ainsi que de cadeaux fiscaux et sociaux.

Le Gouvernement opte de nouveau pour une solution « à la petite semaine ». Il ne saisit pas l'opportunité offerte par cette situation pour impulser une négociation globale de branche, afin de tenter d'améliorer la situation en matière d'emploi, de salaires, de conditions de travail et de formation. Là réside la clef d'une indispensable revalorisation de la profession et de ses métiers. La solution ne se trouve pas dans l'octroi « à guichet ouvert » de fonds publics pour calmer des prescripteurs d'opinion en période électorale.

Au final, monsieur le ministre, cet article est une mauvaise nouvelle pour les salariés et pour le dialogue social. Il retranscrit dans la loi un accord minoritaire et illicite.

Bien que nous comprenions l'inquiétude des salariés et des professionnels scrupuleux - il y en a bien sûr beaucoup -, ces derniers points font que nous ne pourrons pas voter en faveur de cet article 12 bis.

Pour autant, nous n'avons pas souhaité aller jusqu'à déposer un amendement de suppression, conscients des difficultés que son adoption, bien aléatoire au Sénat, pourrait susciter, notamment auprès des salariés.

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