Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 27 mai 2008 à 16h15
Responsabilité environnementale — Demande de renvoi à la commission, amendement 97

Photo de Thierry RepentinThierry Repentin :

Le principe de la reconnaissance mutuelle entre les États implique que l’autorisation de mise sur le marché est quasiment automatique, sauf si l’État prouve l’existence de risques. Cette faculté suppose néanmoins de disposer de la capacité de démontrer ces effets néfastes.

En France, une série d’agences et d’organismes scientifiques peuvent concourir à ces évaluations : l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire et du travail, l’AFSSET, l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, et bien d’autres. J’ai bien compris que le rapporteur proposait que l’AFSSET devienne la seule agence chargée de l’expertise de ces autorisations.

Or c’est précisément la diversité des compétences de ces organismes et l’importance des moyens de recherche qui leur sont attribués qui offrent la garantie de la qualité des procédures d’expertise. La question de la tutelle administrative de ces organismes n’est que secondaire. Elle devient même marginale quand se pose le problème des crédits et de l’organisation de la recherche.

Vous comprendrez donc que les membres du groupe socialiste s’étonnent des modalités assez opaques de transposition d’une directive déjà transposée, qui ferait de l’AFSSET un pivot du dispositif. N’est-il pas déjà question, en effet, d’une réforme à venir des agences sanitaires, dans laquelle l’AFSSET pourrait, à terme, être absorbée par l’AFSSA ?

Pour vous donner une idée des enjeux, sous un angle un peu cocasse, je reviendrai sur la discussion récente que j’ai eue avec un responsable public breton. Lors de la réunion informelle et conviviale du 14 mai dernier – j’y reviens ! – un représentant du ministère, interrogé sur le contenu de la directive concernant la mise sur le marché des produits biocides, nous a indiqué que ces adaptations étaient secondaires. Il a pris l’exemple de la peinture utilisée pour tuer les parasites qui envahissent la coque des navires. En tant qu’élu d’un territoire de montagne – et c’est peut-être également le cas de mon collègue Daniel Reiner, qui était présent – je lui ai fait confiance. Mais d’autres membres du groupe socialiste qui sont élus de territoires ayant une façade maritime – Odette Herviaux, Jean-Louis Carrère, tout comme Daniel Raoul, qui est un grand navigateur – savent que ces peintures peuvent être dangereuses.

Effectivement, après recherche, il se trouve qu’il ne s’agit pas de n’importe quel produit : c’est du tributyl-étain, le TBT, utilisé dans certaines peintures antisalissures et identifié depuis longtemps comme le principal responsable d’une pollution côtière presque invisible. Je vous renvoie à une étude réalisée sur ce sujet par l’IFREMER en janvier 2006 ; l’exemple pourra vous faire sourire : « le TBT est toxique pour les mollusques à des concentrations très faibles. […] Ainsi, […] des modifications de la sexualité des gastéropodes marins tel que le bigorneau sont observées […] L’influence de concentrations similaires sur la calcification des coquilles d’huîtres creuses a été observée ».

La même note précise que la toxicité de ce composant est connue depuis le début des années quatre-vingt et qu’il n’a été partiellement interdit en France qu’en 2004. La marine nationale a d’ailleurs encore le droit de l’utiliser !

Très concentré dans les sédiments marins, le TBT a défrayé la chronique locale du nord du Finistère en 2005, quand des travaux d’aménagement portuaire ont été autorisés. Les ostréiculteurs se sont alors inquiétés des risques que l’utilisation de ces peintures pouvait faire peser sur leur production. Ce fait peut paraître anecdotique, voire étranger, pour des élus ne représentant pas des territoires côtiers. Mais pour les professionnels concernés, c’est tout, sauf anecdotique !

Madame le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, simplifier les procédures au risque de diminuer la capacité d’expertise de l’État, non !

Cet exemple amène à s’interroger, d’autant que le 6° de l’amendement n° 97, déposé par le Gouvernement, prévoit tout simplement d’habiliter ce dernier à procéder par ordonnance pour transposer des dispositions de la même directive. Convenez qu’il y a de quoi se poser des questions, surtout lorsqu’il s’agit de dispositions transposées sous une législature précédente, dont la majorité était différente. Sur ce point, il y avait peut-être matière à travailler, ce qui explique le dépôt de cette motion tendant au renvoi à la commission. Mais au-delà du renvoi éventuel, il n’y avait pas urgence sur ces sujets.

Il n’y avait d’ailleurs pas plus urgence à anticiper les dispositions d’une proposition de directive déposée au Sénat le 21 mars 2008, visant à modifier une directive déjà partiellement transposée relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions en cas d'infractions.

Par ailleurs, est-il utile de vous dire qu’il semble curieux de retrouver, là encore par la voie d’un amendement, une proposition tendant à modifier la transposition de la directive dite « D3E », transposition qui avait été réalisée complètement par votre majorité ?

Est-il également nécessaire de vous indiquer que, selon nous, la demande d’habilitation à procéder par ordonnance pour transposer le règlement REACH escamote totalement un débat fondamental pour notre pays, pour ses entreprises et leurs salariés, pour le voisinage de ces entreprises et les destinataires des produits mis sur le marché ?

En fin de compte, mes chers collègues, nous n’aurons procédé à aucune audition en commission pour bien appréhender l’impact des transpositions que nous nous apprêtons à examiner ! Sans doute une telle consultation aurait-elle pourtant été utile. Nous avons consacré une heure trente, ce matin, à l’examen du bien-fondé des amendements présentés en catastrophe, qu’ils soient issus du Gouvernement ou portés par des parlementaires de la majorité, à la demande, d’ailleurs, du Gouvernement.

Cette précipitation, coupable au regard des enjeux environnementaux concernés, nuit au respect du travail du Parlement, et, je le crains, des milieux terrestres et aquatiques visés par ces directives.

Elle se traduit d’ores et déjà – nous le savons depuis ce matin – par plusieurs avis négatifs de la commission saisie au fond sur des amendements du Gouvernement. C’est vous dire, compte tenu de l’audace que nous avons généralement à l’égard des amendements du Gouvernement, de quelle façon ont été appréciées les conditions d’organisation de ce débat. On peut d’ailleurs se demander si, en commission, nous sommes dorénavant saisis sur le fond ou seulement sur la forme !

Que le droit européen soit complexe, nous en convenons avec vous. Mais que, sous couvert d’urgence, vous entreteniez l’opacité, vous utilisiez la technique parlementaire – en inscrivant à l’ordre du jour la transposition d’une directive et en nous demandant de nous prononcer quasiment sur une dizaine de textes – et les subtilités d’un débat, que vous savez pourtant gagné d’avance, pour éviter que nous ayons le temps d’examiner au fond toutes les réformes que vous nous proposez, cela est décidément bien suspect.

L’enjeu du Grenelle de l’environnement ne justifierait-il pas, au contraire, un renvoi à la commission du projet de loi, pour que la représentation nationale se saisisse des enjeux et transforme les négociations du Grenelle de l’environnement en véritable projet de société ? Vous nous y avez d’ailleurs invités, madame le secrétaire d’État, ainsi que M. Jean-Louis Borloo, le 29 avril dernier au Sénat, devant les parlementaires membres du comité de suivi du Grenelle de l’environnement.

En vous demandant le renvoi à la commission, nous vous indiquons aussi que nous sommes prêts à construire conjointement avec vous ce projet de société, notamment à l’occasion de ces multiples transpositions ; vous nous avez même dit combien elles étaient « complexes et précises ».

C’est justement en vous rejoignant sur le choix de vos adjectifs que nous demandons une méthode de travail qui garantisse les conséquences de nos décisions à l’égard de la conservation et de la réparation des milieux soumis aux conséquences de l’activité humaine.

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