Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je relève que M. Fortassin n’a remis en cause ni le principe du cumul ni celui de la rémunération, ce qui montre bien qu’il s’agit d’une question de principe, et je le remercie des propos qu’il a tenus à l’égard de la commission des lois. Nous avons effectivement abordé ce dossier dans toute sa complexité.
Comme il l’a lui-même indiqué, le problème posé concerne un grand capitaine d’industrie. Il est essentiel que la France ait de grandes industries pour défendre ses intérêts : encore faut-il qu’elle ait de grands capitaines, et encore faut-il que les règles fixées permettent que leur nomination se déroule dans des conditions non discutables.
J’ai donc l’honneur de rapporter la proposition de loi déposée par notre collègue Yvon Collin et plusieurs membres du groupe du RDSE tendant à interdire ou à réglementer le cumul des fonctions et des rémunérations de dirigeant d’une entreprise du secteur public et d’une entreprise du secteur privé.
Ce texte ne saurait être extrait de son contexte, à savoir que l’État envisage de nommer à la tête d’EDF l’actuel président de Veolia qui, tout en abandonnant ses fonctions de directeur général, conserverait celles de président.
Compte tenu des débats qu’a provoqués récemment une autre nomination, il est bon que de telles décisions interviennent dans la plus grande transparence alors même que le contexte juridique est complexe et les pratiques insuffisamment encadrées.
Le cumul de fonctions est-il possible au regard de la loi ? La réponse est oui. Le cumul de rémunérations est-il possible entre fonctions publiques et privées ? La réponse est oui.
Dans le premier cas, la loi fixe un cadre très précis. Est-ce suffisant ? Peut-être pas. Dans le second cas, la loi est, c’est le moins que l’on puisse dire, peu contraignante ou discrète, selon qu’il s’agit d’entreprises publiques ou privées, et la pratique l’emporte fréquemment sur les textes. Est-ce satisfaisant ? Peut-être pas.
Aux termes du décret du 30 mars 2009 relatif aux conditions de rémunération des dirigeants des entreprises aidées par l’État ou bénéficiant du soutien de l’État du fait de la crise économique et des responsables des entreprises publiques, « le ministre chargé de l’économie veille à ce que [ces entreprises] respectent des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique ». C’est donc sous l’angle de cette exigence de droit et de pratique que nous devons examiner la proposition de loi qui nous est soumise.
J’aborderai tout d’abord la limitation du cumul des fonctions de dirigeant mandataire social dans les sociétés commerciales.
Dans la mesure où de nombreuses entreprises du secteur public sont constituées sous la forme de sociétés anonymes dotées soit d’un conseil d’administration, soit d’un directoire et d’un conseil de surveillance, s’appliquent à elles les conditions relatives au cumul des mandats sociaux figurant dans le code de commerce.
La loi fixe des règles de limitation propres à chaque type de sociétés anonymes. Ainsi, dans les sociétés dotées d’un conseil d’administration, un même administrateur ne peut détenir plus de cinq mandats sociaux ; on ne peut exercer qu’un seul mandat de directeur général de société anonyme ou de président de directoire. Ces règles ne valent que pour les sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français et sont de surcroît assouplies pour les filiales.
Au-delà des règles de droit, les entreprises se sont engagées d’elles-mêmes, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, à respecter certains principes dits de « gouvernement d’entreprise » définis par leurs pairs. Ainsi, le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et l’Association française des entreprises privées, l’AFEP, ont adopté à l’usage de leurs adhérents un « code de gouvernement d’entreprise ». De telles règles sont relativement usitées dans les pays anglo-saxons, où elles sont souvent qualifiées de « soft law » : leur violation n’est pas juridiquement sanctionnée.
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Parlement est amené à exercer un contrôle direct sur la nomination par le Président de la République à certains emplois. L’article 13 de la Constitution prévoit ainsi en son cinquième alinéa : « Une loi organique détermine les emplois ou fonctions […] pour lesquels, en raison de leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation, le pouvoir de nomination du Président de la République s’exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. »
Cette disposition permet en conséquence de soumettre au veto du Parlement la nomination des dirigeants de certaines entreprises publiques indépendamment de leur statut juridique. Le projet de loi organique relatif à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, adopté par l’Assemblée nationale le 29 septembre 2009, comporte l’énumération limitative des onze entreprises qui pourront être concernées, parmi lesquelles EDF.
Avant même l’adoption définitive par le Parlement des projets de loi organique et ordinaire relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. Henri Proglio a été entendu respectivement par la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, le 27 octobre dernier, et par la commission de l’économie du Sénat, le 28 octobre dernier, dans la perspective de sa désignation par décret du Président de la République aux fonctions de président-directeur général d’EDF, annoncée pour la date du 25 novembre prochain.
Nous ne pouvons que nous féliciter d’une initiative destinée à assurer la transparence de cette nomination alors même que l’article 13 de la Constitution, dans l’attente des lois organique et ordinaire relatives à son application, n’est pas encore entré en vigueur.
J’en viens à la question des rémunérations.
La rémunération des dirigeants mandataires sociaux fait depuis 2001 l’objet d’un encadrement de plus en plus strict, soit en vertu de la loi, soit en vertu du règlement. S’y sont ajoutés des principes de bonne gouvernance définis par les entreprises elles-mêmes.
Le dispositif législatif applicable aux sociétés commerciales est précis. La rémunération des dirigeants de sociétés relève d’abord de la compétence des organes sociaux de celles-ci, avec certaines limitations. Des règles de procédures ont été prévues, en particulier le passage par le mécanisme des conventions réglementées. Des interdictions de fond s’appliquent notamment aux éléments de rémunération dont le bénéfice n’est pas subordonné au respect de conditions liées aux performances du bénéficiaire.
De longue date s’applique une réglementation particulière à l’égard des rémunérations des dirigeants des entreprises publiques. Cette réglementation se cumule avec celle qui est éventuellement applicable à ces entreprises à raison de leur statut de sociétés commerciales. La détermination de la rémunération de ces dirigeants, le traitement et les autres éléments de rémunération d’activité s’opèrent dans le cadre d’un contrôle ministériel, par décision conjointe du ministre chargé de l’économie et des finances et du ministre intéressé.
Des règles de bonne gouvernance ont également été imposées par les entreprises elles-mêmes. En matière de rémunérations, le code de gouvernance d’entreprise établi par l’AFEP et le MEDEF pose certains principes pour la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et définit le rôle du conseil d’administration. Il prévoit ainsi que la détermination de la rémunération des dirigeants mandataires sociaux relève de la responsabilité des conseils d’administration ou de surveillance et se fonde sur les propositions du comité des rémunérations.
Lors de son audition, Mme Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires, l’ADAM, est allée plus loin dans son exigence, considérant que, si les règles de notre économie posent le principe de la liberté, qui ne doit pas être remis en cause, il n’en convient pas moins que la détermination des rémunérations des dirigeants de société soit mieux encadrée.
Aussi estime-t-elle que, bien qu’il revienne effectivement au conseil d’administration d’apprécier le montant de la rémunération et de ses accessoires, l’encadrement de ces rémunérations doit être fixé statutairement par l’assemblée générale des actionnaires, les conseils d’administration n’offrant pas les garanties nécessaires de transparence. L’actualité récente concernant d’anciens dirigeants de très grandes entreprises françaises ne fait que confirmer cette appréciation.
Je souhaite maintenant revenir sur l’audition de M. Proglio, puisqu’elle a été évoquée. Menée par la commission de l’économie le 28 octobre dernier, elle aura permis de préciser plusieurs points importants.
M. Proglio est membre d’EDF depuis 2004 et, en cette qualité, en préside le comité stratégique sans avoir connu jusqu’aujourd’hui de conflit d’intérêt.
L’ensemble des décisions et des positions d’EDF et de Veolia concernant la filiale commune aux deux sociétés, la société Dalkia, ont été prises par les deux groupes dans le respect d’obligations de transparence répondant aux normes internationales les plus élevées.
Pour ce qui est des fonctions de dirigeant de Veolia, le conseil d’administration a procédé au transfert des pouvoirs exécutifs au nouveau directeur général, conformément aux dispositions du droit des sociétés précédemment évoquées.
Au sujet de sa rémunération, M. Proglio a souligné qu’au sein de Veolia il bénéficiait du vingt-huitième salaire, par ordre d’importance, parmi les patrons du CAC 40, et que son souhait était de conserver, pour les deux fonctions cumulées, un niveau de rémunération comparable. Il s’est engagé à limiter ses droits à la retraite, qui se trouveraient ainsi figés, et à renoncer à toute distribution nouvelle d’options, engagement confirmé le 30 octobre dernier par un communiqué de Veolia.
Dans un tel contexte, avons-nous intérêt à légiférer ?
Il n’y a sans doute pas lieu d’interdire dans son principe la possibilité d’un cumul de fonctions de direction dans une entreprise du secteur public et dans une entreprise du secteur privé, non plus que celle d’un cumul de rémunérations. En revanche, se pose effectivement la question légitime de l’intérêt d’un encadrement de cette pratique afin que celle-ci n’intervienne qu’après un examen approfondi, au cas par cas, de sa pertinence.
La proposition de loi avait pour objet de soumettre l’examen de la possibilité de cumul de fonctions à la commission de déontologie, qui exerce un double contrôle. Le premier est destiné à prévenir la constitution de toute situation de conflit d’intérêt constitutif du délit de prise illégale d’intérêts sanctionné par l’article 432-13 du code pénal. Le second, de nature déontologique, est destiné à éviter la survenue de certaines situations, bien que les faits concernés ne puissent être qualifiés pénalement.
Le droit en vigueur permet de surcroît l’intervention de la commission de déontologie à l’égard d’un fonctionnaire qui serait nommé dirigeant d’une entreprise intervenant dans le secteur concurrentiel, dans un délai de trois ans suivant sa nomination et au regard des fonctions précédemment exercées.
Si la saisine de la commission de déontologie a toute sa pertinence lorsqu’il s’agit d’apprécier la situation d’un fonctionnaire entrant dans le secteur privé, il n’en va pas de même dans le cas du dirigeant d’une société privée entrant dans une société publique. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a été amenée à considérer que l’examen d’une telle situation devait relever de l’Agence des participations de l’État, l’APE. Celle-ci serait donc appelée à donner son avis sur la nomination à des fonctions de dirigeant mandataire social dans une entreprise du secteur public d’une personne exerçant des fonctions similaires dans une entreprise du secteur privé.
Afin d’assurer le respect de l’article 13 de la Constitution, il reviendrait au ministre de l’économie, lorsque est concernée l’une des entreprises publiques relevant de cette protection constitutionnelle, de transmettre l’avis de l’APE aux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat avant que celles-ci ne rendent leur avis.
Nous avons lu sur ce point une proposition d’amendement du Gouvernement tendant à préciser les conditions d’information des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, mais uniquement dans le cadre de cet article 13. Il vous est donc demandé, madame la secrétaire d’État, de vous engager explicitement à ce que le champ de cette proposition, qui, dans la forme, est plus que satisfaisante, soit étendu aux dirigeants des entreprises ne relevant pas de l’article 13 qui se trouveraient dans une situation identique, et que leur nomination fasse l’objet d’un avis de l’APE qui serait annexé au rapport annuel de l’agence.
C’est sous le bénéfice de ces observations et des engagements sollicités que je vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi soumise à notre assemblée dans la forme arrêtée par la commission des lois.
Madame la secrétaire d’État, vous me permettrez de conclure en formulant un vœu.
Dans sa préface au rapport annuel, intitulé L’État actionnaire, établi par l’APE pour 2009, Mme Christine Lagarde précise : « L’État, en tant qu’actionnaire d’entreprises de notre pays, doit en permanence les amener à converger vers trois priorités qui sont les siennes : contribuer à l’avenir industriel de la France, créer de la valeur pour notre économie et fournir aux 1, 5 million de salariés concernés des perspectives d’emploi. » Je souhaiterais, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement, dans le droit-fil des exigences formulées dans le décret du 30 mars 2009, y ajoute une quatrième priorité : le respect par ces entreprises des règles et principes de gouvernance d’un haut niveau d’exigence éthique.