Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois programmes de la mission « Aide publique au développement » associent le ministère des affaires étrangères et européennes, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ainsi que le ministère chargé de l’immigration, lequel, désormais, se confond avec le ministère de l’intérieur.
Pour cette mission, le projet de loi de finances prévoit 4, 5 milliards d’euros en autorisations d’engagement et 3, 4 milliards d’euros en crédits de paiement.
Par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale pour 2010, on constate une forte hausse des autorisations d’engagement, de 59 %. Cette hausse, il faut le dire, tient au hasard du calendrier de la reconstitution des fonds multilatéraux auxquels la France contribue.
Les crédits de paiement de la mission, en revanche, sont quasi constants d’un exercice à l’autre. La programmation pour 2011-2013 assure cette stabilité sur l’ensemble de la période, notamment en faveur du programme géré par le ministère des affaires étrangères et européennes. Ce point est important, car ce programme concentre la part de l’aide la plus visible, donc la plus politique, notamment les dons-projets mis en œuvre par l’Agence française de développement, l’AFD.
L’orientation budgétaire ainsi retenue témoigne de la priorité que le Gouvernement a choisi de donner à la politique d’aide au développement. En tant que rapporteur spécial, je ne peux que m’en réjouir.
Cependant, cette mission représente seulement 47 % des crédits de paiement prévus dans le budget général pour 2011 qui seront comptabilisables en aide publique au développement et 35 % du total de l’aide publique au développement française estimée pour l’année prochaine.
En effet, d’une part, la politique « transversale » de l’aide au développement repose, à titre principal, sur quatorze programmes et sur sept missions du budget général.
D’autre part, le reste de l’effort national en la matière proviendra de crédits hors budget général – notre collègue Edmond Hervé vous les présentera tout à l’heure –, d’opérations de traitements de dettes des pays pauvres n’ayant pas directement d’impact budgétaire, mais pesant lourd dans notre aide au développement – elles ont représenté plus de 1 milliard d’euros en 2009 –, de la coopération décentralisée assurée par les collectivités territoriales – à hauteur de 70 millions d’euros en 2009 –, et enfin du produit de la contribution de solidarité sur les billets d’avion, d’un montant de 170 millions d’euros l’année dernière.
En 2009, et ce malgré la crise, les apports des pays développés à l’aide publique au développement se sont accrus, tous types d’aide confondus, de 0, 7 % par rapport à 2008. Hors allégements de dettes, cette progression atteint 6, 2 % d’une année sur l’autre. Ainsi 119, 6 milliards de dollars ont-ils été versés aux pays en développement l’année dernière.
Parmi les principaux donneurs en volume, les États-Unis ont conservé leur premier rang, leur apport s’élevant à près de 29 milliards de dollars. La France, en soutenant un effort d’aide de plus de 9 milliards d’euros, soit 0, 46 % du revenu national brut, s’est hissée au deuxième rang mondial des donneurs en volume, devant l’Allemagne, le Royaume-Uni et le Japon.
Cependant, dans le classement en valeur, c’est-à-dire en fonction de l’aide au développement rapportée à la richesse nationale, notre pays ne se trouve qu’à la onzième place. Nous nous situons juste derrière le Royaume-Uni et la Suisse, et devant l’Espagne et l’Allemagne. Je précise que, dans ce classement en valeur, les États-Unis sont au dix-neuvième rang, entre le Portugal et la Grèce…
L’année 2010 devrait donner lieu à une nouvelle progression de l’aide française, à hauteur de 9, 7 milliards d’euros, soit 0, 5 % du revenu national brut. Toutefois, pour 2011, un repli est anticipé, l’aide versée par notre pays ne devant atteindre que 9, 5 milliards d’euros, soit 0, 47 % de la richesse nationale. Le budget général de l’État, globalement, devrait fournir à ce titre 7, 1 milliards d’euros.
En tout état de cause, la France semble encore loin, nous le voyons, de pouvoir traduire en actes l’engagement qu’elle a pris, et même renouvelé en 2008, de consacrer à l’aide publique au développement, à l’horizon de l’année 2015, 0, 7 % de la richesse nationale. En 2010 déjà, notre pays n’honorera pas son engagement de consacrer au moins 0, 51 % du revenu national brut à l’aide publique au développement, alors que le Royaume-Uni devrait, lui, y parvenir. Il est vrai que la France ne sera pas la seule dans cette situation de défaut, que devraient connaître d’autre pays, notamment l’Allemagne.
Encore faut-il analyser non seulement la quantité, mais également la qualité de cette aide.
Sous cet aspect, il est important de noter que la part bilatérale dite « programmable » de l’aide publique au développement française est minoritaire. En effet, l’aide multilatérale et européenne – environ 4 milliards d’euros – représente 45 % de notre aide globale, mais cette proportion devient supérieure à la moitié si l’on ne tient pas compte des dépenses bilatérales, dites « non programmables ».
Cette répartition, nous le savons, est préjudiciable à l’aide de terrain, c'est-à-dire l’aide aux projets, l’aide à la coopération technique, notamment. Or il y va du rayonnement international de notre pays, car, grâce à son aide bilatérale, la France est visible à l’étranger, et d’abord auprès des populations bénéficiaires. Dans la masse de l’aide multilatérale, son rôle, hélas ! passe souvent inaperçu.
De ce point de vue, il est heureux que nous ayons obtenu, pour la période 2011-2013, une baisse de notre clé de contribution au Fonds européen de développement. En 2011, cette contribution s’élèvera tout de même à 804 millions d’euros, mais je prends acte du rééquilibrage prévu en faveur du bilatéralisme qui, dépenses non programmables incluses, devrait croître jusqu’à 64 % d’ici à 2012.
Pour autant, la comptabilisation au titre de l’aide publique au développement de certaines dépenses bilatérales non programmables reste sujette à caution.
Il en va ainsi de l’aide versée à Wallis-et-Futuna, qui est de l’ordre de 85 millions d’euros par an. On doit cependant noter un progrès : du fait de la transformation de Mayotte en département, l’aide versée à cette île – environ 300 millions d’euros par an – ne sera désormais plus comptabilisée au titre de l’aide publique au développement.
De même, on peut contester le fait que soient considérés comme entrant dans l’aide au développement les frais d’écolage des étudiants en France ressortissants des pays en développement et les aides accordées aux réfugiés originaires de ces pays, soit respectivement 670 millions d’euros et 270 millions d’euros en 2009.
À l’inverse, certaines dépenses publiques, qui concourent pourtant de façon effective au développement, ne sont pas comptabilisables comme telles selon les normes de l’OCDE, notamment la dépense fiscale assise sur les dons aux organisations de solidarité internationale. Notre pays a là manifestement un travail à mener afin de faire réviser les règles de comptabilisation de l’aide.
Je précise que l’aide bilatérale française bénéficie principalement à l’Afrique subsaharienne, à hauteur de 49 % du total, et aux pays à revenu intermédiaire.
Toutefois, en 2009, la Chine et la Turquie ont respectivement occupé le deuxième et le cinquième rang parmi les pays bénéficiaires. Là encore, on peut s’interroger sur la pertinence d’une comptabilisation de ces dépenses au titre de l’aide au développement.
Tous ces éléments sont autant de justifications de l’entreprise de rationalisation dans laquelle notre pays vient d’engager son dispositif d’aide publique au développement.
Je rappelle en effet que le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, lors de sa réunion du 5 juin 2009, a resserré les priorités géographiques, mais également clarifié les priorités sectorielles de cette aide, en vue d’en renforcer l’efficacité.
À la suite de cette réunion, un document-cadre a été élaboré tout au long de l’année 2010 et finalisé au début du mois de novembre. Le Gouvernement nourrit l’ambition de refonder la politique de coopération au développement.
Le Parlement a été invité à participer à la réflexion en la matière, et le Sénat, notamment par l’intermédiaire de la commission des affaires étrangères et de la commission des finances, y a pris une large part.
Ce document-cadre a le mérite de présenter, à destination de l’ensemble des acteurs, la doctrine française en matière d’aide publique au développement. Il tend, de façon opportune, à considérer que cette aide doit relever non de la charité et de la seule compassion, mais d’une véritable stratégie géopolitique, dans laquelle on considère non seulement la nécessité de soulager la pauvreté, mais aussi les intérêts de notre pays dans le monde.
Néanmoins, ce document n’aborde que de façon très parcimonieuse les aspects financiers, le choix ayant été fait de dissocier l’exposé de la stratégie et la programmation des moyens budgétaires. Si cette organisation peut se comprendre, elle nuit à la crédibilité des ambitions affichées.
En outre, le statut du document-cadre reste indéterminé. En effet, ce texte n’a pas de valeur juridique. De plus, à ma connaissance, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement n’a pas été convoqué pour son adoption formelle. Dans ces conditions, et à ce stade, on peut douter de l’autorité politique qu’il revêtira en pratique.
Afin que ce document ne risque pas de rester un vœu pieu, je pense, monsieur le ministre, qu’il conviendrait de donner à ce nouvel outil les formes d’adoption et de publicité officielle appropriées qu’il mérite.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances propose au Sénat d’adopter les crédits de la mission « Aide publique au développement ».