Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 2 juin 2009 à 21h30
Modification de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires — Adoption définitive d'une proposition de loi en procédure accélérée

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois points abordés par cette proposition de loi appellent quelques remarques ou critiques.

La proposition de loi initiale de M. Accoyer, examinée par l’Assemblée nationale, visait tout d’abord à tirer les conséquences de la modification de l’article 88-4 de la Constitution par la transformation, dans les deux assemblées, des délégations parlementaires pour l’Union européenne en commissions chargées des affaires européennes.

Sur l’initiative du rapporteur de l’Assemblée nationale, ont été insérées trois autres dispositions. La première revêt une certaine importance, puisqu’il s’agit de l’application du dernier alinéa de l’article 39 de la Constitution ; les deux autres concernent la suppression de délégations parlementaires.

J’aborderai en premier lieu la question de la saisine du Conseil d’État sur les propositions de loi. Si le Conseil d’État n’est pas, par nature, le conseiller du Parlement, comme il peut l’être pour le Gouvernement, la création de cette nouvelle compétence apparaît néanmoins opportune dans un contexte de multiplication des propositions de loi que le Gouvernement utilise, via sa majorité, pour faire passer ses réformes.

Ces propositions de loi constituent en effet un véhicule législatif idéal, qui permet d’échapper à toute la procédure applicable aux projets de loi – avis du Conseil d’État, examen en conseil des ministres – avant leur examen par le Parlement. Nous en avons régulièrement des exemples, ne serait-ce qu’avec la proposition de loi de simplification du droit, celle qui est relative au travail le dimanche, ou encore celle qui a été annoncée par M. Estrosi pour lutter contre les bandes organisées, ou non.

Dans ces conditions, recueillir l’avis du Conseil d’État sur la régularité juridique des propositions de loi, leur forme et leur opportunité administrative, ne peut évidemment qu’éclairer la représentation nationale.

Mais l’article 39 de la Constitution, tout autant que l’article 1er A de cette proposition de loi qui le met en œuvre, encadre strictement la saisine du Conseil d’État. En effet, seul le président d’une assemblée peut soumettre pour avis au Conseil d’État, avant son examen en commission, une proposition de loi, sauf si son auteur s’y oppose.

La saisine du Conseil d’État est donc laissée à la seule appréciation du président de l’assemblée : il n’est pas difficile d’imaginer que celui-ci, issu de la majorité parlementaire, quelle qu’elle soit, ne saisira jamais le Conseil d’État d’une proposition de loi émanant de cette même majorité. En revanche, cette saisine peut s’avérer être un outil de blocage de l’initiative de l’opposition parlementaire. De surcroît, la non-automaticité de la saisine provoquera forcément des différences de statut entre les propositions de loi qui auront été approuvées par le Conseil d’État et celles qui ne lui auront pas été soumises.

L’article 1er A se contente de reprendre le dispositif constitutionnel, en prévoyant que l’auteur de la proposition de loi dispose de cinq jours francs pour s’opposer à la saisine du Conseil d’État.

L’article 39 de la Constitution verrouille le dispositif au profit de la seule majorité parlementaire : il n’est pas prévu que les groupes politiques, par le biais de leur président, puissent directement soumettre une proposition de loi au Conseil d’État. Alors que la reconnaissance des groupes parlementaires a été constitutionnalisée, celle-ci ne se traduit pas, une fois encore, par un renforcement de leurs prérogatives.

Enfin, l’article 1er A prévoit que l’avis du Conseil d’État est transmis au seul président de l’assemblée, qui le communique ensuite à l’auteur de la proposition de loi.

À l’instar de ce qui se passe pour les projets de loi, se pose la question de la publicité des avis du Conseil d’État. En l’occurrence, cette question se pose avec d’autant plus de pertinence qu’est instauré un dispositif de contrôle juridique de l’initiative parlementaire : les parlementaires peuvent légitimement exiger de connaître l’avis du Conseil d’État sur les propositions de loi, y compris celles dont ils ne sont pas les auteurs. Nous avons donc déposé plusieurs amendements en ce sens. Il s’agit non pas de revenir sur ce qui a été voté lors de la dernière révision constitutionnelle, mais de permettre aux groupes parlementaires de pouvoir également décider de la saisine du Conseil d’État sur une proposition de loi.

J’en viens maintenant à la question de la transmission des actes communautaires aux commissions chargées des affaires européennes. Le texte initial prévoyait que le Gouvernement devait transmettre tous les projets ou propositions d’actes de l’Union européenne – et pas seulement ceux comportant des dispositions de nature législative – au Parlement. Le Gouvernement pourra également transmettre aux commissions chargées des affaires européennes « tout document nécessaire », cette transmission devenant facultative, sur l’initiative de l’Assemblée nationale.

Si l’information des parlementaires doit être la plus complète possible, il est effectivement impossible de transmettre tous les actes de l’Union européenne : elle en produit tant ! En revanche, il serait plus intéressant que les ministres compétents, avant la tenue d’un Conseil de l’Union européenne, viennent présenter devant la commission chargée des affaires européennes, puis devant la commission permanente intéressée, les points à l’ordre du jour et la position défendue par la France. Sans surcharger les commissions, les parlementaires n’en seraient pas moins informés des positions prises par la France lors des Conseils de l’Union européenne.

S’agissant, enfin, de la suppression d’un certain nombre d’offices et de délégations parlementaires, force est de constater que ces offices et délégations n’ont pas fonctionné comme on aurait pu le souhaiter. Je regrette néanmoins que l’on procède à leur suppression en considérant que les commissions permanentes sont les seuls lieux naturels de réflexion sur les sujets jusqu’à présent traités par ces offices et délégations.

Ainsi, est-il bien opportun, alors que l’inflation législative est galopante depuis 2002, de supprimer l’office parlementaire d’évaluation de la législation ou encore, alors que nous sommes en train d’examiner un projet de loi sur l’hôpital qui aggravera les inégalités sociales dans le domaine de la santé, de supprimer l’office parlementaire d’évaluation des politiques de santé ?

Les commissions permanentes sont déjà surchargées en raison de l’ordre du jour et je ne vois pas comment elles pourront assumer en plus ce rôle d’évaluation.

Je n’évoquerai pas les missions d’information, davantage destinées à valoriser la politique du Gouvernement sur des questions ponctuelles qu’à réellement procéder à une évaluation des politiques publiques ! En résumé, avant de procéder à la suppression pure et simple de ces offices et délégations parlementaires, une réflexion sur les moyens de les faire fonctionner et de valoriser leurs travaux aurait été la bienvenue.

Toutes les raisons que je viens d’évoquer traduisent le scepticisme de mon groupe sur cette proposition de loi qui, si nos amendements venaient à être rejetés, ne pourrait recueillir notre assentiment : nous nous abstiendrions.

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