Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, depuis plusieurs années, le monde agricole est frappé par une crise sans précédent, qui a la particularité de toucher tous les secteurs de manière durable et qui menace gravement la pérennité de l’activité des exploitants agricoles.
Des centaines de milliers d’exploitations ont disparu et des pans entiers de l’économie agricole sont aujourd’hui gravement menacés. Le nombre d’exploitants agricoles se réduit comme peau de chagrin face à des contraintes économiques et concurrentielles intenables. Le revenu des agriculteurs a considérablement chuté. La tendance est à l’agrandissement des exploitations, ce qui contribue à la disparition des agriculteurs locaux, lesquels font pourtant vivre nos territoires.
Cette crise illustre bien les dérives d’un système économique qui prône le rendement, le court terme et le profit. Or l’agriculture doit s’inscrire dans la durée. Elle a besoin de stabilité pour envisager une production de qualité sur le long terme.
Cette situation, nous la vivons tous, chaque jour, dans nos territoires, au contact de nos concitoyens. Le désarroi des agriculteurs est profond et tout à fait justifié : ils ont le sentiment d’avoir été abandonnés, sacrifiés sur l’autel du libéralisme, au profit de logiques purement financières de court terme.
D’aucuns soutiennent que l’année 2009 a été le point culminant de cette crise structurelle. Nous devons néanmoins tous avoir conscience que le malaise du monde agricole n’est pas en voie de rémission et que la crise n’est pas derrière nous. Bien au contraire, elle est devenue le lot quotidien de milliers d’agriculteurs qui, au bord de la faillite, se demandent s’ils vont pouvoir poursuivre leur activité.
Est-il normal, monsieur le ministre, que des agriculteurs en soient réduits à demander le revenu de solidarité active, le RSA ? N’est-ce pas là le signe d’une crise morale et sociétale ?
Voilà des années que les agriculteurs français se mobilisent et alertent les pouvoirs publics sur l’impasse dans laquelle ils se trouvent, des années aussi qu’ils réclament une action claire et concrète de la part de l’État afin que leur soient garantis des prix rémunérateurs, à la hauteur de leur travail.
Bien que le pouvoir en place n’ait pas cessé de répéter qu’il allait agir pour sauver l’agriculture française en lui apportant des remèdes adaptés, force est de constater que les réponses ne sont pas au rendez-vous, comme en témoigne encore aujourd'hui ce projet de budget. En effet, même si les crédits de la mission affichent une apparente progression de 1, 8 %, certains montages qui démentent les annonces du Président de la république et les vôtres, monsieur le ministre, sont difficiles à cacher.
Permettez-moi de vous donner deux exemples pour illustrer mon propos.
En premier lieu, monsieur le ministre, lors de la présentation, le 15 septembre dernier, des plans stratégiques de développement des filières, que l’on attendait depuis plus d’un an, vous avez fait état d’une dotation de 300 millions d’euros sur trois ans.
Pour 2011, 60 millions d’euros sont financés sur des lignes budgétaires existantes, les 40 millions d’euros restants provenant du produit estimé de la taxe sur la plus-value foncière réalisée lors de la vente de terrains nus devenus constructibles. Le produit de cette taxe, qui se veut dissuasive, dépend du marché du foncier. Il est donc difficile à évaluer. Destinée à abonder un fonds dédié à l’installation des jeunes agriculteurs et à préserver le foncier agricole, cette taxe devrait finalement servir à financer les plans stratégiques de développement des filières. Il s’agit là d’un détournement d’objectifs, à moins que, dans ce cadre, les candidats à l’installation soient privilégiés.
En second lieu, le Président de la République a promis de sanctuariser les aides à l’installation à hauteur de 350 millions d’euros. Or nous sommes loin du compte. Nous constatons même une réduction de plus de 25 millions des prêts à l’installation, soit une baisse de 16, 5 %.
Ces mesures sont très regrettables, car elles ne vont pas dans le bon sens, d’autant que la sonnette d’alarme a déjà été tirée depuis bien longtemps déjà. Ainsi, entre le 2 janvier 2009 et le 1er janvier 2010, seuls 13 300 exploitants agricoles se sont installés, soit une baisse sans précédent de 17, 1 % par rapport à 2008.
L’effectif des nouveaux agriculteurs âgés de moins de quarante ans a lui aussi diminué de 14, 5 % entre 2008 et 2009. Or, sans renouvellement des générations, nous pouvons craindre une disparition de l’activité agricole locale au profit de la généralisation, si tel n’est pas déjà le cas, des grandes exploitations intensives à l’origine de la désertification de nos territoires.
Le décalage entre les discours et les faits est donc assez marquant. La seule voie qui semble être suivie, malgré ce que l’on nous dit, est celle de la dérégulation et du libéralisme à tout-va.
Alors que, voilà quelques semaines, le Parlement s’est prononcé sur la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche – intitulé très optimiste ! –, on constate que cette réforme à tiroirs n’a apporté aucune solution réelle à la crise que traverse le monde agricole.
En plaçant la compétitivité au cœur de sa réforme tout en réduisant de façon drastique – de 21 % – les fonds destinés aux plans de modernisation des exploitations, le Gouvernement risque de compromettre une fois encore la survie de milliers d’exploitations agricoles.
À l’approche de la réforme de la PAC, qui ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices pour les agriculteurs français, le projet de budget pour 2011 aurait dû apporter des réponses au monde agricole et le rassurer. Face à une crise exceptionnelle, le Gouvernement aurait dû prendre des mesures exceptionnelles. Or tel n’est malheureusement pas le cas. Dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il nous présente un projet de budget frappé du sceau de l’austérité. Les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales » en subissent les conséquences, malgré une apparente augmentation de 1, 8 %.
Ce projet de budget n’assurera pas à l’ensemble des actifs agricoles une rémunération décente, juste et proportionnelle au travail qu’ils fournissent. C’est pourtant bien là qu’est la priorité !
Je regrette profondément que les crédits consacrés au plan de performance énergétique des exploitations agricoles baissent de 46 %, tout comme ceux de la filière bois-énergie, qui diminuent de 3 % en autorisations d’engagement et de près de 6 % en crédits de paiement. Cela signe l’abandon des résolutions du Grenelle de l’environnement du début de quinquennat.
Finalement, malgré les apparences, ce projet de budget est profondément soumis aux restrictions budgétaires. Il ne permettra pas d’amorcer favorablement la sortie de crise. Enfin, il n’apporte pas de réponses structurelles aux difficultés actuelles du monde agricole.
Telles sont les raisons pour lesquelles le groupe socialiste ne votera pas les crédits de cette mission.