Intervention de Gérard Le Cam

Réunion du 9 novembre 2005 à 21h45
Loi d'orientation agricole — Article 29

Photo de Gérard Le CamGérard Le Cam :

L'article 29 du projet de loi d'orientation agricole prévoit de regrouper le paiement des aides dites du premier pilier autour d'une « Agence unique de paiement ». Il s'agit, selon le Gouvernement, de tenir compte des évolutions de la PAC engagées à la suite des accords de Luxembourg, qui prévoient notamment la mise en place du découplage des aides.

En d'autres termes, il est question d'organiser, par le biais de cette agence, la mise en oeuvre d'une politique agricole source d'inefficiences et de graves injustices. Ainsi, selon la Commission européenne, les 2 530 plus grandes exploitations, qui représentent moins de 1 % du total des exploitations françaises, reçoivent plus de subventions que les 182 270 exploitations plus petites, qui, elles, constituent près de 40 % de ce même total.

Il est très difficile de rendre compte de toutes les disparités induites par la PAC, qui est en effet devenue si complexe qu'elle n'est plus gérée avec transparence. D'ailleurs, dans son rapport de 2003, la Cour des comptes a dénoncé les « irrégularités comptables » et les « approximations juridiques » dans la gestion des aides nationales et communautaires par l'ONIC-ONIOL, l'ensemble constitué par l'Office national interprofessionnel des céréales et l'Office national interprofessionnel des oléagineux.

Il faut savoir que l'ONIC-ONIOL est le plus gros centre de paiement de subventions agricoles en Europe. En 2004, il a ainsi versé 5, 2 milliards d'euros de subventions à 330 000 agriculteurs. Là encore, il est à noter que les exploitations de plus de 200 hectares, soient 2 % des bénéficiaires, ont reçu plus de 12 % de ces versements.

La situation en France reflète de telles inégalités, qui conduisent à favoriser les plus grandes exploitations.

En premier lieu, les nouveaux DPU n'étant plus liés à la production, l'agriculteur percevra ses aides, qu'il fasse le choix de produire ou non. Dans les zones à productivité faible ou moyenne, cette mesure favorisera l'exode des productions les plus contraignantes en termes de main-d'oeuvre ou de conditions de travail.

En second lieu, s'agissant de la mise en place des DPU, une alternative était proposée aux Etats membres. La France a opté pour le principe de référence historique, de préférence à la seconde branche de l'alternative, qui permettait la régionalisation.

Nous l'avons déjà rappelé, la valeur des droits à paiement unique est fonction des aides versées pendant la période de référence 2000-2002. Ce choix favorise les agriculteurs productivistes qui bénéficiaient, hier, d'aides compensatoires élevées. En outre, ceux qui ont le plus investi entre 2002 et 2004 bénéficieront d'une réactualisation de leurs aides. Les paysans qui, avant 2002, ont fait le choix d'élever leurs bêtes à l'herbe, malgré des primes beaucoup moins élevées, devront quant à eux acheter des droits à primes s'ils veulent se trouver dans les mêmes conditions que les agriculteurs intensifs.

De ce point de vue, nous ne pouvons que constater, à l'échelon national, l'opacité des aides publiques à l'agriculture. La politique agricole commune, dont le budget représente plus de 40 % du budget européen, est directement financée par les contribuables et la TVA. Malgré tout, les données publiées par le ministère de l'agriculture restent partielles et ne permettent pas de se faire une idée juste de la répartition réelle des aides publiques.

Dans un article publié dans La Tribune il y a une semaine, un journaliste précise que, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays européens, « les noms des bénéficiaires de la PAC ne sont toujours pas divulgables en France ». Notre curiosité est d'autant plus aiguisée que ce même journaliste poursuit par une devinette : « Qu'il y a-t-il de commun entre un prince régnant, un riziculteur camarguais, un ministre néerlandais et un président de conseil général UMP ? Ils sont tous quatre parmi les plus gros bénéficiaires des aides directes de la politique agricole commune ». Mais certains d'entre vous connaissaient peut-être la réponse !

A ce sujet, en dépit des difficultés rencontrées, le groupe d'économie mondiale de l'Institut de sciences politiques, en collaboration avec la Confédération paysanne, essaie d'établir la liste des vingt-quatre plus grands bénéficiaires de la politique agricole commune en France. Même si tous les résultats ne sont pas encore connus, il semble que les riziculteurs et les céréaliers arrivent largement en tête.

Une autre cause importante de l'opacité des aides de la PAC est le développement de l'agriculture sociétaire, qui est d'ailleurs encouragée par ce projet de loi.

Enfin, je tiens à rappeler que le projet de loi risque, avec la mise en place du fonds agricole et du bail cessible, de compliquer le travail des collectivités locales. Ainsi, la possibilité d'augmenter le montant du loyer jusqu'à 50 % entraînera, notamment, un accroissement des indemnités d'éviction pour les collectivités locales. De plus, l'expropriation ou l'acquisition par ces collectivités locales de terrains qui font partie d'un fonds agricole risquent de provoquer le morcellement du fonds, alors que ce dernier nous est présenté comme un tout indivisible.

Sous le bénéfice de toutes ces observations, nous tenons à réaffirmer notre inquiétude à l'égard de la PAC, une politique qui entraîne des discriminations au détriment des petites et moyennes exploitations et dont la mise en oeuvre sera, sans aucun doute, source de complexité.

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