Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, je le dis depuis maintenant de nombreuses années, ce n’est pas forcément parce qu’un budget n’augmente pas ou qu’il augmente peu qu’il est a priori mauvais. Je pense que certains apprécieront…
Toutefois, les choix effectués dans les différents programmes de la mission « Agriculture, alimentation, pêche, forêt et affaires rurales » et les comparaisons ligne à ligne définissent une politique qui ne semble pas répondre entièrement aux attentes fortes des professionnels de l’agriculture et de la pêche.
Dotée de 3, 59 milliards d’euros en autorisations d’engagement et de 3, 67 milliards d’euros en crédits de paiement – sans omettre les 10 milliards d’euros de crédits européens sur lesquels nous n’avons que peu de visibilité –, la mission affiche sur le papier un budget certes de rigueur, mais qui peut paraître raisonnable. L’arrivée à échéance de plusieurs dispositifs de soutien exceptionnel aurait même pu dégager d’appréciables marges de manœuvre en faveur d’une agriculture et d’une pêche résolument engagées dans la voie du développement durable et de la juste rémunération du travail.
Pourtant, cette stabilité apparente intègre une niche fiscale qui représente près de 15 % du budget global de la mission. L’exonération totale de la part patronale pour l’emploi de salariés occasionnels est en effet chiffrée à 490 millions d’euros.
Comme le soulignent MM. les rapporteurs, et même si, selon moi, elle peut être positive, l’existence de cette niche fiscale peut fausser la lecture de l’évolution des dépenses réellement productives du programme 154, Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, qui baissent toutes dans des proportions importantes, à l’exception des moyens de promotion des produits et d’orientation des filières.
Néanmoins, comme le rappelle M. le rapporteur spécial, selon la Cour des comptes, l’évaluation de toutes les mesures fiscales, quelles qu’elles soient, demeure sujette à caution.
La baisse des autorisations d’engagement de 1, 76 % par rapport à 2009 masque mal la réduction programmée, à périmètre de 2010 constant, du budget de la mission d’ici à 2013. Cette tendance lourde et inquiétante est, par ailleurs, confirmée par des autorisations d’engagement systématiquement inférieures aux crédits de paiement.
Le ministère est ainsi conduit à déléguer un certain nombre d’actions à des acteurs privés, tout en poursuivant la réorganisation de ses services et de ses opérateurs, à marche forcée et, surtout, je le regrette, indifférenciée, la révision générale des politiques publiques sacrifiant souvent la qualité des services sur l’autel d’une rationalisation aveugle.
Ainsi la programmation des finances publiques pour la période allant de 2011 à 2013 prévoit-elle, à partir de 2012, des objectifs encore plus draconiens de réduction des dépenses du ministère : la baisse envisagée sera de 1, 6 % pour 2012 et de 2, 1 % pour 2013.
L’objectif de limitation des dépenses publiques fixé par le Gouvernement correspond à une contraction de ses dépenses d’intervention de 1, 5 % et de ses dépenses de fonctionnement de 5 % dès 2011, avec un taux de 10 % prévu à l’horizon de 2013, taux ayant été appliqué, dès cette année, au programme 215, Conduite et pilotage des politiques de l’agriculture.
Ces économies, monsieur le ministre, ne risquent-elles pas à court, moyen et long termes de fragiliser des secteurs économiques qui ont exprimé un fort besoin d’accompagnement et qui, en période de « vaches maigres » – si vous me permettez ce jeu de mot –, mais aussi de transformation obligatoire des pratiques, ont besoin de signes forts ?
De nombreux autres problèmes demeurent quant aux capacités réelles de certains opérateurs stratégiques à faire face à toutes leurs missions. Je prendrai l’exemple de FranceAgriMer, qui héberge maintenant l’Observatoire des prix et des marges. Malgré le recrutement de cinq personnes supplémentaires, la baisse des crédits permettra-t-elle de répondre aux attentes, tant des producteurs que des consommateurs, et, surtout, aux enjeux sur la transparence des pratiques commerciales et sur le partage équitable de la valeur ajoutée ?
Par ailleurs, en matière de maîtrise des risques sanitaires et phytosanitaires, de promotion de la qualité, de la traçabilité et de la diversité des produits alimentaires, le programme 206, Sécurité et qualité sanitaire de l’alimentation, après avoir perdu 2, 9 % de crédits de paiement en 2010 par rapport à 2009, voit à nouveau ses ressources chuter de plus de 9 %, et ce en dépit des multiples défis techniques et des exigences des citoyens.
L’année dernière, lors de l’examen du projet de budget de l’agriculture, tout le monde convenait que le monde agricole traversait la crise la plus profonde de son histoire. Toutes les activités étaient touchées par des baisses de revenu qui, dans le secteur laitier, atteignaient en moyenne 34 %.
Un an plus tard, la situation ne s’est pas réellement améliorée. Pire, de nouvelles filières voient leurs résultats plonger. Amplifiée par notre dépendance structurelle en matière d’approvisionnement en protéines, la spéculation sur les marchés des matières premières a considérablement fragilisé nos éleveurs, comme le reconnaissent d’ailleurs les rapporteurs.
Monsieur le ministre, vous avez annoncé, avant-hier, le versement anticipé, dans le cadre de la politique agricole commune, de 4 milliards d’euros de fonds européens aux agriculteurs français, en particulier aux éleveurs de bétail, pour les aider à faire face à leurs difficultés de trésorerie. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ? Cela confirme bien que la reprise économique est loin d’être consolidée.
De surcroît, les débats qui s’organisent sur le plan européen, notamment depuis la communication de la Commission sur la réforme de la politique agricole commune, proposent de nouvelles orientations aux États membres et, désormais, au Parlement européen, grâce au traité de Lisbonne. De nombreuses interrogations subsistent, notamment en ce qui concerne le rééquilibrage entre les aides au secteur végétal et celles qui sont attribuées au secteur animal.
Autre signal particulièrement inquiétant, l’action 12, Gestion des crises et des aléas de la production, du programme 154, Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, connaît une coupe de 39 % !
En ce qui concerne l’installation des jeunes agriculteurs, malgré les explications données par M. le rapporteur Gérard César, permettez-moi de revenir sur la taxe sur la plus-value foncière réalisée lors de la vente de terrains nus devenus constructibles, prévue par la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMA. Les parlementaires avaient souhaité que cette taxe contribue à financer l’installation des jeunes agriculteurs. Or, apparemment, elle serait désormais affectée aux plans de développement par filière. En outre, les aides à l’installation ne sont pas sanctuarisées à hauteur de 350 millions d’euros, comme l’avait annoncé le Président de la République.
De la même manière, la diminution de 20 % des crédits attribués aux mesures agro-environnementales est difficilement acceptable, ces mesures ayant vocation à réorienter durablement notre appareil et nos pratiques productives.
Je laisserai mes collègues le soin d’intervenir sur la question de la baisse des crédits en matière de modernisation des bâtiments d’élevage, sur la forêt et l’Office national des forêts, l’ONF, sur l’agriculture biologique et sur la filière équine, car je ne voudrais pas terminer mon propos sans évoquer le secteur de la pêche, lui aussi durement touché depuis quelques années.
Plus des deux tiers des crédits sont ainsi utilisés en contrepartie des fonds communautaires, notamment du Fonds européen pour la pêche, le FEP. Sur ce point, je voudrais appuyer la proposition des rapporteurs de regrouper l’ensemble de ces crédits au sein d’un programme dédié.
Nous devons néanmoins noter la baisse de 34 % des crédits de paiement de l’action 16, Gestion durable des pêches et de l’aquaculture, du programme Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, qui fait suite à la coupe de 36, 7 % intervenue l’année dernière avec l’arrivée à échéance du Plan pour une pêche durable et responsable, instauré en 2008.
Les dépenses de fonctionnement s’élèvent à 11, 623 millions d’euros en crédits de paiement et celles d’intervention à 44, 2 millions d’euros, dont plus de 10 millions d’euros sont consacrés à l’installation de journaux de bord électroniques.
Les dépenses d’intervention portent sur le cofinancement d’interventions économiques prévues dans le FEP et inscrites dans les contrats de projets État-régions, les CPER, pour 5, 85 millions d’euros – sont notamment concernés la modernisation des flottes et le soutien à l’aquaculture – et sur les interventions économiques hors CPER, pour 12, 665 millions d’euros. Je renouvelle donc ma question, monsieur le ministre : les 10 millions d’euros pour les contrats bleus ne seront-ils pas insuffisants ?
Il nous faut admettre l’évidence : la situation de la pêche et son environnement, tant européen qu’international, ont considérablement changé en quelques années. Et je serai tentée de dire, m’inspirant de l’inscription que nos pêcheurs ont inscrite sur leurs tee-shirts, « Espèce en voie de disparition », que c’est en effet l’espèce des pêcheurs qu’il faut maintenant sauver.
Sans énumérer chacun des phénomènes qui ont conduit à ces bouleversements, je rappellerai seulement les plus importants, comme la prime à la casse, ayant entraîné, en vingt ans, une diminution de 50 % du nombre de navires en Bretagne, et ses effets en chaîne : renchérissement du prix des navires d’occasion, vieillissement de la flotte et hausse des coûts d’entretien, fragilisation économique de l’ensemble de la filière, en amont et en aval, et des organisations professionnelles.
Quoi qu’il en soit, les financements des sorties de flotte « pour ajuster la capacité de la flotte de pêche à la ressource disponible », en repli de 60 %, ne permettront pas de faire face aux plans sur les espèces profondes, sur le cabillaud et sur le thon rouge en Méditerranée.
La diminution, pour ne pas dire la disparition, des crédits des interventions, hors CPER et hors FEP, reste sans explication alors que cette décision réduit quasiment à néant les recherches sur les économies d’énergie ou l’amélioration de la sécurité des marins à bord. En outre, le montant des interventions socio-économiques est réduit de moitié.
Par ailleurs, de nombreuses questions demeurent, notamment sur la création de l’interprofession France filière pêche et de ses moyens financiers, avec le statut incertain de la « taxe poisson ». Enfin; la crise majeure que traverse l’ostréiculture mérite une mobilisation beaucoup plus large, mais j’aurai l’occasion d’évoquer ce sujet en détail lors de la séance de questions-réponses-répliques.
Malgré la dernière déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, et même si ce n’est pas forcément le lieu le plus adéquat, je veux relayer ici l’inquiétude de tous les professionnels de la mer concernant l’absence de prise en charge ministérielle spécifique, en contradiction flagrante avec l’ambition maritime défendue par le Président de la République et le souhait de pratiquement tous les participants du Grenelle de la mer.
En conclusion, monsieur le ministre, le projet de budget que vous nous proposez, au-delà de certaines orientations qui méritent d’être soutenues, ne porte qu’une ambition forcément limitée.
Votre engagement personnel et votre volonté politique – salués par tous – sur tous ces dossiers se heurtent à la réalité des choix financiers et fiscaux particulièrement hasardeux et injustes d’un gouvernement contraint d’ajuster ses dépenses, malgré les besoins et les attentes des producteurs, des éleveurs, des pêcheurs, des conchyliculteurs, bref de toutes les filières. C’est pourquoi, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ».