Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, près de trois ans après l’adoption de la directive européenne du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale, le Sénat avait été saisi, le 5 avril 2007, du projet de loi assurant sa transposition en droit français, sur lequel la commission des affaires économiques m’avait désigné rapporteur, dès le 22 mai 2007. La date limite de transposition était fixée au 30 avril 2007.
Il a pourtant fallu attendre un an pour que ce projet de loi soit enfin inscrit à l’ordre du jour, alors même que la Commission européenne a adressé une mise en demeure à la France le 1er juin 2007, suivie d’un avis motivé le 31 janvier dernier. Onze États sur vingt-sept ont à ce jour communiqué leurs textes de transposition.
La commission des affaires économiques ne peut évidemment que regretter le retard ainsi pris, tout en se réjouissant de l’occasion enfin donnée au législateur d’adopter ce texte avant le début de la présidence française de l’Union européenne, le 1er juillet prochain.
Après quinze ans de discussions, un Livre vert puis un Livre blanc, l’Union européenne a adopté une directive relative à la responsabilité environnementale qui, pour la première fois, pose le principe de réparation du dommage écologique causé aux biens que l’on ne peut s’approprier, indépendamment de toute atteinte à des biens ou des personnes. La directive consacre ainsi ces biens comme des biens communs, indépendamment de leur statut juridique. Cela correspond tout à fait à l’esprit qui a présidé à la rédaction de la Charte de l’environnement, notamment de ses articles 3 et 4.
L’intitulé de cette directive n’est d’ailleurs pas très bien choisi, car elle n’institue pas vraiment un nouveau régime de responsabilité, elle instaure plutôt un nouveau régime de police administrative. Il reviendra en effet à l’autorité administrative, qui, en France, sera le préfet, de contraindre l’exploitant responsable d’un dommage à l’environnement à prendre des mesures de prévention et de réparation. Il est donc question, dans ce texte, non pas d’indemnisation, mais uniquement de réparation par des mesures très concrètes.
Le projet de loi qui vous est soumis, mes chers collègues, répond également, d’une certaine manière, à une exigence nationale, puisque, dans l’article 4 de la Charte de l’environnement, constitutionnalisée en 2005, est posée l’obligation de réparer les dommages causés à l’environnement.
Nous ne pouvons pas, par ailleurs, ignorer le récent jugement sur l’Erika, qui a clairement consacré pour la première fois la possibilité d’une indemnisation du préjudice résultant d’une atteinte à l’environnement, en dehors du préjudice moral et du préjudice matériel. La nouveauté de ce jugement réside aussi dans le montant de l’indemnisation accordée aux parties civiles.
Le juge a toutefois, dans ce cas, procédé à une application des principes classiques du droit de la réparation, distincte du régime de police administrative prévu par le présent projet de loi, aux termes duquel l’exploitant doit réparer par des mesures concrètes les dommages subis par l’environnement. Cette réparation « sur le terrain » s’effectuera bien sûr indépendamment des éventuelles poursuites pénales et civiles qui pourront être exercées en cas de survenance d’un tel dommage. Le projet de loi vient s’ajouter aux régimes de responsabilité existants, et non s’y substituer. Tout au long du débat, nous le rappellerons, de façon à clarifier les choses et à éviter qu’il n’y ait certains malentendus, comme le laissent supposer plusieurs amendements déposés par l’opposition et que nous avons examinés ce matin en commission.
Le texte qui vous est aujourd’hui proposé a fait l’objet d’une consultation publique à l’automne 2006, ainsi, d’ailleurs, que le projet de décret, ce qui n’est pas si fréquent. Il vise à transposer la directive à partir de deux principes : une grande fidélité au texte européen et le maintien des dispositions nationales plus contraignantes. La France disposait en effet, avec sa législation sur les installations classées, d’une avance certaine pour l’application de plusieurs dispositions de la directive.
Sans revenir sur le détail du projet de loi, qui a été présenté par Mme la secrétaire d’État, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur certaines questions que nous pourrions nous poser à l’occasion de cette transposition, mais qui doivent impérativement faire au préalable l’objet d’une réflexion à l’échelon européen.
Tout d’abord, la directive ne prévoit pas de sanctions pénales : celles-ci sont discutées actuellement au niveau européen dans le cadre d’un projet de directive sur les sanctions pénales en matière d’environnement.
Ensuite, la question d’une éventuelle responsabilité des sociétés mères devra impérativement être traitée à l’échelon communautaire, comme le prévoit l’avant-projet de loi relatif au Grenelle de l’environnement – nous avons eu l’occasion de nous en expliquer en commission –, et ce pour deux raisons : d’une part, il ne faut pas déresponsabiliser l’exploitant au plus proche de l’activité et, d’autre part, la France doit éviter d’entrer en distorsion de concurrence avec les vingt-six autres États membres.
Enfin, la directive n’institue pas d’obligation d’assurance pour les exploitants. Devant la difficulté à prévoir ce que sera l’application du nouveau régime, la Commission et les États membres ont en effet préféré instituer une clause de revoyure en 2010 : la Commission fera alors des propositions aux États membres sur ce point.
Il n’apparaît donc pas opportun d’instaurer en France, à l’occasion de l’examen de ce texte, une obligation pour les exploitants de contracter des garanties financières. Il est préférable de laisser l’offre assurantielle se développer d’ici à 2010, y compris au niveau européen, et d’envisager à cette date, en concertation avec nos partenaires européens, le meilleur système à mettre en œuvre. Nous sommes dans un environnement législatif à dimension européenne, et il n’est pas question de placer la France dans une situation de distorsion.
Tel est l’essentiel du mécanisme prévu par le projet de loi. Au terme du long parcours de la directive comme du projet de loi, la commission n’a pas voulu bouleverser les équilibres du texte, qui offre un compromis satisfaisant entre protection des milieux naturels et exigences économiques. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas proposé d’amendement sur un point qui a fait l’objet de nombreux débats à l’échelon tant européen que national : l’exonération pour respect du permis.
La quarantaine d’amendements que la commission vous propose visent en priorité à réduire le plus possible les incertitudes juridiques du texte pour sécuriser les exploitants, qui seront chargés, au premier chef, de l’application des dispositions. Il s’agit essentiellement : de simplifier et de préciser la définition de l’exploitant ; de clarifier la définition des habitats et des espèces concernés par le projet de loi ; de clarifier également la définition des activités les plus dangereuses, qui seront soumises à la responsabilité sans faute – ce qui n’est pas rien à l’adresse des exploitants –, en renvoyant à l’annexe III de la directive qui en fixe la liste ; de préciser, conformément à la directive, que le lien de causalité entre l’activité d’un exploitant et le dommage devra être établi par le préfet – nous examinerons plus tard ses modalités – ; enfin, de préciser le régime du partage de responsabilité entre le fabricant et l’utilisateur d’un produit.
Sous ces réserves, le présent projet de loi constitue une véritable avancée pour la réparation des dommages à l’environnement, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
J’en viens aux autres amendements que la commission vous propose d’adopter. À l’occasion de la discussion de ce projet de loi et à la veille de la présidence française de l’Union européenne, il nous a semblé opportun, avec Jean-Paul Emorine, que la France soit, dans le domaine de l’environnement, irréprochable en matière de respect de ses obligations communautaires.
Nous avons souhaité, sur ces sujets environnementaux qui devraient recueillir l’accord du plus grand nombre, associer l’ensemble des groupes politiques à cette démarche de transposition. C’est pourquoi une réunion de coordination avec le ministère de l’écologie a eu lieu le 14 mai dernier, en présence de nos collègues Odette Herviaux, Jean-Marc Pastor, Daniel Reiner et Thierry Repentin, que je voudrais remercier de leur participation.
C’est dans ce contexte que la commission des affaires économiques a souhaité que le Sénat procède, par voie d’amendements parlementaires, à la bonne et complète transposition de directives actuellement en retard de transposition et pour lesquelles la France fait l’objet de procédures de mise en demeure ou d’avis motivé de la Commission européenne.
Je vous précise que les dispositions transposées sont, pour la plupart, des mesures d’ordre technique. Elles concernent la directive « Pollution marine » du 7 septembre 2005, des directives relatives à la qualité de l’air ambiant, le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, sur lequel un large débat devrait avoir lieu, la directive de 2002 sur la performance énergétique des bâtiments et la directive de 1998 sur la mise sur le marché des produits biocides.
Sous réserve des modifications qu’elle propose, la commission vous suggère d’adopter le présent projet de loi.