Intervention de Colette Mélot

Réunion du 29 mars 2011 à 21h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la navette législative se poursuit donc sur cette importante proposition de loi, qu’avaient déposée le président de notre commission, Jacques Legendre, et notre collègue Catherine Dumas.

Je vous rappelle qu’il s’agit d’accompagner la mutation du secteur du livre, caractérisée par l’émergence du livre numérique. En effet, l’ensemble des filières culturelles sont désormais concernées par ces véritables révolutions des modes de création, de diffusion et de « consommation » – je suis d’accord pour considérer que le terme n’est guère approprié – des biens culturels avec Internet et avec le développement du processus de dématérialisation qu’il entraîne.

Voilà quelques jours, pour son trentième anniversaire, le Salon du livre a réuni à Paris 180 000 visiteurs en quatre jours ! Le succès de cette manifestation, qui est la grande occasion annuelle d’échanges entre les professionnels et le grand public ne se dément pas, preuve de la vitalité de ce secteur culturel. Parallèlement, le Salon permet de débattre des évolutions en cours.

Ainsi, pour la quatrième année consécutive, le Salon du livre a présenté un espace consacré à l’édition numérique et à la lecture sur supports mobiles, ses organisateurs affirmant que « désormais, la question n’est plus de savoir si le livre sera ou non numérique, mais bel et bien d’en saisir concrètement toutes les opportunités et les enjeux ».

C’est parce que les parlementaires en sont parfaitement conscients qu’ils souhaitent adopter une régulation adaptée de ce nouveau marché. Il s’agit d’encourager le développement de l’offre légale de livres numériques, d’accompagner et d’encadrer sa montée en puissance, tout en favorisant la concrétisation des objectifs suivants : tout d’abord, promouvoir la diversité culturelle et linguistique, notamment en application de la convention de l’UNESCO, ce qui suppose le maintien de la richesse de l’offre éditoriale et de sa mise en valeur à l’égard des lecteurs ; ensuite, respecter une concurrence loyale, non susceptible de conduire à une concentration excessive du marché de la librairie numérique, étant entendu que, à cette fin, les libraires physiques, qui contribuent au maillage culturel de notre territoire et doivent pouvoir aussi exister dans des conditions viables sur ce nouveau marché ; enfin, je citerai, bien entendu, l’objectif relatif au respect du droit d’auteur.

La propriété intellectuelle étant appelée à demeurer la clef de voûte de l’édition, les éditeurs doivent conserver un rôle central dans la détermination des prix, comme le prévoit le texte, qui applique ce principe au livre numérique dit « homothétique ». Nous savons tous que d’autres types d’œuvres numériques fleuriront, mais les règles de concurrence ne semblent pas permettre, à ce stade, de les viser.

Je vous rappelle que ce texte, adopté en première lecture par le Sénat le 26 octobre 2010, a été examiné par l’Assemblée nationale le 15 février dernier.

L’Assemblée nationale a adopté des modifications de portée rédactionnelle à l’article 1er, qui définit le livre numérique et le champ d’application de la loi, ainsi qu’à l’article 5, qui régit les relations commerciales entre éditeurs et détaillants.

Elle a adopté conformes l’article 4, relatif aux ventes à primes, l’article 6, traitant des sanctions, et l’article8, qui prévoit les modalités d’application du texte outre-mer.

À l’article 2, relatif au principe de fixation du prix de vente par l’éditeur, elle est revenue à la rédaction initiale du premier alinéa, c’est-à-dire à l’application du texte aux seuls éditeurs établis en France – j’y reviendrai tout à l’heure.

Toujours à l’article 2, elle a en outre introduit un dispositif consensuel qui n’avait pas pu être trouvé avec les professionnels lors de notre première lecture, afin d’instituer une exception au principe de la fixation du prix de vente par l’éditeur, exception applicable aux seuls livres numériques intégrés dans des offres composites spécifiques destinées à un usage collectif et dans un but de recherche ou d’enseignement supérieur. Notre commission a adopté cette disposition qui concerne notamment les éditeurs scientifiques.

À l’article 3, qui impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l’éditeur, les députés sont revenus au texte initial de la proposition de loi, en ne visant que les libraires établis en France, alors que, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, nous avions décidé à l’unanimité que la pleine efficacité du dispositif supposait son application à l’ensemble des libraires exerçant leur activité sur le territoire national.

Par ailleurs, nos collègues députés ont complété l’article 7, qui institue un rapport annuel au Parlement, en prévoyant la constitution d’un comité de suivi et un développement spécifique dudit rapport sur le droit d’auteur. Il s’agit là d’une faible contrepartie à la suppression de l’article 5 bis, article que nous avions adopté à l’unanimité, sur l’initiative de notre collègue David Assouline, en vue de garantir une rémunération des auteurs tenant compte de l’économie résultant du recours à l’édition numérique.

Enfin, l’Assemblée nationale a introduit un article 9, en adoptant deux amendements identiques de son rapporteur, M. Hervé Gaymard, et du groupe socialiste. Il s’agit d’une validation législative en faveur du mécénat culturel. Cette disposition concerne un permis de construire dans l’enceinte du Jardin d’acclimatation, à Paris, afin de permettre la poursuite de la construction du musée d’art contemporain édifié par une fondation d’entreprise. En effet, le motif d’annulation de ce permis de construire tient exclusivement à ce qu’une simple allée intérieure du jardin a été, bien que n’étant ni routière ni circulante, considérée comme une « voie », ce qu’elle n’est pas au sens des règlements d’urbanisme.

Je précise que, outre son caractère d’intérêt général, cet article est conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel en matière de validations législatives.

Depuis notre premier examen du texte, deux événements sont intervenus : les avis circonstanciés de la Commission européenne, à la suite des notifications, par le Gouvernement, de la proposition de loi initiale, puis du texte voté par le Sénat, ainsi que l’opération conduite chez certains éditeurs par les autorités européenne et française de la concurrence pour vérifier que leurs pratiques ne sont pas susceptibles de relever d’une entente. Cette démarche illustre la brutalité des rapports de force sur le marché des œuvres culturelles numériques, en particulier de la part de l’oligopole américain constitué d’Amazon, d’Apple et de Google, avec des méthodes trop souvent prédatrices.

La Commission européenne a émis des réserves dans ses deux avis, donc sur les deux textes évoqués. Elle conclut de ses analyses que la proposition de loi pourrait restreindre la liberté d’établissement et la libre prestation de services, et qu’elle pourrait également être incompatible avec certaines dispositions de la directive Services et de la directive relative à l’e-commerce. Elle ajoute que, dans la mesure où un objectif de diversité culturelle serait susceptible de justifier l’une des restrictions de la liberté d’établissement et de la libre prestation de services potentiellement imposées par la proposition de loi, ces restrictions ne semblent pas appropriées pour atteindre des objectifs de diversité culturelle et ne sont pas proportionnelles à ces objectifs.

Nous avons cependant relevé que la Commission européenne n’avait pas « fermé la porte ». Elle a émis des réserves certes fortes, mais elle a aussi posé au Gouvernement français une série de questions, certaines d’ordre général, d’autres relatives au droit de la concurrence : les réponses que nous y apporterons devraient toutefois permettre de lever ces réserves. Cela suppose un volontarisme politique déterminé à la fois du Parlement et du Gouvernement, ainsi qu’une présentation complète et claire des objectifs du texte, de même que l’apport des preuves et « éclaircissements » attendus par la Commission sur les différents point relevés, en particulier pour justifier le respect des principes de l’adéquation et de la proportionnalité entre les objectifs de la proposition de loi et les moyens choisis pour les atteindre.

Les points de divergence avec nos collègues députés recouvrent deux questions.

La première est celle de l’adoption ou non d’une clause d’extraterritorialité concernant les éditeurs de livres numériques, d’une part, à l’article 2, et les libraires, d’autre part, à l’article 3. À cet égard, la commission a rétabli les dispositions votées à l’unanimité par le Sénat en première lecture sur proposition de notre collègue Jean-Pierre Leleux.

La seconde question concerne le droit d’auteur, en raison de la suppression par l’Assemblée nationale de l’article 5 bis, que nous avions introduit sur proposition de notre collègue David Assouline. La commission a également rétabli cet article afin de mieux encadrer les négociations entre éditeurs et auteurs, ces derniers étant souvent dans un rapport de force défavorable pour obtenir une rémunération équitable en cas d’exploitation numérique de leur œuvre.

Le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition ont engagé des négociations interprofessionnelles voilà quelques mois. S’ils ont obtenu certaines avancées, dont on peut se féliciter, il semble en revanche qu’ils ne soient pas parvenus à un accord sur des sujets majeurs, tels que la durée du contrat et les conditions de rémunération. Un cadrage par le législateur reste donc d’actualité.

Je vous propose, mes chers collègues, de suivre la commission, qui a travaillé dans un esprit très constructif, au service de l’efficacité et du pragmatisme. J’en remercie tous mes collègues, en particulier notre président, Jacques Legendre, que ce sujet passionne également.

Comme nous l’avons encore constaté à l’occasion de la table ronde que nous avons organisée le 9 mars dernier avec différents acteurs de la filière, ce texte est très attendu par les professionnels.

Il s’inscrit dans un ensemble de réflexions et, en quelque sorte, de combats en faveur de l’écrit et de sa diffusion, les technologies numériques devant se développer dans des conditions telles qu’elles représentent une opportunité plutôt qu’une menace pour les acteurs et pour la diversité culturelle, et donc aussi pour les lecteurs. Je pense en particulier à l’alignement de la TVA applicable au livre numérique sur celle du livre papier, mais aussi aux œuvres orphelines ou encore au débat plus général sur l’harmonisation des niveaux d’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne.

Notre mobilisation en faveur du secteur du livre ne faiblira donc pas dans les mois à venir et je suis convaincue, monsieur le ministre, que le Gouvernement aura également à cœur de sensibiliser tant les institutions européennes que les autres États membres sur la nécessité d’appréhender au mieux les intérêts de l’Europe dans ces domaines.

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