Intervention de Yannick Botrel

Réunion du 3 décembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Compte spécial : développement agricole et rural

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mes chers collègues, la discussion de cette partie du projet de loi de finances consacrée à l’agriculture intervient quelques mois après l’adoption de la loi du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMAP. Elle s’inscrit à l’évidence dans son sillage et devrait en être le prolongement.

Or le projet de budget qui nous est présenté ne répond pas aux enjeux actuels de l’agriculture, tels que nous les connaissons. La crise que nous traversons depuis plusieurs années est loin d’être achevée. Les producteurs de lait peinent à résorber leurs pertes.

Monsieur le ministre, vous avez dû, dans l’urgence, intervenir dans le conflit de la viande bovine qui opposait les éleveurs aux abattoirs. Et combien de producteurs de porcs survivront-ils à la faiblesse récurrente des cours, peut-être entretenue artificiellement, et qui dure depuis de trop nombreux mois ?

Les palliatifs budgétaires des années précédentes n’ont fait que répondre à la marge à un problème plus profond. Car ce sont les orientations mises en place pour l’agriculture qu’il faut revoir, au lieu d’apporter des corrections ponctuelles.

Les dispositions maîtresses de la LMAP, ou du moins celles qui sont présentées comme telles, tardent à se mettre en place et suscitent plus de questions et de doutes qu’elles n’apportent de confiance et de sérénité. Ainsi, le projet de décret portant sur la contractualisation laitière recueille pour l’heure le scepticisme des syndicats de tous bords et des représentants professionnels agricoles.

Dans ce contexte, la hausse du projet de budget consacré à l’agriculture pour 2011 est peu significative puisque, enseignement agricole y compris, les crédits passent de 5, 2 à 5, 3 milliards d’euros, soit une augmentation de 1, 8 %. Cette progression est conforme aux chiffres de l’inflation. Ce projet de budget est donc, au mieux, constant.

Cette hausse, somme toute très relative, s’explique principalement par une augmentation de 492 millions d’euros due à l’exonération des charges patronales de sécurité sociale pour les emplois saisonniers dans certains secteurs de production. Dont acte ! Cette décision était souhaitable. Il n’en subsiste pas moins, entre les pays européens, des disparités de situation peu compatibles avec une approche communautaire de l’agriculture.

Par ailleurs, on assiste à la suppression des exonérations de charges salariales dont bénéficiaient jusqu’à présent les travailleurs occasionnels de moins de vingt-six ans. Il s’agissait d’une mesure de soutien en faveur de travailleurs jeunes à la recherche d’un revenu d’appoint, qui rendait le travail saisonnier plus attractif.

Cette pseudo-hausse budgétaire est également aléatoire, dans la mesure où elle laisse entrevoir une réduction programmée des crédits de paiement à l’échéance de 2013. À cet horizon, les objectifs sont en effet très clairs et cohérents, avec l’affichage d’une volonté de diminution des dispositifs d’intervention.

La conviction est largement partagée que l’installation des jeunes agriculteurs est une priorité. Bien que perfectibles, des mesures avaient été mises en place pour favoriser l’installation des jeunes. La traduction budgétaire de cette volonté est désormais moins affirmée, en dépit des engagements pris par le Président de la République. La meilleure illustration en est la baisse très nette des prêts à l’installation, qui sont en recul de 25 millions d’euros.

En outre, rien n’indique clairement que l’intégralité du produit de la taxe sur la plus-value foncière sera réellement consacrée à l’installation des jeunes agriculteurs, comme vous l’aviez indiqué à la suite des interventions unanimes des sénateurs. À moins que vous n’apportiez des précisions claires sur ce point, monsieur le ministre.

Rien ne change vraiment sur le terrain, et les jeunes éprouvent toujours autant de difficultés à s’installer. Le moindre des paradoxes n’est pas que, aujourd’hui, dans certaines régions, les installations non aidées ou hors normes sont aussi et même parfois plus nombreuses que les autres. Cela démontre que les vocations existent. Il faudrait les accompagner mieux que cela n’est fait aujourd'hui.

Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, nous avions exprimé notre choix, sur la question des assurances contre les aléas climatiques, en faveur d’un dispositif de réassurance publique, solution que vous n’aviez pas écartée. Nous devons observer, avec les rapporteurs, que rien n’est cependant envisagé dans le projet de loi de finances pour 2011. Il s’agissait pourtant d’un des dispositifs phares de la LMAP, qui devait être mis en œuvre très rapidement après son adoption. Faut-il en déduire que cette ambition est différée, monsieur le ministre ?

L’action la moins bien dotée du programme est celle qui concerne un très grand nombre d’agriculteurs. Les crises et les aléas de production sont en effet récurrents et auraient mérité un meilleur arbitrage que ce que l’on constate, avec cette baisse de 39 %, soit 28 millions d’euros de crédits de paiement de l’action 12, Gestion des crises et des aléas de la production, du programme 154, Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires. L’assurance-récolte elle-même, pourtant présentée comme une disposition essentielle, se trouve amputée de près de 5 millions d’euros. Qu’adviendra-t-il si la crise agricole s’accentue encore ?

Les moyens dédiés aux actions internationales et à la stratégie économique diminuent dans ce projet de budget de 800 000 euros, alors que la France perd des parts de marché à l’export. Ainsi, en 2009, pour la première fois depuis vingt ans, les exportations agroalimentaires ont reculé de 12 %.

Si l’avenir de l’agriculture est soumis aux marchés globalisés, le tournant en faveur d’une libéralisation accrue a de quoi inquiéter.

Certes, pour la période 2007-2013, les crédits européens sont de 330 milliards d’euros, soit 10 milliards d’euros par an pour la France. Mais c’est l’après-2014 qui devient problématique. Car les agriculteurs devront en toute hypothèse s’aligner davantage encore sur le marché mondial. Il serait intéressant de savoir quelles options seront prises à l’échelon national sur la répartition des crédits européens.

Ajoutez à cela la volatilité chronique des cours mondiaux des produits agricoles à laquelle nous sommes soumis, et chacun mesurera le risque encouru pour la sécurité alimentaire de notre pays, comme pour la survie à terme de nombreux agriculteurs et la vitalité de nos territoires. Il n’existe pas de perspectives durables sans régulation. L’absence d’engagements clairs cache en réalité la dérégulation qui se poursuit.

Perdre les outils de la régulation des marchés, c’est livrer l’agriculture aux fluctuations parfois spéculatives des cours. Pour le secteur laitier, l’objectif poursuivi est ainsi de préparer la filière à la disparition du régime des quotas pour 2015. Mais avec quelles conséquences ? Le président de la Fédération nationale des producteurs de lait, la FNPL, en a fait récemment le constat quand il a déclaré que « la régulation des relations commerciales qui sera issue des futurs contrats ne remplacera jamais la régulation des marchés organisés par l’Europe ».

L’agriculture n’est pas une activité économique banale. Elle permet l’alimentation des populations, l’indépendance alimentaire. C’est le premier maillon de la chaîne de l’alimentation. À ce titre, une régulation est nécessaire, sauf à réduire l’agriculture à la variable d’ajustement de la filière agroalimentaire et de la grande distribution.

L’oublier, c’est livrer les exploitations à taille humaine, les paysans en difficulté et le développement des filières à un marché d’autant plus âpre que tous n’y jouent pas avec les mêmes règles et n’y exercent pas le même pouvoir. Dans l’esprit de quelques-uns, la sélection naturelle doit, elle aussi, s’appliquer à l’agriculture, via les règles pures et dures du marché. Les exploitations les plus faibles sont-elles vouées inexorablement à disparaître ? C’est l’avenir de nos territoires ruraux qui serait alors menacé par une remise en cause de leur équilibre économique souvent fragile, car l’agriculture y représente fréquemment une des seules activités.

Monsieur le ministre, le présent projet de budget de l’agriculture s’inscrit clairement dans les options libérales que promeut le Gouvernement et dont nous mesurons les conséquences particulièrement négatives pour l’économie agricole et les agriculteurs eux-mêmes.

Aussi, avec mes collègues du groupe socialiste, je ne voterai pas les crédits de la mission « Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales ».

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