Intervention de Catherine Tasca

Réunion du 3 décembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Compte spécial : prêts à des états étrangers

Photo de Catherine TascaCatherine Tasca :

Monsieur le ministre, le Président de la République vous a confié la mission passionnante de conduire la politique d’aide au développement de la France, et je tiens à vous en féliciter à mon tour.

Ce fut longtemps l’honneur de la France que d’agir pour l’égalité d’accès aux droits fondamentaux, à la vie, à la santé, à l’éducation, que l’on soit né à Paris, à Ziguinchor ou à N’Djamena.

C’est également l’intérêt des Français que de contribuer à un monde plus sûr. Tout montre aujourd’hui que le sous-développement constitue un terreau favorable à des menaces qui touchent aussi bien les pays du Sud que les pays du Nord, et dont nul ne sera à l’abri.

Pourtant, les ambitions de la France en matière d’aide au développement ont significativement faibli. Depuis plusieurs années, on observe en effet un changement dans notre politique de coopération : ses orientations stratégiques sont aujourd’hui sérieusement remises en cause.

Notre coopération s’est « bancarisée », « financiarisée » ; elle s’est écartée de son cœur de métier, de l’Afrique subsaharienne, des secteurs traditionnels de l’éducation et de la santé. Elle l’a fait contrainte par la RGPP et par la diminution de notre aide bilatérale.

Ce budget 2011 marque un nouveau renoncement du Gouvernement à atteindre l’objectif de contribuer à l’aide publique au développement à hauteur de 0, 7 % du revenu national brut en 2015.

Je prendrai l’exemple de l’éducation.

Alors que la France a joué un rôle moteur dans la mise en place des fonds internationaux « fast track », destinés à la scolarisation primaire universelle, la diminution des crédits consacrés à l’éducation ne permettra pas de tenir les engagements pris pour la scolarisation de huit millions d’enfants d’Afrique subsaharienne.

Nous sommes en train d’abandonner notre soutien aux systèmes éducatifs de ces pays, qui sont pourtant l’espoir de la francophonie. Ces systèmes éducatifs sont exsangues, sous le poids d’une jeunesse qui représente, au sud du Sahara, les deux tiers de la population.

L’Afrique n’a pas besoin de belles paroles. Si nous voulons réinventer notre relation avec les pays africains, il nous faut commencer par clarifier nos engagements, à l’aune de nos moyens, et tenir parole.

Il est un domaine où nous ne sommes pas au rendez-vous de nos engagements : le codéveloppement. Nous avons proposé à de nombreux pays africains de contractualiser nos relations en matière d’immigration. La tentative d’articuler les politiques de l’immigration et du développement constituait en soi une piste prometteuse. Mais, là encore, l’étroitesse des crédits destinés à conforter les initiatives prises par les migrants pour le développement de leur pays d’origine ne permet pas à cette politique d’être autre chose qu’une série d’expérimentations ponctuelles.

Ainsi, les crédits du programme 301 diminuent de 5, 4 millions d’euros, soit une baisse de 15, 3 %. Ces crédits trouveraient bien mieux leur place au ministère des affaires étrangères plutôt qu’au ministère de l’intérieur. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Monsieur le ministre, il y a une Afrique dynamique, au taux de croissance de 5 %, courtisée par les pays émergents. Elle côtoie une Afrique de la misère, sans eau courante ni électricité, des économies de subsistance plus que jamais soumises aux aléas des saisons, des cours des matières premières et du réchauffement climatique, des territoires immenses qui, à l’image du Sahel, ont été désertés par des administrations impuissantes à en assurer le développement.

Cette Afrique-là, dont nous disons faire notre priorité, nous la délaissons progressivement. Les subventions aux quatorze pays prioritaires sont passées, de 2005 à 2009, de 219 millions d’euros à 158 millions, soit une baisse de près de 30 %.

Monsieur le ministre, il y a urgence à redresser le cap. Certes, l’aide au développement ne peut pas tout, mais elle peut faire pencher la balance des risques et des opportunités.

Aux indépendances, l’intégration régionale était un objectif, hélas rapidement abandonné. Aujourd’hui, cela serait sans doute un atout considérable pour le développement du continent. Je crois que nous devrions faire de cette intégration régionale un axe fort de notre coopération. Dans quelle mesure estimez-vous que nos relations avec les organisations régionales peuvent y contribuer ?

Dans un monde dont le centre stratégique est en train de se déplacer vers l’Asie, l’Europe a autant besoin du développement de l’Afrique que l’Afrique de notre aide au développement. Quelle place la France compte-t-elle y tenir ?

Le budget pour 2011, en contraction, donne malheureusement une première réponse de net recul des ambitions de la politique française en matière d’aide au développement ; nous ne pouvons, dès lors, le soutenir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion