Madame le secrétaire d’État, nous abordons aujourd’hui la discussion d’un projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, déposé sur le bureau de notre assemblée en février 2007 par votre prédécesseur, Mme Nelly Olin.
Nous ne pouvons que regretter de ne pas avoir étudié ce texte dès l’automne 2007, comme cela avait été envisagé un moment et comme l’avait souhaité notre commission, qui avait pris ses dispositions pour travailler dans ce sens.
En effet, le présent projet de loi porte transposition d’une directive européenne qui aurait dû être transposée au 30 avril 2007. Notre retard nous a valu une mise en demeure et un avis motivé, qui sont les premières étapes avant l’amende et l’astreinte.
Par principe, nous devons respecter nos engagements européens. De surcroît, à la veille d’assumer la présidence de l’Union européenne, cette mise en conformité de notre droit paraît d’autant plus cohérente.
C’est pourquoi nous appuyons la suggestion formulée par notre rapporteur, Jean Bizet, et visant à compléter ce projet de loi par diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire, ce qui nous permet d’y intégrer, par voie d’amendements, la transcription d’autres directives européennes, à la double condition qu’elles traitent de l’environnement et que les délais de transposition aient expiré ou soient proches de leur échéance.
Le législateur connaît, de fait – vous le savez, madame le secrétaire d’État, pour avoir été parlementaire –, des impératifs de délais et de rédaction de la norme juridique qui ne sont pas toujours ceux du débat public.
Après ces propos liminaires, venons-en au texte qui nous est soumis.
Il s’agit de transposer la directive 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.
L’exercice auquel nous nous livrons est très encadré puisque ce texte est l’aboutissement d’un long processus qui aura duré plus d’une dizaine d’années, tant à l’échelon européen qu’au niveau des différents États membres, et nous ne pouvons, dans le cadre imparti d’une transposition de directive, revenir sur les points qui ont fait l’objet des plus vifs débats et ont été, depuis lors, arbitrés.
Néanmoins, nous devons souligner que le résultat est en soi une première puisque cette directive reconnaît le principe de la réparation du dommage écologique « pur », en dehors de toute atteinte à des biens ou des personnes, c’est-à-dire les dommages infligés à la nature en tant que telle.
En cela, ce texte correspond à l’évolution des attentes de notre société, à la prise de conscience que des activités économiques peuvent sérieusement endommager l’environnement, à la plus grande préoccupation de nos concitoyens pour l’écologie, à leurs réactions plus vives face aux accidents qui abîment la nature et à une appréciation plus inquiète du risque, en particulier du risque industriel. Il s’inscrit dans le droit fil des conférences des Nations unies de Stockholm, en 1972, et de Rio, en 1992, ainsi que du concept de développement durable.
Contrairement à ce que pourrait laisser entendre l’intitulé du projet de loi, il ne s’agit pas de mettre en place un nouveau régime de responsabilité, civile ou pénale, il s’agit de définir un cadre destiné à réparer et à prévenir les atteintes aux milieux naturels.
Ainsi, à l’avenir et en application du principe pollueur-payeur, les dommages écologiques graves devront être anticipés et réparés, et des mesures de réparation seront imposées afin de permettre le retour des milieux naturels affectés au mieux dans l’état antérieur au dommage.
Il s’agit donc non pas de l’indemnisation financière d’une victime demanderesse, mais d’une réparation pour un bien considéré comme public ou collectif, réparation exigée de l’exploitant à la suite d’un fait générateur qui lui est imputable et d’un lien de causalité entre ce fait générateur et le dommage.
Le régime de responsabilité est double : sans faute pour les activités les plus dangereuses, avec faute pour les autres. Il s’applique aux dommages environnementaux et aux menaces imminentes de dommages.
Il n’est pas de mon propos de présenter ici les mécanismes sous-jacents à cet objectif ; notre rapporteur l’a excellemment fait tant dans son rapport que dans son intervention.
Je me contenterai de formuler plusieurs remarques.
D’abord, la directive a recours à de nombreux concepts qui méritent des définitions rigoureuses – par exemple, celles du dommage économique « grave », des services écologiques et de leur perte, le cas échéant, et de l’état initial– et le respect du principe de proportionnalité.
Il est, en outre, probable et souhaitable que la notion de responsabilité pour dommages infligés à la nature entraîne un changement d’attitude se traduisant par un degré de prévention et de précaution accru.
Ensuite, parce que la protection de l’environnement relève des prérogatives de la puissance publique, la directive renforce considérablement le rôle de « l’autorité compétente », dont le choix est laissé à chaque État membre. Dans notre pays, ce sera, dans la plupart des situations, le préfet.
Cette autorité est chargée, en particulier, de veiller au respect par l’exploitant de ses obligations, de décider des mesures de réparation nécessaires à partir des propositions dudit exploitant, de lui adresser des prescriptions spéciales lors d’un dommage environnemental imminent et de se substituer à lui dans des cas exceptionnels.
Ainsi, l’État ne se contentera plus d’un rôle d’autorisation et de contrôle : il pourra désormais conseiller et négocier avec les entreprises les mesures préventives ou réparatrices qu’elles doivent prendre.
Il se voit donc confier un rôle central de régulateur entre les intérêts économiques des exploitants et les droits individuels et collectifs de préservation d’un bien public, la nature.
C’est, à mon sens, l’aspect le plus novateur de la directive : est inscrite, en filigrane, une véritable nouvelle gouvernance qui plaide pour le renforcement des corps administratifs de contrôle en moyens humains et financiers, pour de nouvelles pratiques de dialogue, garantissant une procédure contradictoire entre les opérateurs, l’administration et les associations, ainsi que pour, très probablement, le recours à des experts extérieurs à l’administration.
Enfin, au moment de la préparation et de la négociation de la directive, il a été décidé que celle-ci n’obligerait pas les exploitants à souscrire de garantie financière. On peut comprendre les arguments qui ont présidé à ce choix.
Il n’en reste pas moins que la question de la couverture financière du risque est posée. Un régime assurantiel peut-il y faire face ? Ce n’est pas évident ! Qu’en est-il des fonds d’indemnisation ou de techniques financières innovantes ?
C’est la raison pour laquelle le rapport que la Commission européenne présentera au plus tard le 30 avril 2014 sera intéressant. Basé sur les rapports nationaux d’application de la directive, il permettra de formuler de nouvelles propositions, prenant en compte, nous l’espérons, l’expérience pratique de ces quelques années.
À un moment où la jurisprudence évolue, notamment par le jugement relatif au naufrage de et à la marée noire qu’il a provoquée, qui reconnaît pour la première fois l’existence d’un préjudice écologique résultant de l’atteinte portée à l’environnement, à un moment où l’Union européenne propose des sanctions pénales pour les délits les plus graves d’atteinte à l’environnement, le présent texte constitue une réelle innovation : il tente de concilier la protection de l’environnement, qui relève de l’intérêt général et du long terme, avec la liberté d’entreprendre et le développement des activités économiques, souvent industrielles.
Il va sans dire que nous apporterons notre entier soutien aux initiatives de notre collègue rapporteur, qui a justement proposé d’élargir ce projet de loi à la transposition d’autres directives environnementales. Ses amendements relatifs à la directive de 2004 sur la responsabilité environnementale permettent de se rapprocher au plus près du texte de la directive, notamment en ce qui concerne les définitions, et ce pour une plus grande sécurité juridique.
Dans ces conditions, le groupe UMP votera ce texte.