Intervention de Jack Ralite

Réunion du 29 mars 2011 à 21h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Jack RaliteJack Ralite :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi répond à un objectif fondamental pour l’avenir de la filière du livre numérique : transposer, pour partie, les dispositions vertueuses de la loi Lang du 10 août 1981 instituant un prix unique pour le livre.

Comme pour le livre papier, il s’agit d’empêcher que le marché du livre numérique ne soit accaparé par de grands groupes financiers mondiaux qui, bradant les livres comme une marchandise ordinaire, auraient raison d’acteurs plus modestes mais jouant néanmoins un rôle essentiel dans la diversité et la qualité de l’offre éditoriale française et de sa diffusion.

Afin que Google, Amazon ou Apple ne règnent pas en maîtres sur l’offre éditoriale numérique française, il est indispensable d’instaurer un prix unique du livre fixé par l’éditeur pour ce nouveau support.

Le livre reste défini plus par son contenu que par son support. Il est avant tout œuvre de l’esprit et peut s’incarner différemment, sur papier ou bien numériquement, sans que change sa caractéristique fondamentale.

Le livre est un bien culturel, et la France doit réaffirmer l’exception culturelle. C’est un combat à mener sans relâche, plus que jamais, alors que l’intérêt privé, intérêt financier, des grands groupes se place au-dessus de l’intérêt général. C’est le devoir du législateur de fixer par le droit les limites à la concurrence dite « libre », mais bel et bien faussée.

Il est vrai que cette loi peine à définir son objet même. Impossible en effet de répondre à cette question simple : qu’est-ce qu’un livre numérique ? Objet naissant, dont la pratique n’a pas encore fixé les contours, on s’en fait une idée approximative. Ce texte fait d’ailleurs un peu l’aveu de son ignorance puisqu’il vise le livre numérique « homothétique », soit l’équivalent du livre papier sous un autre format, alors que l’intérêt même du numérique réside dans l’ajout de fonctionnalités qui lui sont propres.

C’est une insuffisance que doit néanmoins affronter la loi, sous peine de ne plus produire d’effets dans un marché tendant à être régulé par les géants commerciaux du Web. On ne peut qu’espérer qu’elle ne manquera pas sa cible et que le comité de suivi prévu pourra, grâce à ses rapports annuels, combler cette insuffisance.

Désormais, l’avenir de ce texte se concentre sur deux questions.

Première question : quelle rémunération est garantie pour l’auteur ? C’est une question centrale à l’heure du livre numérique. Nous devons impérativement en faire mention dans la loi.

Deuxième question : quel est le périmètre d’application ? La loi doit-elle concerner tous les prestataires du livre œuvrant en France, quel que soit leur lieu d’établissement, ou bien ne viser que les seuls acteurs résidant sur le sol français ? Cette dernière option est aussi inutile que dangereuse.

Inutile, car cette loi ne toucherait aucun des trois géants qui s’emparent de ce marché naissant, alors que ce devrait être son objet même. Qu’il s’agisse d’Amazon, de Google ou d’Apple, aucun n’est établi en France. Le seraient-ils, d’ailleurs, que rien ne les empêcherait de se délocaliser. Les frontières physiques n’ont guère d’importance en la circonstance ! Ou plutôt elles en ont, mais bien plus en termes de fiscalité que de rayonnement...

Dangereuse, car le marché du livre serait régi par une double législation. Un prix unique s’imposerait aux entreprises françaises et un prix non réglementé à toutes les autres, qui ne manqueraient alors pas d’envahir le marché français du livre numérique.

Si les membres de la majorité de l’Assemblée nationale disent leur adhésion aux objectifs visés dans un prétendu consensus, ils vident dans le même temps la loi de son effectivité en en limitant l’application aux seuls acteurs établis sur le territoire français. Ils choisissent d’abandonner ce bien culturel aux lois du marché. Ils réduisent la loi à une simple déclaration d’intention, qui n’aura malheureusement d’autres vertus qu’incantatoires.

En première lecture, le Sénat a étendu – et il persiste en ce sens – l’application de cette loi à tous les acteurs qui commercialisent en France, quels qu’ils soient. Je me félicite que nous rétablissions l’extraterritorialité de l’application de cette loi, malgré les modifications de l’Assemblée nationale. Nous ne devons céder ni sur ce point ni sur celui de la rémunération des auteurs.

Les arguments de la majorité de l’Assemblée nationale s’appuient sur le droit communautaire, tel qu’il ressort notamment de la directive Services et de la directive portant sur le commerce électronique.

La législation européenne semble, en tout lieu et pour toute chose, avoir cédé aux lois du marché, et même avoir été créée pour mieux les faire fonctionner. Elle n’érige l’intérêt général et culturel qu’au rang d’exception. Pourtant, cela n’a jamais empêché la France d’être porteuse d’initiatives, de combats, qui ont souvent été menés avec justesse, au bénéfice de la richesse et de la diversité de la création culturelle.

Il faut ici une volonté forte et combative. Si la France ne l’incarne pas, alors qui le fera ?

Les décisions de l’Europe doivent non pas tomber comme un couperet, mais être révisées quand c’est nécessaire : les directives sur les services et le commerce électronique qui régissent le livre numérique doivent prendre en compte l’exception d’intérêt général fondée sur des impératifs culturels.

Un premier combat doit être mené. Actuellement, le droit européen considère la vente de livres numériques sur Internet comme un service, alors que le livre papier est regardé comme un bien. C’est là une conception biaisée, se focalisant sur le support du livre et non sur sa caractéristique fondamentale de création littéraire. D’où une distinction de droit qui n’a pas lieu d’être.

Sans compter que l’examen consciencieux des deux avis rendus par la Commission européenne servant d’arguments aux opposants de l’extraterritorialité montre qu’il n’y a guère matière à renoncer.

Premièrement, que la loi fasse mention ou non de l’extraterritorialité, les décisions rendues au niveau européen sont aujourd'hui strictement les mêmes ! On voit donc mal en quoi supprimer cette clause est nécessaire puisque, dans les deux cas, la loi porterait atteinte à « la liberté d’établissement », à « la libre prestation des services », ainsi qu’à la directive « e-commerce » ! Je le dis comme je le pense : si remise en cause il y a de la part de la Commission, c’est celle du principe du prix unique dans sa globalité !

Deuxièmement, la Commission n’affirme pas définitivement la contradiction de la loi avec le droit européen : elle évoque la nécessité, pour la France, d’argumenter sur l’« adéquation » et la « proportionnalité » des mesures aux objectifs assignés.

On est surpris de cette frilosité à affronter d’éventuels mécontentements de Bruxelles dans le domaine du prix du livre numérique, alors que nous nous en sommes parfaitement affranchis concernant l’extension au livre numérique du taux réduit de TVA.

« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience », disait René Char. Il faut que nous portions une volonté politique forte pour défendre une fois de plus les politiques culturelles, afin que progressent ces valeurs au sein de l’Union européenne.

La convention d’octobre 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles encourage la diversité culturelle et linguistique et fournit des bases juridiques au maintien de la richesse d’une offre éditoriale protégée, bases que, pour ma part, je trouve un peu molles. Songeons à l’article 20, où se trouve un méli-mélo des positions contradictoires entre l’UNESCO et l’OMC. Mais, même imparfaite, cette convention, avec l’esprit qui la sous-tend, reste un outil dont il faut s’emparer.

Monsieur le ministre, je suis satisfait de votre prise de position en faveur de la clause d’extra-territorialité lors du récent Salon du livre. Vous êtes clair lorsque vous dites que le prix unique « doit s’appliquer à l’ensemble des ventes de livres numériques effectuées en France, quel que soit le lieu d’implantation des opérateurs ». Vous avez également été clair dans votre présentation du problème, au début de ce débat, tout comme notre rapporteur, Mme Colette Mélot, s’exprimant au nom de la commission de la culture unanime.

À ceux qui renoncent avant de se battre, je rappelle que Google continue de sévir aux États-Unis, en foulant aux pieds le droit d’auteur – fût-il pourtant un droit d’auteur « à l’américaine » – mais que, heureusement, le juge lui tient tête. Je rappelle aussi qu’Amazon est, dit-on, à l’origine des perquisitions un peu musclées menées au début du mois de mars dans plusieurs maisons d’édition françaises par des inspecteurs de la Commission européenne. Gallimard, qui vient de fêter son centenaire, a été visité !

Je n’ai qu’une envie : de voir le Gouvernement français suivre son ministre de la culture, qui rencontre le désir des professionnels et des auteurs – ceux-ci ne doivent pas se laisser diviser –, et d’entendre la confirmation par le Sénat, en deuxième lecture, de sa position adoptée en première lecture.

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