Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi arrive enfin en première lecture devant le Sénat. Il représente un pas supplémentaire vers une meilleure conformité de notre législation aux normes communautaires environnementales et surtout il constitue une avancée sensible en faveur du principe de réparation du dommage écologique pur.
Toutefois, ce texte n’est pas facile d’accès. Notre assemblée ayant le redoutable privilège de l’examiner en premier, il faut savoir gré à la commission des affaires économiques et à son rapporteur, Jean Bizet, de nous avoir éclairés efficacement sur sa portée et sur les marges de manœuvre dont nous disposons dans le cadre de la transposition de la directive.
Le travail parlementaire, cela a été dit, est extrêmement contraint. Un délai supplémentaire n’aurait pas été superflu, notamment pour examiner les quarante-six amendements portant sur des sujets aussi divers que la lutte contre l’effet de serre, le renforcement de la répression de la pollution marine, la qualité de l’air, les produits biocides et autres dispositions diverses d’adaptation au droit communautaire de l’environnement.
Permettez-moi ici de saluer cette volonté forte de mise en conformité avec les directives européennes, même si je tiens aussi à dire que le respect du droit communautaire n’est pas forcément, et surtout pas uniquement, un problème de transposition. Le plus souvent, en effet, il s’agit d’une question d’application effective du droit de l’Union dans un contexte où l’Europe nous laisse le choix des moyens, mais nous impose une obligation de résultat. J’aurai l’occasion, dans les prochaines semaines, de refaire le point sur les contentieux en cours et les risques financiers qu’ils feraient courir à la France si celle-ci venait à être condamnée.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui sur la responsabilité environnementale définit un régime novateur, qui dépasse le cadre traditionnel de la responsabilité civile, la responsabilité pénale, ou même la responsabilité administrative.
La responsabilité environnementale consacre la réparation du dommage écologique pur causé aux biens communs comme l’eau, l’air, la faune ou la flore, là où les avancées législatives permettaient difficilement de dépasser la simple couverture du préjudice causé aux personnes et aux biens.
Nous sommes là en présence d’une application juridique opérationnelle du principe de réparation et du principe de prévention, inscrits tous deux dans la Charte de l’environnement adossée à notre Constitution.
La responsabilité environnementale participe également à l’application du principe pollueur-payeur, même si ce dernier ne se superpose pas complètement au principe de réparation.
Aujourd’hui, nous devons déterminer précisément les paramètres de ce nouveau régime de responsabilité. À quels biens environnementaux s’appliquera-t-il ? Pour quel type de dommages ? Quels seront les opérateurs économiques concernés ? Le dommage devra-t-il être réparé même si le pollueur n’a commis aucune faute ? Quelles sont les obligations qui pèseront sur les acteurs économiques, en termes de prévention et de réparation ?
La directive laisse des marges de manœuvre, s’agissant notamment des exonérations possibles ou de la question des instruments de garanties financières.
La commission des affaires économiques a été préoccupée par les risques de distorsion de concurrence que pourrait faire peser sur nos entreprises un régime trop contraignant. Elle a été soucieuse d’établir « un compromis satisfaisant entre exigences économiques et protection des milieux naturels ».
Cette préoccupation est légitime, mais je considère que le champ d’application du texte est trop restreint, les causes d’exonération trop nombreuses et le système de garanties financières inexistant.
C’est pourquoi je défendrai trois amendements.
Le premier vise à inclure les activités nucléaires et le transport d’hydrocarbures dans le champ de la responsabilité environnementale. En effet, une harmonisation efficace à l'échelle nationale implique de prendre en compte l’ensemble des activités à risque et de ne pas en affranchir certaines au simple motif qu’elles font l’objet de conventions internationales.
Le deuxième amendement tend à remettre en cause la théorie dite « du risque de développement ». La responsabilité de l'exploitant doit être reconnue même si le risque n'est pas totalement identifié au moment des faits. Il s'agit tout simplement de décliner le principe de précaution.
Enfin, un troisième amendement a pour objet d’instaurer un système de provisionnement pour risques au sein des entreprises. En effet, un dispositif de garanties financières, ou d’assurances, aurait l’immense mérite de contraindre les entreprises à attribuer un prix aux dommages environnementaux qu’elles sont susceptibles de générer. Il permettrait de prévenir l’intervention des fonds de l’État ou des collectivités territoriales en dernier ressort, mais aussi de faire entrer les entreprises dans un cercle vertueux où la prise en compte du coût d’un dommage encourage à réduire ce dernier.
Par ailleurs, je m’opposerai à l’amendement de la commission des affaires économiques qui vise à simplifier la définition de l’exploitant par le biais d’une référence à la notion d’activité économique effective. En effet, une telle disposition aurait pour effet d’exonérer les sociétés mères, qui ne doivent pas se voir exemptées de toute responsabilité : dans son discours de clôture des travaux du Grenelle de l’environnement, le Président de la République lui-même s’était engagé à soutenir le principe de la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales en cas d’atteintes graves à l’environnement.
Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà les quelques réflexions et propositions que je souhaitais formuler à propos de ce projet de loi, afin que nous puissions mieux progresser dans la reconnaissance de la réparation du dommage écologique.