Investir dans l’éducation, c’est permettre à un pays de s’enrichir, notamment par une augmentation des gains de productivité. L’OCDE l’a encore rappelé en septembre dernier. Nous ne pouvons que déplorer l’absence de prise en compte des recommandations de cette instance internationale par le Gouvernement.
Je vous le demande en effet, monsieur le ministre : avec une hausse de 1, 5 % du budget de l’enseignement scolaire, hausse équivalente à l’inflation, peut-on sérieusement prétendre que nous traitons l’éducation comme un secteur d’avenir de notre pays ? Les 61, 79 milliards d’euros que vous nous proposez n’atteignent même pas les objectifs prévus au titre de la programmation pluriannuelle 2009-2011, à savoir 63, 2 milliards d’euros.
La mission « Enseignement scolaire », loin de représenter une priorité, est emblématique des économies réalisées par le Gouvernement, même si elle absorbe 21, 6 % des crédits de paiement du budget général de l’État.
Pour masquer les nombreuses coupes sévères, des expérimentations sont régulièrement annoncées dans les médias, comme le dispositif CLAIR, les internats d’excellence, les ERS. Mais ce ne sont pas ces quelques initiatives créées dans la précipitation – on en voit parfois les résultats – et sans concertation avec les personnels concernés qui nous permettront de faire oublier les accablants résultats décriés par les rapports et classements nationaux et internationaux.
Permettez-moi seulement de vous rappeler que, parmi les élèves de quinze ans de trente pays européens, la France occupe désormais le dix-septième rang pour la compréhension de l’écrit et la culture mathématique et le dix-neuvième rang pour la culture scientifique. Quelques expérimentations ciblées ne font donc que masquer l’absence de la véritable politique globale d’éducation dont notre pays a besoin.
Les conséquences des sacrifices de l’éducation nationale sont nombreuses.
La réduction continue des postes depuis cinq ans, alors que les effectifs d’élèves sont en constante augmentation, est la preuve même que le Gouvernement n’a qu’une obsession : faire des économies ! Vous avez déjà supprimé près de 50 000 postes en quatre ans et vous voulez encore en éliminer 16 000 en 2011. Comment pensez-vous être crédible lorsque vous prétendez que l’éducation reste une priorité du Gouvernement ?
On a bien vu que vous essayez de regonfler le solde officiel des emplois pour 2011 en le majorant de 20 000 emplois « retrouvés ». Mais la situation sur le terrain n’est plus tenable dans beaucoup d’établissements.
Les conséquences néfastes de ces suppressions massives de postes sont fortement ressenties par les élèves et leurs parents.
Du côté du personnel de l’éducation nationale, un climat de tension généralisée règne, la démotivation et le découragement s’installent progressivement. Les chefs d’établissement et les équipes de direction sont cantonnés dans une gestion de moyens de plus en plus difficile et ils ont perdu toute marge d’autonomie.
La rentrée de 2010 a représenté pour beaucoup le summum du recul de ces dernières années. Il est à craindre que la situation ne fera qu’empirer l’année prochaine.
Quant aux étudiants qui souhaiteraient devenir professeurs, ils sont découragés avant même d’avoir commencé leur métier et parfois avant même d’avoir commencé leurs études.
Un exemple démonstratif : en septembre dernier, au concours de professeur des écoles dans l’académie de Créteil, seuls 1 324 candidats ont tenté leur chance à l’écrit, contre 2 747 l’an dernier. Comment souhaitez-vous motiver les nouvelles générations à entrer à l’éducation nationale ?
Ce qu’on leur offre aujourd’hui se résume à bien peu de chose : pas de formation professionnelle, pas de moyens suffisants pour mener à bien leurs projets éducatifs. Il est évident que les témoignages actuels ne donnent pas envie de poursuivre dans cette voie professionnelle. Le nombre de démissions et d’arrêts maladie des stagiaires à deux mois de cette rentrée 2010 est d’ailleurs un signe alarmant.
L’éducation n’est plus une priorité politique. Derrière la quasi-stagnation du budget de cette mission dans son ensemble se cachent d’importantes réductions de moyens. Ainsi, les dépenses de fonctionnement ou celles d’intervention du premier degré enregistrent des baisses respectives de 6, 4 % et de 5 %. Dans le secondaire, les crédits pédagogiques diminuent de 5 % pour le collège et de 7, 22 % pour le lycée général et technologique.
En revanche, l’enseignement privé est privilégié puisque, proportionnellement, on y supprime deux fois moins de postes que dans l’enseignement public. Pourtant, dans le premier degré, les établissements privés accueilleront 2 400 élèves de moins que cette année, alors que les établissements publics verront leurs effectifs augmenter de 3 900 élèves.
C’est l’idée même d’école républicaine qui est aujourd’hui menacée : l’idée d’une école pour tous, qui donne ses chances à tous.
Je pense ainsi à la réduction continue des réseaux d’aides spécialisés aux élèves en difficulté, RASED, qui ne sont plus affectés sur leur « cœur de métier », à la confusion que vous entretenez entre aide personnalisée et aide spécialisée. Je pense aux enfants handicapés, pour qui la possibilité même d’être scolarisés est compromise. Je pense aux enfants de deux ans à qui l’école ferme ses portes, alors que les bénéfices d’un accueil anticipé sont unanimement démontrés. Je pense aux élèves qui quittent l’école primaire en rencontrant des difficultés, et pour qui le choc du passage au collège est brutal, et souvent fatal. Je pense à tous ceux qui subissent leur orientation au lieu de la choisir. Je pense à tous ceux qui redoublent sans pour autant sortir de l’échec scolaire.
Un chiffre, que tout le monde connaît et dénonce, est révélateur de la situation : 150 000 élèves quittent chaque année le système scolaire sans diplôme ni qualification. Il est facile de déclarer que demain tous les enfants de CE1 sauront lire. Mais encore faut-il se donner les moyens d’y parvenir. Le socle commun de connaissances et de compétences doit être acquis par tous les élèves à la fin du collège.
Les enquêtes et rapports se multiplient pour pointer les failles de notre système éducatif. Et ces failles ne vont pas en se comblant, loin s’en faut. Le haut conseil de l’éducation est sans appel : « Non seulement le collège ne parvient pas à réduire les inégalités scolaires d’origine sociale, mais il aurait même tendance à les accroître. » Là encore, les chiffres de nos voisins européens devraient nous faire réfléchir : en France, un lycéen de milieu défavorisé a deux fois moins de chances d’entrer dans l’enseignement supérieur qu’un Espagnol ou un Irlandais de même milieu.
Face à ces échecs, il faut agir énergiquement et prioritairement. Vous et vos amis de l’UMP, monsieur le ministre, avez l’habitude de clamer que les socialistes ne proposent rien. Permettez-moi de faire la démonstration du contraire. Ne faites pas semblant de ne pas entendre nos propositions.
La formation des maîtres par exemple, ne doit pas être décomposée mais plutôt renforcée, afin de leur donner la possibilité de transmettre le socle commun de connaissances et de compétences inscrit dans la loi de 2005, mais aussi de leur permettre d’individualiser la pédagogie en fonction des besoins variables des élèves. Par ailleurs, une réelle autonomie, en termes de dotation, doit être accordée à tous les établissements, pour la mise en œuvre de leurs projets.
Le programme socialiste prévoit également de concrétiser l’idée de mixité sociale en reconsidérant la sectorisation et en créant un indice de mixité sociale, y compris pour les établissements privés. Le collège ne doit plus être conçu seulement comme une antichambre du lycée d’enseignement général mais bien comme une continuité logique de l’école élémentaire, pour qu’en fin de scolarité obligatoire soit acquis le socle commun de connaissances et de compétences. Les liens entre les lycées et l’enseignement supérieur doivent être renforcés pour permettre à un plus grand nombre d’étudiants d’acquérir un diplôme.
Voilà des propositions claires et structurantes, susceptibles d’aider tous les élèves, le corps enseignant, et d’assurer la pérennité de l’école républicaine.
Pour conclure, je vous livrerai une pensée de Condorcet que je vous invite, monsieur le ministre, à méditer : « La nation qui a les meilleures écoles est la première nation au monde. Si elle ne l’est pas aujourd’hui, elle le sera demain. » Comptez sur les socialistes pour qu’il en soit ainsi dans un proche avenir sinon un avenir proche !