Monsieur le président, mes chers collègues, la réforme du règlement de la Haute Assemblée que nous nous apprêtons à examiner doit constituer l’ultime étape du processus de transformation du travail parlementaire engagé au printemps 2008 et mettre un terme, définitif peut-être, à la subordination permanente du Parlement à l’exécutif, subordination voulue par le constituant de 1958. Elle s’inscrit également dans la suite du projet de loi organique relatif à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 9 avril dernier.
« Chambre d’enregistrement », « Parlement croupion » : les qualificatifs désobligeants à l’égard de la représentation nationale ont malheureusement traduit dans l’esprit commun l’essence de la Ve République et, surtout, de sa pratique, qu’il s’agisse de la limitation du domaine de la loi, de l’impuissance du Parlement dans la maîtrise de la procédure législative ou de son ordre du jour, ou encore de l’interdiction qui lui est faite de proposer des dépenses nouvelles. Autant de critiques que les Radicaux, viscéralement attachés aux droits du Parlement, ne cessent de dénoncer depuis 1958, et plus encore depuis qu’ils militent pour la VIe République sous la forme d’un régime présidentiel, le seul à leurs yeux qui permette d’avoir un Parlement fort et puissant faisant jeu égal avec l’exécutif. Car c’est bien cela qui doit être l’objectif de toute réforme du travail parlementaire !
En fait de rationalisation du parlementarisme comme réponse au régime d’assemblée de la IVe République, la Ve République a institutionnalisé un déséquilibre entre les pouvoirs dont nous mesurons encore les conséquences désastreuses : inflation des textes, instabilité juridique, verbiage législatif, mélange du domaine législatif et du domaine réglementaire, quasi-immunité du Gouvernement, trop grande soumission de la majorité parlementaire au Gouvernement…
La dernière révision constitutionnelle fut certes le théâtre de vifs débats et de clivages parfois majeurs. Mais quelles que furent alors les positions de chacun, positions toujours responsables et donc respectables, le sens républicain nous impose aujourd’hui de prendre acte de l’applicabilité de ce texte et d’aller au bout de sa logique en mettant notre règlement en conformité avec ses dispositions.
Toutefois, cette réforme du règlement du Sénat doit être bien davantage qu’une simple mise en œuvre de la révision constitutionnelle. Il nous faut aller bien au-delà et utiliser toutes les possibilités que nous confère la nouvelle Constitution et elles sont nombreuses, il faut le reconnaître. Il ne faut pas, mes chers collègues, nous contenter d’une réforme a minima de notre règlement. Il nous faut être ambitieux pour le Parlement, pour le Sénat et pour nous-mêmes. Notre règlement est non pas un simple « règlement intérieur », mais bien un texte qui peut nous amener à rénover en profondeur notre démocratie parlementaire. Encore faut-il s’en donner les moyens et aller au bout de la logique de revalorisation du Parlement !
Nous sommes aujourd’hui engagés dans un processus irréversible de transformation de nos méthodes de travail. De profondes modifications voulues par la révision constitutionnelle sont déjà à l’œuvre, elles doivent s’accompagner de nouveaux changements. Par exemple, l’examen en séance publique du texte issu des travaux de la commission est une exigence de la réforme, mais en l’état, force est de constater qu’elle ne donne pas entière satisfaction et pose, on le voit bien avec le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires ou encore avec le projet de loi portant engagement national pour l’environnement dit « Grenelle II », une série de problèmes aussi bien pour les commissions, pour les groupes que pour les sénateurs eux-mêmes.
Nous ne pourrons pas encore longtemps faire du neuf avec du vieux ! Il nous faut, mes chers collègues, dépoussiérer nos outils parlementaires, changer nos habitudes de travail et revoir nos modes de fonctionnement et nos équilibres internes – parfois un peu déséquilibrés, il faut bien le dire – entre groupes politiques, d’une part, et entre groupes politiques et commissions, d’autre part. Nous ne pourrons en faire l’économie encore longtemps ! Le train de la réforme du travail parlementaire – fût-il un train de sénateurs ! – est en marche, il s’accélère et la réforme finira par aboutir pleinement.
Mes chers collègues, la révision constitutionnelle a enfin acté l’existence du pluralisme parlementaire en reconnaissant, à travers l’article 51-1 de la Constitution, qu’à côté des groupes de la majorité existent des groupes de l’opposition et des groupes minoritaires qui disposent de « droits spécifiques ». Cette reconnaissance est un progrès ! Encore faut-il que les règlements des assemblées parlementaires donnent corps à ces « droits spécifiques » pour qu’ils deviennent réalité.