Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon avis s’est concentré cette année sur le bilan de la première année de la réforme de la voie professionnelle. Je tiens à rappeler que, à titre personnel, je n’étais pas opposée par principe à un parcours de bac professionnel en trois ans. Néanmoins, je m’inquiétais du sort des élèves les plus fragiles, qui perdaient un an pour se remotiver après des années de collèges souvent pénibles. Je souhaite saluer avant tout la mobilisation sans faille de l’ensemble des personnels, qui ont été mis à rude épreuve. Leur action a toutefois permis d’atténuer les répercussions d’une réforme précipitée sur la scolarité des élèves.
Le premier point positif à souligner, c’est que le discours de revalorisation de la voie professionnelle a été entendu par les familles. Pour les parents comme pour les élèves, le bac professionnel en trois ans est désormais un bac comme les autres. Il est chargé de la même valeur rituelle et porte la même espérance de promotion sociale. Cette appréciation globale ne peut cependant pas masquer des défauts d’organisation, ni un vrai risque de perte de substance de la voie professionnelle.
L’élaboration de la carte des formations et de la répartition des flux d’élèves entre le CAP et le bac professionnel est un enjeu capital. Je regrette l’orientation excessive vers le CAP à l’issue du collège. Cette dernière, parfois appelée orientation de « précaution », relève plus sûrement de l’orientation par l’échec, et par défaut bien entendu. Le danger serait de transformer le CAP en voie de relégation et de construire une voie professionnelle à deux vitesses.
En outre, force m’est de constater que les difficultés repérées l’année dernière sur le positionnement de la certification intermédiaire, sur l’effectivité des passerelles et sur la conduite de l’accompagnement personnalisé n’ont pas été réglées. Sont venues s’ajouter de nouvelles difficultés cette année, du fait de l’hétérogénéité croissante des classes et l’organisation défaillante des périodes de formation en milieu professionnel. Les entreprises ont perdu leurs repères et hésitent à accueillir les nouveaux élèves – certains ont parfois moins de quinze ans – qui sont d’ailleurs livrés à eux-mêmes pour trouver un stage.
J’avais évoqué l’an passé l’image d’une onde de choc pour caractériser la réforme du bac professionnel. Je préfère parler aujourd’hui d’un ébranlement des fondations de l’enseignement professionnel. Il existe un risque bien réel de « déprofessionnalisation » et de « technologisation » de la voie professionnelle. Cela résulte de la conjonction de plusieurs facteurs : un flux d’élèves traditionnellement orientés vers le technologique ; un affaiblissement de la rupture pédagogique avec le collège ainsi que de la formation en entreprise ; le déclassement du BEP comme diplôme professionnalisant ; l’insistance excessive sur l’accès au BTS. Cette évolution me paraît néfaste. Il faut impérativement préserver la spécificité de la voie professionnelle car elle donne aux élèves les moins à l’aise à l’école une chance de valoriser leurs aptitudes et de s’insérer socialement grâce à l’apprentissage d’un métier.
En outre, la mastérisation se télescope avec la réforme du bac professionnel, et leur articulation demeure problématique. Nous risquons d’assister au tarissement du vivier habituel de recrutement des professeurs de lycée professionnel. Les masters appropriés ont été créés à la hâte dans les universités et restent largement invisibles pour les candidats potentiels. Dans de nombreuses spécialités, un peu partout, on rencontre la même situation. Ainsi, personne ne s’est présenté pour suivre une formation en préparation au concours. À cela s’ajoutent des problèmes de financement qui freinent la reconversion de salariés, alors qu’environ la moitié du corps en est actuellement issue.
J’ai enfin été extrêmement frappée de constater une grande disparité entre les élèves du fait de la mise en œuvre de la réforme. Le pilotage ministériel me paraît insuffisant pour définir un schéma directeur garantissant l’égalité de traitement des élèves. Les politiques académiques prennent le pas sur le cadrage national et elles sont elles-mêmes minées par l’autonomie accrue des établissements. Je partage le souci de tenir compte de la réalité du terrain dont vous faites preuve, monsieur le ministre. Néanmoins, les divergences entre les académies et les établissements ont atteint un point qui ne me paraît pas acceptable, ni au nom de l’efficacité, ni au nom des principes.
C’est pourquoi, à titre personnel, je ne voterai pas les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».