Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé d'organiser un débat de contrôle budgétaire sur le fonctionnement du service public de l'équarrissage.
En effet, au titre de leurs prérogatives, les parlementaires exercent une importante mission de contrôle budgétaire, qui leur permet de vérifier la régularité et la sincérité de l'exécution de la loi de finances ainsi que le bon usage des deniers publics et l'adéquation des moyens de l'État à ses objectifs.
Il est vrai que le financement du SPE constitue un cas d'école !
En effet, comme le note la Cour des comptes, en pratiquant avec talent l'art de l'euphémisme, l'encadrement normatif du SPE s'est fait dans l'urgence, sa gestion connaît des failles et son financement a été compliqué par la mise en place de la taxe sur les achats de viandes, dite taxe d'équarrissage, remise en cause à la fin de 2003 par Bruxelles.
Voilà pour les erreurs du passé. Mais la Cour des comptes ne s'arrête pas là et souligne « les incertitudes liées à la mise en oeuvre de la réforme votée en loi de finances initiale pour 2006 ».
En bref, alors que le financement du SPE suscite un certain nombre de conflits et que la transparence de ses coûts n'est pas assurée, notamment en raison de la faiblesse des moyens de contrôle du service fait, le Gouvernement multiplie les réformes confirmant son désengagement.
Ainsi, depuis octobre 2005, le périmètre de ce service public a été ramené aux seuls cadavres des animaux d'élevage ou dont l'élimination relève de l'intérêt général. Cette étape a entraîné une contractualisation directe entre les industries de la viande et les équarrisseurs. Elle se serait traduite, comme l'indique un communiqué du ministère de l'agriculture en date du 15 juillet 2006, par une baisse de 25 % du coût des prestations d'élimination des déchets appliqué aux abattoirs.
Mais s'agit-il vraiment d'un progrès pour le service public ?
En réalité, cette réforme risque d'avoir des répercussions négatives sur les petits et moyens abattoirs, dont les coûts d'équarrissage sont plus élevés du fait de leur éloignement géographique.
Pourtant, l'accès au traitement des déchets devrait être équitable sur l'ensemble du territoire. De plus, l'épisode de la fièvre aphteuse a montré que la circulation sur de grandes distances d'animaux malades accentuait les risques sanitaires.
En se bornant à une vision financière de l'équarrissage, les pouvoirs publics n'apportent aucune garantie sur le maintien de la sécurité sanitaire, qui constitue pourtant l'un des principaux enjeux du SPE.
Rappelons que ce service public a été créé à la suite de la crise sanitaire de 1996, afin de maîtriser les produits à risques contaminants, issus soit de l'élevage, soit de l'abattage. Il s'agissait de confier à des sociétés d'équarrissage une mission de service public portant à la fois sur la collecte et sur l'élimination de ces déchets, en contrepartie de subventions prenant en charge tout ou partie des frais correspondants.
Avec la découverte du rôle des farines animales dans la transmission de l'ESB, l'encéphalopathie spongiforme bovine, l'État a décidé de sortir de la chaîne alimentaire ces produits à risque et d'élargir la mission du SPE au domaine du stockage et de la destruction définitive des farines.
Comme ces produits constituaient jusqu'alors un moyen de valorisation de l'activité des équarrisseurs, des indemnisations ont été allouées à ces derniers, en compensation des pertes de revenus correspondantes.
D'ailleurs, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il serait intéressant qu'un document dresse le bilan, à compter du début de la crise de la vache folle, du coût du stockage et de l'élimination des farines animales, et qu'y figure la liste des bénéficiaires de ces activités plutôt lucratives au regard des prix initialement négociés ? Il est vrai que ces derniers ont été discutés par le précédent gouvernement.
Fort heureusement, la crise de la vache folle semble terminée, en ce qui concerne en tout cas la contamination des bovins. Mais ni les consommateurs ni les agriculteurs ne se trouvent à l'abri d'autres crises sanitaires ! On pense bien sûr à la grippe aviaire, mais ce n'est pas la seule maladie qui nous menace. Ainsi, nous pourrions évoquer la fièvre catarrhale, qui a touché des moutons en France et, en septembre, un bovin en Belgique.
Il est essentiel que l'État adopte une démarche à long terme et mette en oeuvre les moyens nécessaires pour conserver un service public de l'équarrissage performant et sécurisé sur le plan sanitaire.
On se rappelle que la profession agricole a dénoncé, lors de la crise de la vache folle, des pratiques imprudentes chez certains grands fabricants d'aliments de bétail, motivés par la recherche de la production à moindre coût et du profit maximum.
En ce qui concerne le financement du service public de l'équarrissage, les réformes successives se heurtent aux réticences des différents acteurs de la chaîne. Et pour cause : à partir de 1997, le SPE a été financé par le produit d'une taxe due par les distributeurs de viandes au détail et assise sur le montant des achats de viandes et d'abats de ces derniers, la taxe d'équarrissage.
Or, dans les faits, l'exonération de la taxe pour les entreprises en fonction de leur chiffre d'affaires et du montant de leurs achats mensuels de viandes et d'abats a limité son périmètre à la grande distribution, essentiellement. Ce dispositif avait pour objectif affirmé de ne pas faire peser sur les éleveurs et abatteurs la charge des missions relevant du SPE.
Dans l'arrêt préjudiciel Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie c/GEMO SA, rendu le 20 novembre 2003, la réponse de la Cour de justice des Communautés européennes a été très claire : la taxe d'équarrissage « qui assure gratuitement pour les éleveurs et les abattoirs la collecte et l'élimination des cadavres d'animaux et des déchets d'abattoirs doit être qualifiée d'aide d'État ». Derrière cette condamnation par les instances européennes, en l'occurrence la CJCE et la Commission, on voit apparaître en filigrane le principe du pollueur - payeur.
D'ailleurs, la CJCE précise que « l'activité développée par ces entreprises [d'équarrissage] résulte des produits et des résidus inutilisables et surtout nuisibles pour l'environnement, dont l'élimination incombe aux responsables de leur production ».
En bref, les autorités européennes considèrent que c'est aux producteurs de payer. D'ailleurs, ces derniers n'y sont pas opposés par principe : ils n'en ont tout simplement pas les moyens ! Dans un contexte de baisse quasi chronique des prix à la production, en l'absence de cadre législatif permettant aux paysans d'obtenir des tarifs rémunérateurs en lien avec leurs coûts de production, il est inconcevable, pour le moment en tout cas, de mettre à leur charge une nouvelle taxe !
Au passage, soulignons une petite étourderie du Gouvernement ou un grand gaspillage d'argent public : pour avoir omis de soumettre en 1996 sa nouvelle taxe à l'avis de Bruxelles, le Gouvernement a fait un très beau cadeau à la grande distribution. En effet, l'État a été condamné à rembourser la taxe prélevée auprès des supermarchés et hypermarchés, alors que ces derniers s'étaient empressés d'en répercuter le coût sur les consommateurs.
Finalement, au moment où la grande distribution communique sur le commerce équitable et des prix prétendument bas, le consommateur aura payé deux fois cette taxe, une fois à la caisse et une autre fois en tant que contribuable !
Mais le caractère aberrant du financement du service public de l'équarrissage ne s'arrête pas là ! En 2004, les pouvoirs publics ont remplacé l'imposition litigieuse par une taxe d'abattage portant sur l'activité non seulement des transformateurs, mais aussi des éleveurs de volaille et de porcs. Dans un souci de transparence, des négociations commerciales ont été engagées et l'obligation de mentionner la taxe d'abattage en pied de facture a été introduite. Notons qu'aucune baisse des prix de la viande en direction des consommateurs n'a été ressentie. Là encore, des problèmes se sont posés !
Le Gouvernement ne s'est pas contenté de créer une nouvelle taxe ; il a également, je le répète, engagé une réforme du service public de l'équarrissage fondée essentiellement sur une logique comptable.
Dès lors que le produit de la taxe n'est pas suffisant pour financer la totalité des missions du service public de l'équarrissage et que l'État ne souhaite pas assumer le manque à gagner, les pouvoirs publics ont, dans un premier temps, restreint le champ d'application du SPE.
Dans un second temps, le taux de la taxe d'abattage a été augmenté, afin de diminuer la part de l'État dans le financement du dispositif. Dès 2003, le Syndicat national de l'industrie des viandes avait dénoncé un système « qui ne pourrait qu'être suicidaire pour la filière bovine française et pour les industries d'abattage - transformation ». Il regrettait, notamment, que le financement du SPE soit assuré jusqu'en juin 2007 par une augmentation de 15 % du produit de la taxe.
Par ailleurs, alors que le Gouvernement a fait sortir du SPE les matériaux à risques spécifiés des bouchers, le ministère de l'agriculture a décidé de réduire de 50 % l'aide dont bénéficiaient les bouchers pour 2006, afin de « ne pas déstabiliser l'économie de marché qui se met en place entre les bouchers et les équarrisseurs » ! Or, ces professionnels constituant un maillon essentiel du commerce de proximité rural, il est au contraire impératif de mettre tout en oeuvre pour consolider leur activité.
Du fait des désengagements de l'État, le risque est grand, désormais, de voir les abatteurs - transformateurs répercuter le coût de la taxe d'abattage sur l'ensemble des éleveurs.
D'une part, il est nécessaire de maintenir un service public de l'équarrissage afin de garantir la sécurité sanitaire aux meilleures conditions. D'autre part, alors que la grande distribution se trouve exonérée depuis 2004 de la taxe d'équarrissage, le prix d'achat aux producteurs n'a pas augmenté, et les tarifs à la consommation n'ont pas baissé.
Le financement du service public de l'équarrissage est l'exemple type d'un système qui marche sur la tête, un système dans lequel le travail n'est plus rémunéré et où ceux qui ne produisent rien engrangent tous les gains.
En 2005, les revenus des paysans ont baissé de 10 %, après une baisse de plus de 7 % en 2004. Il est urgent que les pouvoirs publics prennent des mesures afin d'assurer des prix rémunérateurs pour les produits agricoles. Cela nécessite de mettre un frein à la financiarisation écrasante du secteur agricole.
Il convient de mettre un terme aux abus des intermédiaires : les producteurs et les consommateurs y gagneront et chacun pourra participer de façon juste au financement du service public de l'équarrissage.
En conclusion, je rappellerai que la Cour des comptes s'inquiète, dans son rapport, de la capacité de l'État à assurer un regain de concurrence et à obtenir des baisses de prix sur les prestations d'équarrissage. Ainsi, l'État, en se désengageant de sa mission de service public, laisse la voie libre aux quelques opérateurs privés du marché pour fixer des prix disproportionnés au regard du coût effectif du service rendu. C'est pourquoi nous estimons nécessaire que, suivant l'exemple de certains pays européens qui accordent des aides à hauteur de 87 % du coût du service, la participation de l'État dans le financement du SPE soit revue à la hausse.
Tel est le sens, monsieur le ministre, de notre intervention.