Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’est qu’un énième texte sécuritaire porté par le Gouvernement qui fait suite à un fait divers : l’intrusion d’une bande de jeunes dans un lycée professionnel.
Ainsi, le Président de la République, qui se veut toujours plus réactif, a annoncé dans la foulée de cet événement une nouvelle loi qui viserait plus particulièrement les bandes violentes, avec le but affiché de « démanteler les bandes pour prévenir les violences qu’elles pourraient commettre ». Il a alors fait appel à un fidèle parmi les fidèles en la personne de Christian Estrosi, alors député, pour déposer une proposition de loi qui fut débattue à l’Assemblée nationale en mars dernier et qui atterrit au Sénat huit mois après.
Ce texte va venir durcir encore plus notre arsenal pénal en aggravant des sanctions déjà existantes, mais aussi en créant les incriminations de participation à une bande supposée violente et de dissimulation volontaire du visage.
On peut légitimement s’interroger sur la pertinence d’une telle loi au regard de la longue liste de lois sécuritaires adoptées depuis 2002.
Cette accumulation de dispositifs législatifs proposés après chaque fait divers et que vous vous empressez de médiatiser largement n’a fait que complexifier la mise en œuvre de ceux-ci.
De plus, il n’est pas certain qu’une nouvelle loi soit indispensable pour résoudre le problème des bandes violentes. En effet, il existe déjà dans notre code pénal les incriminations de « bande organisée », « d’association de malfaiteurs », de « violences en réunion » ou encore « d’attroupement ».
On peut donc s’interroger, j’y insiste, sur l’apport de votre nouveau dispositif en matière de lutte contre ce genre de délinquance. Notre arsenal pénal en vigueur est tout à fait capable d’y répondre.
Sur le fond donc, il ne s’agit que d’un texte qui s’appuie sur l’émotion suscitée par le fait divers que vous avez habilement entretenu pour mieux, ensuite, flatter votre électorat.
De plus, vous utilisez le volet sécuritaire prétendument pour lutter contre le phénomène de violence de groupes, alors que l’échec de votre politique en matière de lutte contre la délinquance est patent, comme le démontrent les récentes statistiques en la matière.
Encore une fois, vous restez muet sur la prévention, alors même qu’il s’agit d’un élément essentiel pour parvenir à lutter contre la délinquance. Mais cela suppose des moyens ambitieux affectés, d’une part, à la prévention et, en tout premier lieu, à l’éducation nationale pour assurer la réussite scolaire du plus grand nombre, d’autre part, à la brigade des mineurs et à la protection judiciaire de la jeunesse pour un vrai travail d’alternative à la prison, qui est trop souvent criminogène.
Par ailleurs, il serait utile de mettre en place des comités de suivi réunissant régulièrement les différents partenaires de la sécurité et de la prévention.
M. Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats, a quant à lui souligné l’importance du renseignement et de la prévention en matière de lutte contre les bandes. Il estime ainsi qu’« une lutte efficace contre les phénomènes de bandes suppose en amont que soient effectués des actions de prévention et un travail de police de proximité, afin de mieux connaître les bandes et d’identifier leurs membres ; que des mesures soient prises pour assurer la sécurité dans les établissements scolaires ; enfin, que des actions pédagogiques soient menées ».
Monsieur le secrétaire d’État, il serait temps de réfléchir plus sérieusement sur les moyens les plus efficaces pour résoudre ce problème, qui prendra véritablement de l’ampleur si l’on en reste à vos politiques en la matière.
Par ailleurs, ce texte peut porter gravement atteinte aux libertés publiques. Il crée une infraction de participation à une bande ayant l’intention de commettre des infractions. Ainsi, votre dispositif précise que le groupement peut être formé de façon temporaire « en vue de la préparation » d’infractions. Il instaure donc une présomption d’infraction. Il reviendra alors aux forces de l’ordre de prouver que ce groupement avait l’intention de commettre des violences.
Ce système risque d’engendrer des pratiques arbitraires de la part des personnes chargées d’appliquer la loi. Le fait que vous instauriez un délit d’appartenance à une bande violente sans jamais définir cette notion renforce ce problème. Je n’ose imaginer les difficultés qui vont alors en découler.
À ce propos, M. Alain Bauer, président du conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance, n’a-t-il pas souligné, lors de son audition au Sénat, que « dans les phénomènes de bandes de quartiers, très souvent, les infractions sont commises sans qu’il y ait nécessairement eu de préparation ou de concertation préalables ; ce sont souvent des actes impulsifs, réactifs et d’opportunité » ?
On peut donc se demander comment une loi qui doit permettre à la police d’intervenir en amont des violences et des dégradations va pouvoir s’appliquer. On voit là toute l’inutilité et l’inefficacité de ce texte.
Ajoutons que, dans la pratique, arrêter un groupe supposé violent, qui peut très bien être composé de plusieurs dizaines d’individus, est simplement impossible tant les moyens humains et matériels des forces de l’ordre sont insuffisants.
Comment rendre applicables vos nombreuses mesures quand, en application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, le Gouvernement supprime 4 000 postes de policiers, des commissariats de quartiers, et, dans le même temps, impose aux forces de l’ordre une politique du chiffre et une culture du résultat ?
Cette proposition de loi va avoir comme conséquence de renvoyer des personnes devant la justice pour des faits qu’elles n’ont pas encore commis, mais qu’elles avaient sûrement l’intention de commettre. Il s’agit là d’un grand recul dans notre système judiciaire.
Les juges devront donc rechercher la qualification pénale non pas en fonction des faits commis, mais selon l’intention de passer à l’acte, véritable casse-tête pour les juridictions pénales, qui peut aussi mener à l’arbitraire.
Ce dispositif n’aura d’autre effet que d’augmenter les statistiques policières et, surtout, d’accroître de façon significative le nombre de fichiers policiers. Mais peut-être est-ce là le véritable but de cette proposition de loi…
L’autre illustration de l’inutilité de ce texte, c’est la fameuse disposition qui vise à punir une personne qui dissimule « volontairement en tout ou partie son visage afin de ne pas être identifiée ». Cette mesure est symptomatique de votre loi « inutile est dangereuse », comme le rappelle le syndicat de la magistrature. Il est en effet assez illusoire de penser qu’un tel dispositif puisse fonctionner.
Le fait que, dorénavant, vous prévoyiez que la dissimulation du visage sera une circonstance aggravante pourrait porter à sourire, si ce n’était pas aussi grave.