… quelle sera la sortie de crise ? Le choix des États-Unis se résume-t-il à autre chose qu’une alternative entre plus d’impôts ou plus d’inflation ? À l’inverse, avons-nous échappé à tout risque de déflation ?
J’en reviens au premier point : les mécanismes de régulation et de supervision.
S’il y a bien un constat que tous nos interlocuteurs ont fait, c’est celui des lacunes importantes du contrôle des banques et des institutions financières aux États-Unis, y compris les compagnies d’assurance. Le paysage réglementaire apparaît à la fois complexe et morcelé, fractionné, caractérisé par la présence d’une myriade d’organismes dont les fonctions et les moyens d’action ne sont pas toujours clairement définis. Si certains comportements préjudiciables ont pu avoir libre cours, sans jamais rencontrer d’obstacle – je pense bien sûr en premier lieu à l’affaire Madoff –, c’est à cette absence de structuration et de vision globale efficace qu’on le doit.
Les autorités américaines ont-elles pris la claire mesure des changements à apporter à leur organisation et ont-elles commencé à les mettre en œuvre ? Je serais tenté de répondre plutôt « oui » à la première question et plutôt « non » à la seconde, du moins dans un très proche avenir.
Il existe aujourd’hui aux États-Unis un consensus très fort en faveur de la création d’une instance de régulation du risque systémique ayant vocation à chapeauter l’ensemble du système. Le débat n’est cependant pas encore tranché sur deux questions essentielles : l’autorité qui sera investie de cette fonction, même si la Réserve fédérale apparaît comme la plus apte à jouer ce rôle et, surtout, la place de cette autorité. Le danger est, en effet, qu’elle se superpose au « patchwork » existant, sans se substituer à lui, au risque d’accroître encore la confusion et les phénomènes de déresponsabilisation si préjudiciables, à l’origine de la situation actuelle.
En ce qui concerne la régulation spécifique des produits dérivés, il apparaît là aussi une convergence très nette en faveur de la construction d’un marché organisé autour d’une chambre de compensation. Parce qu’elle assure une parfaite transparence, parce qu’elle permet de réduire les risques de défaillance grâce au contrôle quotidien des positions et aux appels réguliers de marges, la technique de la chambre de compensation est la plus appropriée, me semble-t-il, et sa généralisation préventive aurait sans doute permis de réduire fortement l’ampleur de la crise financière actuelle.
Au-delà du constat, le débat ne fait cependant que commencer sur le statut que prendra cette structure. Il est clair que, si elle devait rester aux mains des seules banques, comme la plupart d’entre elles le souhaitent, le revendiquent, et cela sans réel contrôle externe, l’objectif de transparence ne serait pas atteint. Autant dire que l’on n’aurait rien fait !
D’autres thèmes se rattachent aux questions de régulation et de supervision, les délocalisations vers les « paradis fiscaux » notamment – j’en parlerai dans un instant – mais aussi tout ce qui tourne autour de la séparation des activités de banque de dépôt, d’une part, et de banque d’investissement, d’autre part, de la procyclicité des normes comptables, de la surveillance des agences de notation et du contrôle des hedge funds.
Nous avons évoqué à plusieurs reprises avec nos interlocuteurs le too big to fail. La concentration des établissements n’atteint-elle pas une taille excessive ? À partir d’un certain stade, le risque systémique ne va-t-il pas au-delà des capacités des États que l’on appelle au secours lorsque surviennent les difficultés ?
On a entendu différentes propositions, les unes tendant à fractionner des institutions qui seraient devenues trop importantes, faisant encourir un risque systémique excessif.
On a également évoqué la possibilité pour l’État, qui est l’assureur systémique, de percevoir une redevance, un impôt, qui serait fonction de la dimension des établissements. Puisque le risque systémique est assumé par l’État, par la puissance publique, il est légitime que cette assurance fasse l’objet du paiement d’une prime.
Je n’ai pas le temps de les développer ici, mais je souhaite que notre débat nous permette d’aborder tous ces points, qui sont autant de sujets d’intérêt commun avec nos amis américains et sur lesquels leur niveau de réflexion est souvent proche du nôtre.
Je serai plus rapide sur la seconde interrogation que nous ramenons des États-Unis et qui se résume à cette question simple : quelle sortie de crise ?
Les Américains ont, comme nous, présente à l’esprit la crise japonaise des années quatre-vingt-dix et les années de stagnation qui ont suivi. Le premier impératif qui s’impose à la puissance publique est de favoriser le « nettoyage », le plus rapidement possible, des actifs des banques, si l’on veut éviter que l’économie ne subisse une stagnation, faute pour le secteur bancaire de pouvoir de nouveau assurer son rôle normal de financeur des agents économiques.
Premier constat : ce travail est en cours, mais n’est pas encore achevé. Et d’autres mauvaises surprises ne sont pas à exclure, notamment parce que les banques n’ont pas encore enregistré comptablement leurs pertes sur des prêts accordés dans certains secteurs potentiellement sinistrés, comme l’immobilier d’entreprise. A-t-on extrait tous ces actifs toxiques ? Le Fonds monétaire international estime ainsi le montant total des pertes que l’ensemble des banques pourraient devoir constater sur leurs actifs à 4 000 milliards de dollars, dont 2 700 milliards pour les seuls établissements américains. Tout cela doit inciter à la plus grande prudence à l’égard des propos optimistes de ceux qui évoquent les prémices d’un redémarrage. Faisons attention aux fausses bonnes nouvelles qui ne pourront qu’exercer un impact encore plus dépressif sur l’économie réelle si les prédictions de ce début de printemps ne se réalisent finalement pas ! À court terme, le risque de déflation reste réel.
Second constat : aux États-Unis, c’est la Réserve fédérale qui a été amenée à gérer la faillite ou la quasi-faillite des institutions jugées systémiquement importantes comme Bear Sterns, Lehman Brothers, AIG, Citigroup, Freddie Mac et Fanny Mae, sorte de Crédit foncier des années quatre-vingt-dix.
Le résultat est que le bilan de la Réserve fédérale a été multiplié par près de trois, passant en quelques semaines de 800 milliards de dollars à plus de 2 000 milliards. Ce bilan pourrait même prochainement atteindre plus de 4 000 milliards de dollars. Parallèlement, la Réserve fédérale, comme la Banque centrale européenne, a injecté massivement des liquidités dans l’économie afin de lui permettre de surmonter le choc subi.
Si l’on peut raisonnablement espérer que nos banques centrales sauront convenablement gérer la sortie de crise en retirant à temps les liquidités injectées en surplus, il faudra cependant surveiller de très près le comportement de la Réserve fédérale à l’égard des actifs douteux qu’elle a inscrits à son bilan et dont elle assume le risque direct.
Il y a aux États-Unis un ensemble constitué par la Réserve fédérale et l’État fédéral et son budget, comme si l’idée que nous nous faisions de l’indépendance de la Réserve fédérale par rapport au gouvernement avait été quelque peu estompée.
En conclusion, et comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut avancer aussi sur la question des paradis fiscaux et juridiques, ces espaces non coopératifs, qui préservent jalousement le secret bancaire. De ce point de vue, entre les déclarations du G20 et les avancées réalisées, il pourrait y avoir un écart qui ferait obstacle à la cohérence des politiques à mener.
Nous devrons être extrêmement vigilants sur la publication des listes noires ou des listes grises. Veillons à ce que la présentation de ces listes ne se fasse pas sur des considérations politiques. Pourquoi n’y figurent ni l’État américain du Delaware ni certains territoires dépendant pour l’essentiel des pays du G20 ? L’OCDE devra rester très vigilante. Il faudra beaucoup de détermination et de volonté pour aboutir sur ce terrain et faire disparaître les trous noirs de l’économie mondiale.
Enfin, si nous devons veiller à l’application de toutes les dispositions prévues par le G20, il faudrait peut-être que l’Union européenne donne l’exemple et que nous passions à l’acte sur l’ensemble de son territoire.
Il est formidable de pouvoir proclamer la pertinence de nos recommandations, dès lors faisons de l’Europe le champ d’expérimentation et d’application. Faisons disparaître les espaces non coopératifs, soyons convaincants auprès de nos partenaires luxembourgeois, autrichiens et suisses, puisqu’ils sont associés à l’Europe en matière bancaire et financière.