Intervention de Michel Barnier

Réunion du 29 octobre 2008 à 15h00
Assurance récolte obligatoire — Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Michel Barnier, ministre :

Elle sous-estime les questions de fond et les difficultés qu’une telle obligation engendrerait et que votre rapporteur a rappelées avec pertinence.

Je voudrais revenir brièvement sur les objections qu’appelle une telle proposition.

D’abord, l’assurance récolte n’est pas une assurance responsabilité. La rendre obligatoire, c’est interférer avec la responsabilité individuelle de l’agriculteur dans l’appréciation du risque de son entreprise. C’est peut-être aussi la fausser.

Ensuite, l’obligation d’assurance suppose, pour être efficace, que tous les agriculteurs aient accès à des contrats. Or le faible taux de souscription dans certains secteurs est le résultat de l’insuffisance, voire de l’inexistence – je pense aux fourrages – de l’offre des assureurs. L’obligation ne réglerait pas cette question.

Par ailleurs, l’obligation d’assurance ne sera efficace que si des sanctions sont prévues et appliquées. C’est une simple règle de droit : il n’y a pas d’obligation sans sanction. Mais cette sanction serait-elle acceptée aujourd'hui par les agriculteurs, qui pourraient argumenter que leur refus de s’assurer ne concerne qu’eux et qu’ils ne causent aucun tort à autrui ?

Enfin, l’obligation d’assurance exige la mise en place d’une réassurance publique et de mécanismes publics garantissant à tous la possibilité de s’assurer.

J’ai bien lu, monsieur le rapporteur, votre analyse sur les limites de la réassurance privée et j’ai pris bonne note de votre demande de réassurance publique, à l’instar de ce qui se pratique aux États-Unis ou en Espagne. C’est un point que nous avons discuté avec les assureurs et le ministère de l’économie. Nous sommes convenus de faire le point au fur et à mesure du développement de l’assurance.

Nous n’avons donc pas fermé la porte de la réassurance publique, mais nous devons miser aujourd’hui sur le développement de la réassurance privée, avec le souci de l’évaluation régulière.

J’ai bien entendu votre proposition relative à la Caisse centrale de réassurance, à laquelle le Président de la République vient de demander de faciliter l’assurance des crédits aux entreprises. Cette annonce ne vous avait certainement pas échappé, monsieur Soulage ! Je serai évidemment très attentif au suivi de cette question.

J’ajoute que l’obligation d’assurance, telle qu’elle est envisagée par les auteurs de la proposition de loi, se traduirait, comme M. le rapporteur l’a rappelé, par un coût inscrit en loi de finances multiplié par dix.

Je ne voudrais pas sous-estimer les risques d’exclusion que vous avez mis en avant, monsieur le rapporteur, en soulignant que, malgré ses imperfections, le FNGCA, qui indemnise en moyenne 30 % des dommages, avait été en quelque sorte une caisse d’« assurance coups durs ».

J’ai bien compris vos craintes d’une sortie trop rapide de certaines filières de l’indemnisation du Fonds national de garantie des calamités agricoles. Je veux vous rassurer : la décision n’est prise que pour les grandes cultures. Nous serons très vigilants quant à la sortie des autres secteurs, surtout s’ils sont très exposés aux risques.

Nous allons aussi travailler avec les assureurs au contenu des contrats d’assurance pour en améliorer les conditions. Une « assurance coups durs » pourrait avoir sa place dans une palette de contrats offerts aux agriculteurs.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sachez que, en tout cas, nous ne laisserons pas d’agriculteurs au bord du chemin. L’engagement du Gouvernement repose sur le principe de la solidarité, qui se manifeste, premièrement, par un taux de subvention des contrats d’assurance plus élevé pour les secteurs les plus exposés – notamment la viticulture et les fruits et légumes – et, deuxièmement, au travers du Fonds national de garantie des calamités agricoles.

Nous avons déjà cette préoccupation : les exploitations victimes d’orages de grêle, qui ne sont pas éligibles aux indemnisations du FNGCA, peuvent actuellement, sous condition de revenu, bénéficier d’une prise en charge de leurs cotisations sociales ou d’un dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. Il me semble ainsi plus judicieux d’orienter de telles exploitations vers ces dispositifs pour ne pas entraver l’incitation à souscrire une assurance récolte.

Enfin, le Comité national de l’assurance en agriculture devra chaque année faire le bilan du dispositif que je viens de décrire à grands traits, et nous en tirerons les conséquences pour l’adapter.

Si le Gouvernement partage l’objectif de la proposition de loi, s’il remercie ses auteurs d’avoir soulevé cette question, il ne souscrit pas au moyen envisagé pour l’atteindre, c’est-à-dire l’obligation d’assurance. Mais, en la matière, je n’ai pas d’idéologie : pour les risques sanitaires, nous nous orientons vers une contribution obligatoire des professionnels et une indemnisation publique.

Pour toutes ces raisons, tout en considérant que cette proposition de loi nous ait fourni une bonne occasion de faire le point, jouant un rôle de levier pour la réflexion politique et les décisions à prendre dans le cadre du « bilan de santé » de la PAC, je souhaite que votre assemblée suive les conclusions de la commission des affaires économiques et n’adopte pas cette proposition de loi.

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