Ces deux amendements portent l’un et l’autre sur la question des prix de transfert. Mon propos sera assez long, car je voudrais prendre un exemple concret.
Les prix de transfert sont l’un des outils financiers les plus utilisés par les groupes économiques à vocation transnationale pour échapper, autant que faire se peut, à l’application pleine et entière des règles fiscales relatives à l’impôt sur les sociétés.
Dans un groupe de cette nature, une entreprise filiale domiciliée en France va, par exemple, vendre à une entreprise du même groupe située dans un autre pays tout ou partie de sa production à un prix fixé entre les parties, prix dont la « construction » offrira l’opportunité de réduire le bénéfice imposable de la première entreprise. Et ainsi de suite, si l’on peut dire, puisque ce procédé a aussi une incidence sur les recettes de TVA ou bien encore, de manière encore plus prégnante aujourd'hui, sur la fiscalité locale.
Permettez-moi de citer le cas de la société Fralib. L’exercice sera quelque peu fastidieux, mais il me paraît nécessaire de le présenter pour illustrer l’amendement défendu tout à l'heure par Mme Bricq et que j’ai voté, et pour répondre aux avis exprimés par la commission et du Gouvernement.
Après avoir procédé au maximum d’économies que les conditions de production lui permettaient – je pense aux fermetures de sites, aux plans de licenciements appelés à tort « plans sociaux », aux réductions des coûts en tous genres –, le groupe Unilever a mis en place en 2006 un dispositif original et astucieux.
Il consiste en la création, en Suisse, d’une société dans laquelle ont été mutés près de 160 salariés. Il s’agit de la société USCC, Unilever supply chain company, ou centre de la chaîne d’approvisionnement, appelée par la CGT, non sans raison, « centre de profits ».
Le dispositif fonctionne de la façon suivante : l’USCC achète la matière première qu’elle met à la disposition de l’ensemble des soixante usines d’Europe, avec droit de propriété sur la totalité des produits fabriqués par les usines. Les usines sont ramenées au statut de façonnier pour le compte de l’USCC, l’usine n’étant plus propriétaire des biens qu’elle fabrique réellement. L’USCC s’arroge dans ce processus, avec un système de prix dit de cost plus, une marge garantie qu’elle fixe seule.
Par ce système, les centres de production, qui n’ont le droit ni de se fournir ailleurs qu’auprès de l’USCC ni bien sûr de revendre directement à des clients, se trouvent ainsi complètement dépendants des fournitures, prix et planifications décidés par l’USCC et ne possèdent plus que la masse salariale comme variable d’ajustement.
L’USCC vend ensuite les produits fabriqués aux différentes sociétés commerciales du groupe Unilever, dont Unilever France. En effet, les différentes sociétés commerciales nationales d’Unilever en Europe répercutent les commandes de leurs clients, comme Carrefour et Auchan, vers l’USCC, et via celle-ci, vers Fralib par exemple.
La marchandise commandée part directement des unités de production vers les lieux de vente, mais elle aura théoriquement transité par l’USCC, qui encaissera une partie du prix de vente des sociétés commerciales du groupe Unilever en Europe. Par le système des prix de cession, c'est-à-dire de profit partagé, l’USCC s’approprie plus de 25 % du profit estimé de 2006 de chaque société commerciale en Europe.
Comme ce type de montage est aujourd’hui favorisé par la méthode des prix de transfert, je ne peux que vous inviter à adopter ces deux amendements.