Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, dans un sondage CSA-Le Parisien-Aujourd’hui en France de janvier 2006, à la phrase « J’aurais peur de la justice si je devais avoir affaire à elle », 65 % des sondés répondaient « d’accord », contre 34 % « pas d’accord ». Quant à la phrase « Les décisions de justice sont impartiales », les sondés répondaient « pas d’accord » à 54 %.
Ces chiffres résument assez bien la distance qui existe entre la justice et les Français. Le divorce est profond entre l’opinion et la justice. Il existe aujourd’hui une vraie crise de confiance, inégalée dans les autres pays européens.
Cette crise s’est encore renforcée lors de « l’affaire d’Outreau », dont les justiciables ont pu suivre en direct les retournements. Cette affaire demeure aujourd’hui le symbole d’une justice bornée et inefficace.
Mais, bien auparavant, nos concitoyens ne se fiaient plus à la justice. Pourquoi ? Parce que trop de décisions de justice ne sont jamais exécutées. Tel est le cas, trop souvent, dans les « petites » affaires, celles qui empoisonnent la vie : les recouvrements de créances et de dommages et intérêts, les exécutions de peines d’intérêt général, etc.
En tant qu’élus, nous sommes d’ailleurs confrontés à certains de nos concitoyens, qui nous sollicitent pour nous faire part de leur étonnement que des peines ne soient jamais exécutées. Par exemple, les maires sont souvent interpellés au sujet des impayés de logement. Même si la justice a statué, personne ne contrôle l’exécution de la décision et le propriétaire ne récupère que très rarement les loyers impayés.
Cela tombe sous le sens : un justiciable ne se sent ni protégé ni « réparé » si la décision qui a été prise en sa faveur n’est pas exécutée. D’autant plus s’il croise chaque jour au bas de son immeuble celui qui l’a lésé et qui, bien que condamné, ne remboursera jamais ce qu’il doit.
La question à laquelle nous devons répondre ici est la suivante : comment rétablir un lien de confiance entre nos concitoyens et la justice française ?
Diverses pistes sont possibles. Il faut agir sur de nombreux plans : d’abord, il faudrait que chaque plainte soit prise en compte ; ensuite, il faudrait améliorer les taux d’élucidation ; en outre, il faudrait raccourcir les délais de jugement ; enfin, il faudrait assurer le suivi réel de peines prononcées. Or ce texte ne porte que sur ce dernier point. Sera-ce suffisant ?
Espérons que cette proposition de loi aura au moins le mérite de réconcilier tant soit peu quelques justiciables avec la justice, notamment les victimes de petites infractions. Si tel était le cas, ce serait déjà beaucoup. À tout le moins, elle a le mérite de protéger les plus démunis ; je pense notamment aux victimes d’incendies volontaires de véhicules, qui, mal assurés, se trouvent souvent dans l’impossibilité de remplacer leur bien et subissent de ce fait une gêne considérable dans leur vie personnelle.
Pour cette seule et unique raison, nous voterons ce texte.
C’est finalement la décision que nous attendions depuis les émeutes de 2005, lorsque, en dépit de l’incendie de plusieurs centaines de véhicules, le gouvernement avait refusé toute action d’indemnisation exceptionnelle, alors qu’il avait déployé des mesures d’envergure pour faire cesser ces événements.
Notre groupe n’avait déposé qu’un seul amendement sur cette proposition de loi. Or la commission des finances l’a déclaré irrecevable, en application de l’article 40 de la Constitution. Celui-ci visait à étendre le bénéfice de ce texte aux victimes de dommages subis à l’étranger. Il est regrettable que nous ne puissions pas le défendre. Mais mon collègue Richard Yung, qui en était l’auteur, reviendra à la charge au cours de la discussion des articles.
Toutefois, madame le garde des sceaux, je mettrai un bémol. En quoi ce texte, ainsi que l’indique son intitulé, créé-t-il de nouveaux droits pour les victimes ? En fait, il a seulement pour objet de rendre opérant le droit des victimes actuellement en vigueur, celui de voir réparé le dommage causé par autrui. C’est l’objet de l’article 1382 du code civil, qui dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Il semble donc que ce texte ne fasse que réparer les dysfonctionnements actuels de notre système judiciaire. Or, en l’occurrence, il ne s’agit pas seulement du fonctionnement de la justice en elle-même. Certes, la justice est dans une situation alarmante ; le manque de moyens humains et financiers a pour conséquence de rallonger les délais de décisions et de multiplier les abandons de procédure. Mais ces dysfonctionnements touchent aussi les services de police et les services sociaux.
Au final, ce texte est bien mineur par rapport à la mission qui lui a été assignée : rendre effectives les décisions de justice. Il ne dit rien des délais particulièrement longs des jugements. Si les problèmes actuels de la justice se limitaient au recouvrement des amendes, nous le saurions !
L’application des sanctions a un véritable sens et une grande importance. Nous nous accordons sur le fait qu’une justice ne peut être véritablement efficace si ses décisions ne sont pas appliquées. Toutefois, mes chers collègues, dans quel monde vivons-nous pour nous féliciter d’un texte qui permet aux victimes de recouvrer ce qui leur est dû, qui contraint les condamnés à régler leur dû ? Pouvons-nous réellement nous en féliciter ? En réalité, ce texte n’a d’autre objet que de réparer les retards et le manque cruel de moyens dont souffre la justice depuis plus de vingt ans. S’il est utile, espérons de surcroît qu’il sera efficace, pour que nous n’ayons jamais à corriger de nouveau toutes ces anomalies.
En somme, madame le garde des sceaux, cette proposition de loi n’a d’autre objet que de faire en sorte que la loi s’applique ! Il faut que le système judiciaire soit bien malade pour en être arrivé là ! Quel constat d’impuissance ! Mais ce texte ayant le mérite d’exister, nous le voterons.
Avant de conclure, j’aimerais néanmoins mettre un dernier bémol.
La crise actuelle de confiance entre nos concitoyens et la justice est réelle, nous ne le réfutons pas. Mais il serait utile de se demander pourquoi la justice souffre de tels dysfonctionnements.
Nous avons abordé plusieurs fois cette question, à l’occasion de la discussion de nombreux textes, mais aussi chaque année lors de l’examen des crédits consacrés à la justice, dans le cadre du projet de loi de finances. Les dysfonctionnements de la justice française sont une conséquence directe du manque de moyens humains et financiers. Or le texte qui nous est soumis aujourd’hui ne règle pas du tout ce problème ; il ne comporte pas une seule ligne sur un effort financier de l’État. D’ailleurs, la déclaration d’irrecevabilité de notre amendement en est la démonstration : on abandonne immédiatement toute mesure un tant soi peu coûteuse pour le budget de l’État !
Comment croire, alors, que ce qui était impossible hier deviendra possible demain, puisque aucun moyen supplémentaire n’est octroyé ?
Madame le garde des sceaux, vous aurez compris que, si le groupe socialiste reste sceptique quant à l’utilité réelle de ce texte, il ne s’y opposera pas.