Monsieur le président, monsieur le rapporteur spécial, messieurs les rapporteurs pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, avant de répondre précisément aux questions qui m’ont été posées, je ferai quelques observations générales sur le contexte économique actuel, qui marque l’agriculture française comme l’agriculture européenne.
Nous sommes au croisement de trois défis, que nous devons relever ensemble.
Le premier défi est l’effondrement des revenus des agriculteurs français en 2009, qui ont baissé de 34 % en moyenne et de 50 % pour certains producteurs, en particulier dans le secteur laitier.
Le deuxième défi est la crise budgétaire que connaissent l’ensemble des pays européens, et qui oblige la France et ses voisins à engager une politique rigoureuse en matière de gestion des déficits publics pour éviter d’avoir à prendre des dispositions plus draconiennes.
Le troisième défi réside dans une concurrence accrue sur la question agricole, aussi bien en Europe, en particulier avec l’Allemagne, que dans le reste du monde, je pense notamment aux pays d’Amérique du Sud.
Il serait irresponsable de vouloir aborder ce projet de budget sans garder présents à l’esprit ces trois défis qu’il est nécessaire de relever ensemble. C’est bien le choix politique qui a été le nôtre dans ce projet de budget.
Tout d’abord, nous avons pris la décision, que j’assume, de réduire les crédits de fonctionnement afin d’éviter de nous retrouver dans une situation budgétaire encore plus difficile qui nous contraindrait à prendre des décisions douloureuses, comme ont dû le faire d’autres pays européens.
Ensuite, nous avons décidé d’assurer le maintien ou l’augmentation des soutiens directs aux agriculteurs, qui sont la priorité absolue de ce budget.
Enfin, nous avons voulu moderniser notre agriculture en mettant en place la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche. Je profite de l’évocation de cette loi pour rassurer Yannick Botrel : 90 % des 70 décrets d’application prévus dans cette loi seront pris avant la fin du mois de janvier 2011. §C’est l’un des meilleurs taux de mise en place des décrets sur l’ensemble des lois adoptées en 2010.
Les priorités pour 2011 sont très claires.
La première des priorités est l’augmentation du revenu de tous les agriculteurs français.
Pour répondre aux critiques qui se sont élevées et aux inquiétudes exprimées par certains d’entre vous, je pense à Renée Nicoux, je précise que les chiffres dont vous aurez connaissance dans quelques jours attestent d’un relèvement significatif du revenu des agriculteurs en 2010, toutes filières confondues. Ce relèvement n’est pas dû uniquement à la conjoncture. Il résulte également de décisions que nous avons prises à l’échelle nationale ou sur le plan européen.
La deuxième priorité, au-delà de l’augmentation et de la sécurisation du revenu des agriculteurs, réside dans les batailles que nous aurons à mener pour le budget de la politique agricole commune et pour la régulation des marchés agricoles européens. Madame Herviaux, depuis ma prise de fonction, je suis resté fidèle aux choix de soutenir la régulation contre la libéralisation des marchés, de privilégier l’encadrement des marchés à l’ouverture à outrance, à l’absence de règles et d’un minimum de réciprocité qui pourraient, je pèse mes mots, tuer l’agriculture française.
La troisième priorité consistera à nous montrer très vigilants sur les questions internationales, notamment en ce qui concerne les négociations commerciales. Il n’est en effet pas question de livrer nos agriculteurs à des accords commerciaux internationaux, aussi bien avec l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC qu’avec le MERCOSUR, car cela signifierait la disparition d’un certain nombre d’exploitations en France. J’ajoute, à l’attention de Gérard Le Cam, que nous engagerons la bataille contre la volatilité des matières premières agricoles dans le cadre du G20, à la demande du Président de la République. En effet, chacun le sait, la volatilité du prix des matières agricoles est le premier des problèmes qui se posent à l’ensemble des agriculteurs, en France comme dans les autres pays européens.
J’en viens au projet du budget de mon ministère proprement dit. Les crédits de la mission «Agriculture, pêche, alimentation, forêt et affaires rurales », enseignement agricole y compris, s’élèvent à 5, 7 milliards d’euros en 2011 en crédits de paiement, soit une augmentation de 1, 8 % par rapport à 2010, avec une très légère baisse de 0, 1 % à la fin du triennal.
Le programme 154, Économie et développement durable de l’agriculture, de la pêche et des territoires, qui pour nous tous ici est le plus important, est doté de 2 milliards d’euros de crédits de paiement en 2011. Nous avons engagé sur ce programme un certain nombre d’économies de crédits que je tiens à rappeler.
Certaines économies résultent de l’arrivée à échéance de dispositifs antérieurs. Je pense, en particulier, au plan de soutien exceptionnel à l’agriculture, qui nous permet d’économiser 150 millions d’euros en crédits de paiement, ou encore à la non-reconduction de la mesure rotationnelle, prévue pour un an seulement, qui nous permet d’économiser 135 millions d’euros en autorisations d’engagement.
Par ailleurs, nous économisons 31 millions d’euros de crédits de paiement au titre de la compensation de la taxe carbone, qui avait été budgétée, mais qui n’a pas été mise en place, et 24 millions d’euros de crédits de paiement au titre de la fin du plan pour une pêche durable et responsable.
Au-delà des crédits budgétés et non employés, d’autres économies, dont M. le rapporteur spécial a dressé la liste, résultent des réformes engagées par mon ministère au titre de la RGPP. Je pense à la rationalisation des crédits de FranceAgriMer, qui permet de dégager 15 millions d’euros en crédits de paiement en 2011, à la réaffectation des 9, 6 millions d’euros de crédits dédiés à la génétique animale sur le compte d’affectation spéciale « Développement agricole et rural », à la réforme des associations départementales pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles, les ADASEA, qui dégagera 6 millions d’euros en 2011, ainsi qu’aux dépenses de fonctionnement de l’administration et des établissements publics, qui seront réduites de 10 % en trois ans, et de 5 % dès 2011.
C’est un effort important qui est demandé en termes de crédits de fonctionnement à mon ministère. Une fois encore, je l’assume, car je considère que, eu égard aux contraintes budgétaires que nous connaissons, nous devons en priorité soutenir les agriculteurs. Je tiens d’ailleurs à saluer le sens des responsabilités de l’ensemble des agents de mon ministère qui, conscient de cette nécessité, nous ont permis de préserver les mesures de soutien au revenu des agriculteurs.
Monsieur le rapporteur spécial, je suis favorable à la mise en place d’une mission pluriannuelle, aussi bien sur l’Agence de services et de paiement, l’ASP, que sur l’Institut français du cheval et de l’équitation. Une telle initiative pourrait se révéler très utile.
Les mesures de soutien aux revenus des agriculteurs sont, je le répète, la priorité absolue de mon ministère. Les économies que nous avons réalisées nous permettent de maintenir intégralement un certain nombre de dispositifs vitaux pour les exploitants. Il en est ainsi de la prime nationale à la vache allaitante, que M. Bailly a mentionnée, pour laquelle nous avons préservé 165 millions d’euros. J’ajoute, monsieur le sénateur, que, depuis 2007, nous avons consacré 400 millions d’euros à la modernisation des bâtiments d’élevage. L’effort est donc soutenu.
Les économies réalisées nous également permis de maintenir 248 millions d’euros pour les indemnités compensatoires de handicaps naturels. Lors d’un récent déplacement dans le Rhône, j’ai pu une nouvelle fois mesurer combien les ICHN sont un élément clé du maintien de notre modèle agricole. Si nous voulons des exploitations partout, y compris dans les zones difficiles, il est indispensable de préserver les ICHN. Le maintien de ces indemnités constitue une priorité absolue, je l’ai encore répété aujourd'hui au commissaire européen Dacian Ciolos qui déjeunait avec le Premier ministre.
J’attache une attention particulière à la filière bovine, à chère au cœur de Daniel Soulage et d’Ambroise Dupont, sur laquelle j’aurais l’occasion de revenir lors des questions-réponses-répliques. C’est, avec la filière porcine, une des productions qui connaît les plus grandes difficultés. Je suis particulièrement mobilisé sur ce sujet depuis le début du mois de septembre. J’espère que nous verrons, notamment en termes de prix, les premiers résultats de cette action dans les semaines à venir.
Tous les crédits nécessaires ont également été prévus pour couvrir les engagements pris en 2010 en matière de renouvellement des contrats au titre de la prime herbagère agro-environnementale. C’était une question très sensible pour vous tous, et Jean-Paul Emorine m’a alerté à plusieurs reprises sur ce point. Tous les engagements pris sur la PHAE seront tenus. En 2011, 47 millions d’euros ont été ouverts en décrets d’avances pour couvrir les contrats arrivant à échéance en 2010 et en 2011. En 2012, 19 millions d’euros sont prévus pour prolonger de deux ans les contrats qui arrivent à échéance, afin que tous les PHAE arrivent à terme en 2014, lorsque sera mise en œuvre la future politique agricole commune. Ainsi, aucun éleveur ne verra ses contrats de PHAE annulés ou reportés.
En ce qui concerne l’installation des jeunes agriculteurs, qui inquiètent, et c’est bien légitime, Odette Herviaux et Renée Nicoux, j’apporterai deux précisions.
En premier lieu, les 350 millions d’euros prévus seront bien intégralement maintenus. Ils se décomposent en 169 millions d’euros de crédits du ministère de l’agriculture, en 94 millions d’euros de cofinancement du Fonds européen agricole pour le développement rural, le FEADER, et en 86, 9 millions d’euros d’aides fiscales et d’exonérations sociales. Faisons bien attention lorsqu’on regarde cette ligne à ne pas comptabiliser uniquement les crédits du ministère, mais à prendre également en compte les exonérations fiscales et sociales, ainsi que les financements européens du FEADER.
En second lieu, l’intégralité de la taxe pour les jeunes agriculteurs sera bien consacrée, je vous rassure, à des projets pour les jeunes agriculteurs. Ce n’est pas parce que l’aide s’inscrit dans les plans de développement qu’elle n’ira pas aux jeunes agriculteurs.
La filière cheval a fait l’objet de nombreuses questions. Comme toujours, la mobilisation du Sénat a été payante. Quelques ajustements sont certes nécessaires, mais les amendements qui ont été déposés sur ce sujet nous permettront probablement de remédier à certaines difficultés.
Monsieur Le Cam, il n’est pas question d’abandonner le cheval de trait breton. Nous continuerons à consacrer 10 millions d’euros par an à l’identification et à l’étalonnage gratuit du cheval de trait et nous maintiendrons, dans le cadre de la politique agricole commune, les soutiens financiers à ces chevaux. Il n’y a pas, en France, uniquement des chevaux légers ou de course. Il est tout à fait légitime que les races de chevaux de trait continuent à être préservées.
Au-delà de ces mesures de soutien, les crédits du programme 154 doivent permettre de renforcer la compétitivité de nos filières, car la réponse à la concurrence allemande et internationale reposera sur leurs gains de compétitivité. Sur ce point, comme nous en avons ensemble pris la décision, je ne bougerai pas d’un millimètre. Ces gains de compétitivité sont indispensables, car il n’est pas question que nous continuions à perdre des parts de marché au profit de nos voisins allemands, espagnols ou italiens, aussi sympathiques soient-ils !
Nous continuerons donc d’accompagner la modernisation de l’agriculture avec les plans de développement, qui mobiliseront 300 millions d’euros pendant trois ans, à raison de 180 millions d’euros prélevés sur le budget de l’État, soit 60 millions d’euros par an, et de 120 millions d’euros produits par la taxe sur le foncier agricole qui seront, je le répète, réservés au financement de l’installation des jeunes agriculteurs.
Toujours en matière de compétitivité, nous allons poursuivre l’allégement des charges sur le travail occasionnel, un certain nombre d’entre vous, notamment Claude Biwer, en ont parlé. Il est indispensable que nous progressions dans ce domaine, car le coût du travail, dans le secteur de l’agriculture, peut représenter jusqu’à 60 % du coût du produit.
La Parlement a adopté, au début de l’année dernière, une mesure exonérant de toute charge sociale le travail occasionnel. Cette mesure représente un coût supplémentaire de 170 millions d’euros par an, ce qui porte le total de l’ensemble des exonérations de charges sociales sur le travail occasionnel dans l’agriculture à 492 millions d’euros, soit un demi-milliard d’euros par an. La décision que nous avons prise tous ensemble sur ce sujet a largement aidé le secteur des fruits et légumes et un certain nombre d’autres secteurs agricoles, qui ont connu une année 2010 bien meilleure que l’année 2009.
Cet exemple prouve que nous devons, à mon sens, continuer dans cette direction. J’ai donc confié à un député le soin de me remettre un rapport sur ce sujet dans les six mois à venir, de façon que nous puissions aussi présenter des propositions concrètes sur le travail permanent. Je vous propose de travailler ensemble sur ce sujet et d’expérimenter un certain nombre de dispositifs qui permettront à notre agriculture d’être plus compétitive.
Au-delà de ces décisions, je plaide de longue date pour une harmonisation des règles en Europe, qui permettront à la France d’affronter ses concurrents européens à armes égales.
Ces mesures de compétitivité doivent aussi s’accompagner de modifications des règles du droit européen de la concurrence, j’ai en d’ailleurs parlé ce midi avec Dacian Cioloş qui était invité à déjeuner chez le Premier ministre. Il s’agit de permettre aux producteurs de se regrouper pour mieux défendre leurs intérêts. J’avais eu l’occasion de le souligner lors de la discussion du projet de loi sur la modernisation de l’agriculture et de la pêche : si nous voulons des contrats justes et efficaces entre producteurs et industriels transformateurs ou distributeurs, il faut autoriser les producteurs à se regrouper. M. Jean-Paul Emorine a, à juste titre, soulevé cette question.
Je ne vous cache pas que la discussion est difficile. La Commission européenne n’est pas uniquement composée du commissaire à l’agriculture, malheureusement, en l’occurrence ! Nous devons tenir compte de la position d’autres commissaires. Nous devons notamment convaincre le commissaire à la concurrence, Joaquín Almunia, que, à partir du moment où l’on a autorisé la constitution de cartels dans l’industrie laitière, regroupant de très grandes entreprises telles que Danone, Lactalis ou Sodial, dont nous pouvons à bon droit être fiers, il n’est pas illégitime de permettre aux producteurs de s’organiser aussi pour négocier en position de force, ou du moins sur un pied d’égalité avec les industriels. C’est une question de justice, mais aussi d’efficacité économique. Pour établir un bon contrat, il faut des parties de force comparable, mille ou deux mille producteurs, d’un côté, et la grande industrie laitière, de l’autre, et non pas des parties déséquilibrées, un petit producteur normand face à un industriel comme Danone.
S’agissant de la pêche et de l’aquaculture, questions abordées par Charles Revet et Odette Herviaux, les 31 millions d’euros de baisse des crédits de paiement correspondent à la fin de la mise en œuvre du plan pour une pêche durable et responsable. En revanche, plusieurs actions innovantes essentielles seront poursuivies : ainsi, les contrats bleus, qui constituent une action prioritaire à nos yeux, continueront à s’inscrire dans la durée, pour un montant de 10 millions d’euros par an.
Le vieillissement de la flotte, évoquée par Odette Herviaux et Charles Revet, est une question absolument majeure : nos bateaux ont en moyenne 25 ans, ils consomment trop de carburant et le coût final du poisson est grevé par le prix du carburant, qui peut représenter jusqu’à la moitié du coût de revient du poisson ! Il est donc indispensable de moderniser ces bateaux. Dans les jours prochains, je confierai au député Daniel Fasquelle, la mission d’élaborer un rapport sur le renouvellement de la flotte, et je lui demanderai de présenter des propositions concrètes assorties des financements adéquats.
Nous consacrerons 5 millions d’euros en 2011 au renforcement de la connaissance des ressources halieutiques et au développement d’un partenariat encore plus étroit entre scientifiques et pêcheurs.
J’ai été heureux d’entendre les remarques de Charles Revet et Odette Herviaux sur ces sujets. Je saisis cette occasion pour répéter, devant la représentation nationale, ce que j’ai déjà dit publiquement : je souhaite que l’on témoigne une plus grande considération aux pêcheurs.