Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre assemblée est saisie de la proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public, adoptée par l'Assemblée nationale le 30 juin dernier.
Malgré les efforts entrepris par les pouvoirs publics au cours de la dernière décennie, le phénomène des bandes persiste et, dans certains quartiers défavorisés, il s'enracine et trouble gravement les conditions d’existence de nos concitoyens qui y vivent.
Dans le prolongement des engagements pris par le Président de la République au lendemain des graves violences commises en mars 2009 dans un lycée de la région parisienne, M. Christian Estrosi, alors député, a déposé la présente proposition de loi.
Tout en souscrivant à l’objectif de mieux prendre en compte la spécificité du phénomène des bandes, la commission des lois a souhaité apporter un certain nombre de modifications à ce texte, dans le respect des principes fondamentaux de notre droit pénal et de la cohérence de l’échelle des peines.
Je partirai du constat de la spécificité du phénomène des bandes, avant d’évoquer les modifications apportées au texte par la commission. Je conclurai en attirant l’attention du Gouvernement sur un certain nombre de points qui nous semblent importants.
Pour ce qui est tout d’abord du constat, depuis plusieurs décennies, les grandes agglomérations françaises sont périodiquement traversées par des flambées de violences émanant le plus souvent de jeunes gens issus de quartiers défavorisés : cité des Minguettes à Vénissieux, en 1981 puis en 1983, Vaulx-en-Velin en 1990, Nîmes en 2003, etc.
Pourtant, pendant de nombreuses années, les pouvoirs publics n’ont pas semblé prendre la mesure du caractère spécifique du phénomène des bandes violentes. D’après les personnalités que j’ai entendues, et notamment des sociologues, la notion de « bande » ne fait réellement l’objet d’une attention particulière que depuis cinq à six ans. De ce fait, peu de données objectives sont disponibles pour tenter de cerner précisément ce phénomène.
Selon une étude réalisée par la direction centrale de la sécurité publique en mars 2009, il existerait 222 bandes violentes en France, regroupant environ 2 500 membres réguliers et autant de membres occasionnels. Les quatre cinquièmes de ces bandes seraient localisées en région parisienne, et un peu moins de la moitié de leurs membres seraient âgés de moins de dix-huit ans.
À la différence des gangs américains, qui comptent parfois plusieurs milliers de membres, les bandes françaises les plus structurées ne comporteraient guère plus de cinquante personnes.
En outre, il est important d’opérer des distinctions. En particulier, il est essentiel de distinguer les « bandes » des groupes politiques extrémistes, tels que ceux qui se sont manifestés au sommet de l’OTAN à Strasbourg, en avril 2009, ou à Poitiers, voilà quelques semaines.
À la différence de ces groupes d’extrémistes, qui agrègent au gré des manifestations des individus ne partageant pas de vie en commun, les bandes constituent de véritables formes de sociabilité alternative. La notion de territoire revêt pour elles une valeur quasi sacrée, le groupe ne fonctionne que collectivement, les actes de violences sont toujours accomplis en commun, le plus souvent dans des territoires « neutres » tels que les espaces scolaires ou les transports en commun.
Les pouvoirs publics n’ont pas attendu le dépôt de cette proposition de loi pour lutter contre les violences urbaines. L’action engagée par les pouvoirs publics à cet effet a d’ailleurs produit des résultats significatifs : la délinquance urbaine a baissé de 33 % entre le 1er janvier 2002 et le 31 décembre 2008.
Néanmoins, d’après les informations que j’ai recueillies, ces données globales masquent une certaine radicalisation des phénomènes de violences, concentrés sur un nombre restreint de quartiers en difficulté et d’individus au passé judiciaire lourd.
Dans un avis rendu en janvier 2008, le Conseil national des villes a mentionné l’existence de noyaux durs et pérennes de jeunes délinquants dans un certain nombre de quartiers en difficulté.
En outre, un double constat semble faire l’unanimité. D’une part, les agressions perpétrées contre les forces de l’ordre sont en hausse : les violences à personnes dépositaires de l’autorité publique se sont accrues de plus de 4 % entre 2007 et 2008, atteignant environ 26 000 faits signalés par an. D’autre part, ces violences se caractérisent par une banalisation du recours aux armes : le nombre de ports et de détention d’armes prohibées a augmenté de plus de 9 % entre 2007 et 2008.
Face aux violences commises en groupes, notre droit pénal n’est certes pas totalement démuni.
En premier lieu, notre droit punit des mêmes peines que l’auteur des faits le complice de l’infraction.
En deuxième lieu, la législation pénale considère dans un grand nombre d’hypothèses le fait que l’infraction ait été commise par plusieurs individus agissant en groupe comme une circonstance aggravante. Deux situations sont envisagées par le code pénal : celle de la commission en réunion et celle, plus grave, de la commission en bande organisée.
En troisième lieu, notre droit reconnaît, depuis le code napoléonien de 1810, l’existence d’un délit d’appartenance à une association de malfaiteurs, aujourd’hui défini par le code pénal comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation – le terme est important –, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».
Enfin, les groupements spontanés peuvent être poursuivis sur le fondement du délit d’attroupement, armé ou non, défini par le code pénal comme « tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ».
De leur côté également, les tribunaux n’hésitent pas à retenir la responsabilité de tous les membres d’un groupement informel qui s’est rendu coupable d’un crime ou d’un délit, dès lors qu’une faute peut être imputée à chacun d’entre eux.
Néanmoins, l’ensemble de ces mesures n’apparaît pas tout à fait suffisant pour lutter efficacement, de façon préventive, contre les violences commises en groupes. En effet, les dispositions relatives aux attroupements visent plutôt les violences commises par des groupes politiques extrémistes, et les mesures relatives à la criminalité organisée et l’association de malfaiteurs concernent les bandes criminelles présentant un certain degré d’organisation et une activité inscrite dans la durée.
En revanche, notre droit ne parvient pas à prévenir de façon suffisamment efficace les violences commises par des bandes informelles, peu structurées, constituées sur une base territoriale et se livrant de façon régulière à des formes de délinquance allant de simples actes d’incivilités à des délits graves. Ce sont ces groupes que tente de prendre en compte la présente proposition de loi.
La commission des lois a donc entendu conforter la démarche des députés. Néanmoins, son attention a été appelée sur un certain nombre de difficultés que pourrait susciter l’application de ce texte par les forces de sécurité ou par les juridictions. C’est pourquoi elle a souhaité modifier le texte en étant guidée par trois grandes préoccupations.
Premièrement, la commission a souhaité amender ou supprimer les dispositions qui lui paraissaient susceptibles d’ouvrir la voie à une forme de responsabilité collective, qui serait incompatible avec les principes fondamentaux de notre droit pénal. C’est ainsi qu’elle a profondément transformé la définition du délit d’appartenance à une bande, qui figure à l’article 1er de la proposition de loi.
Deuxièmement, la commission a souhaité restaurer une certaine cohérence dans l’échelle des peines retenue par le texte. Elle a notamment modifié les peines encourues en cas d’intrusion armée dans un établissement scolaire. En ce qui concerne l’appartenance à une bande, elle a considéré que les peines encourues en cas de préparation d’une infraction ne devaient pas être aussi sévères, voire plus sévères, que les peines encourues en cas de commission de l’infraction.
Troisièmement, la commission a veillé à ce qu’une protection accrue soit conservée pour les personnels de l’éducation nationale et leurs proches, le texte prévoyant de sanctuariser les établissements scolaires.
Enfin, quatrièmement, la commission des lois a supprimé un certain nombre de dispositions qui lui paraissaient satisfaites par le droit en vigueur. Par exemple, elle a supprimé les mesures relatives au port d’arme dans un établissement scolaire, car des dispositions du code de la défense répriment déjà sévèrement, et de façon générale, le port d’armes de première, de quatrième et de sixième catégorie. Ces mesures s’appliquent, bien évidemment, dans les établissements scolaires.
Par ailleurs, la commission a souhaité compléter la proposition de loi.
Sur ma suggestion, elle a inséré un article tendant à faciliter la création de polices d’agglomération. Il nous a en effet semblé que la constitution de polices d’agglomération était un moyen privilégié pour mieux lutter contre les violences commises par les bandes, qui se caractérisent par leur extrême mobilité. Rappelons à ce sujet que 57 % des personnes interpellées chaque jour à Paris ne résident pas intra-muros. Il est donc essentiel de donner aux forces de l’ordre les moyens de mieux s’organiser pour faire face à cette forme de délinquance qui évolue rapidement.
En outre, la commission a constaté que les manifestations sportives constituaient un terrain d’action privilégié pour les bandes violentes. Elle a adopté un amendement de notre collègue Laurent Béteille tendant à élargir le champ du délit d’introduction de fumigènes dans les enceintes sportives. Elle a également adopté un amendement de notre collègue François-Noël Buffet visant à rendre plus dissuasives les interdictions administratives qui peuvent être prononcées par le préfet à l’encontre de supporters violents.
L’ensemble de ces dispositions donnera ainsi aux forces de l’ordre et aux magistrats les outils juridiques nécessaires pour mieux lutter contre les violences commises en bandes.
Néanmoins, un certain nombre de mesures ne pourront s’appliquer qu’après l’édiction de mesures réglementaires, et je souhaiterais attirer l’attention du Gouvernement sur deux points, certes ponctuels, mais qui me semblent importants.
Tout d’abord, en ce qui concerne l’article 2 bis, qui prévoit de permettre au préfet d’autoriser les agents de surveillance ou de gardiennage des immeubles collectifs d’habitation à porter une arme de sixième catégorie pour assurer leur sécurité, le décret en Conseil d’État qui définira les modalités d’application de cet article devra préciser, conformément à l’intention des députés, que seules les matraques de type bâton de défense ou tonfa, à l’exclusion de toute autre arme, pourront être autorisées, et, surtout, que cette arme ne peut être utilisée qu’en cas de légitime défense.
En outre, j’attire votre attention sur l’article 4 bis, qui autorisera les propriétaires d’immeubles collectifs d’habitation à transmettre aux forces de l’ordre les images des systèmes de vidéosurveillance installés dans les parties communes des immeubles afin de permettre à celles-ci de préparer leur intervention lorsque celle-ci s’avère nécessaire.
La commission a encadré ces dispositions et a souhaité que leur mise en œuvre soit précisée par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, qui est compétente en matière de vidéosurveillance dans les lieux privés. Il nous a en effet semblé essentiel de maintenir un équilibre entre, d’une part, la nécessité de permettre aux forces de l’ordre de rétablir la jouissance paisible des lieux dans les parties communes des immeubles, et, d’autre part, la nécessité de veiller à ce que la mise en œuvre de ces dispositions ne porte pas une atteinte injustifiée au droit au respect de la vie privée.
En conclusion, je pense que la question des violences commises par les bandes requiert toute l’attention des pouvoirs publics.
De fait, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui viendra compléter un ensemble de mesures récemment prises par le Gouvernement afin de mieux lutter contre les bandes : mise en place d’unités territoriales de quartiers et de compagnies de sécurisation, renforcement des dispositifs de sécurisation des établissements scolaires, etc. Ces efforts doivent être poursuivis et encouragés.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois vous propose d’adopter la présente proposition de loi dans la rédaction qu’elle vous soumet.