Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 29 mars 2011 à 21h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Frédéric Mitterrand, ministre :

Disposer d’une offre riche et variée et non d’un choix standardisé, réduit à quelques best-sellers, quelle que soit leur qualité : voilà l’intérêt du lecteur ! Et ce d’autant que la loi Lang de 1981, loi fondatrice pour la régulation des industries culturelles, qui a inspiré près de la moitié des pays de l’Union européenne, n’a pas eu d’effets inflationnistes, qu’elle s’est révélée compatible avec une large gamme de tarifs. Ainsi, le prix d’un livre de poche est-il en moyenne de 6 euros.

Notre responsabilité collective est à présent de faire vivre cette loi de civilisation à l’heure du numérique.

Je tiens par conséquent à saluer l’attention soutenue que la représentation nationale, notamment au sein de la Haute Assemblée, porte à un tel enjeu. La proposition de loi relative au prix du livre numérique, dont Mme Catherine Dumas et M le président Legendre ont eu l’initiative, nous fournit l’occasion de définir le cadre de régulation indispensable pour accompagner la chaîne du livre dans un processus de transformation sans précédent depuis l’invention de l’imprimerie par Gutenberg, il y a cinq siècles.

J’ai effectué, au début du mois, un déplacement aux États-Unis riche de bien des enseignements sur la formidable transformation dans laquelle nous sommes engagés. J’en retiens notamment les effets dévastateurs d’une concurrence sauvage sur le marché du livre numérique, illustrée par la terrible guerre des prix que se sont livrés les principaux réseaux de vente de livres numériques aux États-Unis en 2009-2010 et qui a vu certains opérateurs pratiquer de considérables rabais, voire des ventes à perte – un véritable dumping – sur les meilleures ventes, au détriment des équilibres de l’ensemble de la chaîne du livre.

Mais l’effort de régulation et de structuration du marché entrepris récemment aux États-Unis mérite aussi d’être souligné. Comme vous le savez, depuis 2010, les plus grands éditeurs américains ont obtenu le passage au système du contrat d’agence, où l’éditeur contrôle son prix, avec l’appui notable de Google et d’Apple. Contrairement aux prédictions alarmistes, ce changement de modèle économique n’a entraîné aucun fléchissement du marché, lequel, bien au contraire, a continué sa croissance soutenue.

Dans ce contexte, il est clair que l’objectif qui consiste à préserver la diversité éditoriale en prenant appui sur un riche réseau de détaillants reste pleinement d’actualité à l’heure du numérique. S’il est normal que l’arrivée du numérique s’accompagne de transferts de valeur à l’avantage d’acteurs nouveaux, nous devons veiller à ce que cette transformation n’aboutisse pas à une baisse globale de la valeur produite, comme ce fut le cas pour la musique. Il convient d’éviter que des acteurs en position de force n’imposent des conditions défavorables à toute la chaîne du livre.

Il convient aussi de défendre, à l’heure du numérique, le rôle essentiel de médiateur culturel joué par les libraires pour qui le livre ne se réduit pas à un produit d’appel.

Dans ces conditions, une régulation est plus que jamais nécessaire. Il nous faut naturellement l’adapter à la réalité de ce nouveau marché, notamment en la ciblant sur le livre « homothétique », lequel devrait représenter l’essentiel du marché du livre numérique dans les quatre ou cinq prochaines années. Cependant, l’intervention de cette régulation à un stade précoce est la meilleure garantie pour que le développement du marché s’effectue dans des conditions harmonieuses, sans captation de la valeur par des acteurs dominants.

J’ajoute qu’il est tout à fait normal, et même tout à fait souhaitable, que les éditeurs soient en mesure de contrôler la valeur du livre, quel que soit, j’y insiste, le lieu d’implantation du diffuseur. Afin d’assurer la cohérence du dispositif proposé, en évitant les risques de contournement, ce principe doit s’appliquer à l’ensemble des ventes de livres numériques effectuées en France. Je rejoins donc entièrement l’objectif suivant lequel les distributeurs établis en France doivent pouvoir jouer à armes égales avec ceux qui sont établis hors de nos frontières. Il serait en effet paradoxal que certaines plateformes de distribution de livres numériques échappent à une régulation de cette nature lorsqu’elles s’adressent à des lecteurs français.

Il est toutefois parfaitement légitime qu’il y ait un débat, y compris entre les deux chambres, sur la meilleure stratégie à retenir pour atteindre cet objectif partagé par l’ensemble de la filière. Nous savons que le contrat de mandat a pour effet de restreindre l’autonomie du détaillant et donc le rôle de médiation culturelle des libraires. Malgré cet inconvénient, ce modèle a fait ses preuves, notamment aux États-Unis, à l’égard des grands opérateurs de l’internet.

Par ailleurs, comme vous le savez, ce sujet est suivi avec une grande attention par la Commission européenne, qui a rendu deux avis très réservés sur la proposition de loi française. Nous devons donc avoir conscience des interrogations sérieuses que l’approche développée ici soulève du côté de Bruxelles.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement entend poursuivre le dialogue entamé depuis plusieurs mois déjà avec les institutions européennes. Attentif aux remarques et aux interrogations légitimes de la Commission européenne, le Gouvernement fera valoir en particulier, par une analyse juridique et microéconomique très rigoureuse, que la loi instaurant un prix unique du livre numérique répond à un enjeu crucial de diversité culturelle. La préservation de la diversité culturelle, consacrée non seulement par la convention de l’UNESCO, mais aussi par les traités et la jurisprudence européenne, est un principe cardinal, …

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