La mission interministérielle « Enseignement scolaire » aura, en 2011, le plus gros budget au sein de la loi de finances, représentant 21, 6 % des crédits de paiement et 49 % des emplois autorisés. Est-ce pour autant un motif de satisfaction, monsieur le ministre ? Permettez-moi simplement de vous rappeler la formule emblématique de Michelet : « Quelle est la première partie de la politique ? L’éducation. La seconde ? L’éducation. Et la troisième ? L’éducation. »
Cette mission est, bel et bien, la plus fondamentale de toutes et il est tout à fait normal qu’elle bénéficie de moyens exceptionnels. Cette année, pourtant, avec 39 000 élèves de plus inscrits dans le second degré, le budget de la mission n’augmente que d’à peine 1, 6 %. Cette augmentation de façade cache en réalité la politique de ressources humaines plus que catastrophique induite par la révision générale des politiques publiques, RGPP.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. À la rentrée 2008, 11 200 postes d’enseignants avaient été supprimés, puis 13 500 en 2009 et 16 000 en 2010. Pour 2011, ce sont encore 16 000 postes qui vont disparaître. Au total, plus de 50 000 postes auront été supprimés depuis 2007. Comment espérer remédier aux nombreux maux dont souffre l’école, avec toujours moins de personnel et de moyens ? Les rapports sur la situation alarmante de l’école primaire, du collège et du lycée se suivent et se ressemblent. Même les analyses internationales pointent du doigt les dysfonctionnements de notre système éducatif.
C’est pourquoi je regrette amèrement les choix budgétaires de votre gouvernement. En 2007, la France avait 22, 6 élèves par classe en primaire et 24, 3 dans le secondaire, plus que la moyenne de l’OCDE, soit respectivement 21, 4 et 23, 9 élèves. À chaque rentrée scolaire, la question des effectifs par classe ressurgit. Les enseignants et les familles sont de plus en plus inquiets, surtout dans les établissements les plus défavorisés, premiers touchés par les conséquences dramatiques des classes surchargées.
Toujours selon l’OCDE, le système français est devenu l’un des plus inéquitables. Triste bilan pour votre gouvernement ! Ainsi, au fil de la scolarité les inégalités se creusent, et les enfants les plus défavorisés n’acquièrent même plus à l’école le socle commun minimum. Ils ne parviennent plus à se hisser vers l’enseignement supérieur, alors que c’était le cas jusque dans les années soixante-dix. L’ascenseur social est en panne. L’école de la République n’assure plus l’égalité des chances qui, pourtant, constitue la base de notre pacte républicain et de notre cohésion sociale.
Alors, monsieur le ministre, pourquoi continuez-vous à ne considérer le budget de l’éducation nationale qu’à travers le spectre de la logique comptable et de la réduction des dépenses publiques ? Centrer la politique scolaire sur la diminution du nombre de fonctionnaires est une orientation désastreuse, qui conduit à fragiliser davantage encore les académies, pourtant censées devenir de véritables centres de décision dotés des moyens nécessaires à leurs missions.
Si je redoute les conséquences de ces restrictions d’ordre quantitatif, je crains tout autant le risque d’une diminution de la qualité de l’enseignement, liée à votre réforme du mode de recrutement et de formation des enseignants. Le bilan de la mastérisation est plus que mitigé. Les crédits accordés à la formation sont diminués de plus de 40 %, et les enfants sont désormais confiés à temps plein à des stagiaires qui n’ont jamais reçu la moindre formation pédagogique. C’est dramatique.
Le problème du remplacement des enseignants absents est aussi aggravé par la mise en place de ce nouveau système de recrutement. Faudra-t-il recruter de nouveaux remplaçants pour compenser l’absence des nouveaux stagiaires ? Non, vous préférez nous proposer de créer un vivier constitué de retraités ou d’étudiants ! Est-ce de cette façon que vous souhaitez, monsieur le ministre, atteindre l’objectif pour 2011 d’un taux de remplacement de 94 % dans le primaire et de 96 % dans le secondaire ? J’ai du mal à croire que ces mesures déraisonnables puissent améliorer l’accompagnement des élèves vers la réussite.
Je voudrais aussi aborder le cas particulier de la réforme de la voie professionnelle et de son bac en trois ans, qui, malgré mes inquiétudes, a été bien accueillie. Les passerelles entre les différentes filières fonctionnent. Par exemple, 12 % des élèves ont emprunté la passerelle menant de la dernière année de CAP vers une première professionnelle en 2009, contre 0, 15 % en 2008 ; c’est un succès ! Pour qu’il soit complet, de nouveaux efforts doivent être consentis pour assurer un accompagnement personnalisé indispensable des élèves de cette filière qui choisiraient de continuer vers le BTS.
De plus, la revalorisation du bac professionnel ne doit pas conduire à la dévalorisation du CAP. Il faut donc mettre tout en œuvre pour que les effets positifs de la réforme ne soient pas qu’un feu de paille. Je m’inquiète des effets de la mastérisation. Jusqu’à présent, les enseignants étaient pour la plupart des professionnels, et c’était un gage de la transmission des savoirs. C’est pourquoi cette réforme de la formation crée sans aucun doute des tensions.
Par ailleurs, pour aller de l’avant dans la revalorisation des filières, il est indispensable et urgent de moderniser notre méthode d’orientation. L’enseignement professionnel est encore aujourd’hui considéré par un trop grand nombre de conseillers d’orientation, d’enseignants et de familles comme une voie de relégation pour les élèves en difficultés. Dans cette même logique, l’organisation actuelle du collège doit être repensée afin que la filière professionnelle constitue définitivement une orientation choisie par des élèves motivés.
Enfin, avant de conclure, je voudrais évoquer la situation des personnels non enseignants, qui ne sont pas épargnés par vos choix budgétaires.
Les emplois de vie scolaire sont directement menacés par la baisse du taux de prise en charge des contrats aidés, pénalisant ainsi les écoles, qu’elles soient situées en banlieue ou en zone rurale.
Les crédits consacrés aux AVS, indispensables à la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire, ont été légèrement augmentés par l’Assemblée nationale, mais ils demeurent très insuffisants. La précarité reste de mise ; le problème de la continuité des contrats est alarmant. Les enfants sont accompagnés par un AVS qui, le plus souvent, change en cours d’année scolaire. La relation qui s’établit dans le temps est une relation de confiance, personnalisée, humaine et n’est donc pas interchangeable, du moins pas sans conséquences affectives et matérielles pour le confort de l’enfant et la sérénité de sa scolarisation.
Pour toutes ces raisons, il est urgent de pérenniser les contrats d’AVS. Il s’agit d’un véritable métier, …