Intervention de Catherine Morin-Desailly

Réunion du 29 mars 2011 à 21h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà pratiquement trente ans, le Parlement adoptait la « loi Lang » instaurant un prix unique du livre en France. Trois décennies plus tard, si l’on établit un bilan, on peut dire que cette loi a indéniablement sauvé le livre papier.

Le prix unique du livre a permis, Dieu merci, de conserver, à côté des rayons aux produits bien standardisés des hypermarchés, un réseau de librairies indépendantes, véritables animateurs culturels de nos territoires et, bien sûr, une très grande diversité éditoriale.

À l’heure de l’e-commerce, le texte dont nous débattons est essentiel puisqu’il vise, selon les préconisations du rapport Zelnik, à étendre le principe du prix unique du livre à sa version numérique, pérennisant ainsi la chaîne du livre, aujourd’hui confrontée à des transformations sans précédent.

Le bilan du dernier Salon du livre nous encourage en ce sens. Les débats qui s’y sont tenus ont permis de faire un point sur l’évolution du marché de l’édition ; on relève, d’ailleurs, qu’un « prix du livre numérique » a été pour la première fois attribué.

Ce salon a été aussi l’occasion de découvrir les résultats de l’étude réalisée par IPSOS en janvier dernier, intitulée Notoriété et usage du livre numérique. Cette enquête a mesuré une notoriété en évolution positive puisque 61 % des lecteurs se déclarent aujourd’hui avertis de l’existence du livre numérique, contre 47 % en 2009-2010. En revanche, seuls 8 % des lecteurs s’adonnent à la lecture de livres numériques, soit guère plus que les 5 % de l’année précédente.

Un point de cette étude est particulièrement intéressant : 65 % des personnes interrogées estiment que le papier restera toujours le principal support du livre. Je ne pense pas, en effet, que le livre numérique se substituera au livre traditionnel, mais de nouveaux usages se feront jour, ainsi qu’une complémentarité entre l’un et l’autre, due tout simplement aux fonctionnalités nouvelles associées au livre numérique. Livres et e-books vont donc coexister. Ce phénomène s’est d’ailleurs produit pratiquement chaque fois qu’une technologie nouvelle a été inventée : les films n’ont pas tué le théâtre, de même que la télévision n’a pas tué le cinéma ni la radio.

Le marché du livre numérique est donc un marché naissant mais prometteur, qu’il convient non seulement de réguler, mais aussi d’encourager. À cet égard, comme vous le savez, c’est le Sénat qui a permis que soit voté à la quasi-unanimité – je n’ai d’ailleurs toujours pas compris la position adoptée ce soir-là par nos collègues socialistes de la commission des finances – le taux de TVA de 5, 5 % sur le livre numérique. Lors de la discussion de la loi de finances pour 2011, j’ai eu en effet l’honneur de défendre, au nom de notre commission – cela m’était d’autant plus facile que mon groupe avait défendu la même position lors de la première lecture –, cet amendement important tendant à éviter toute distorsion de concurrence, afin de garantir le développement d’une offre légale attractive pour les lecteurs.

Jugeant tout d’abord cette mesure contraire au droit européen, le Gouvernement s’est finalement rallié à notre position et a nommé Jacques Toubon ambassadeur itinérant pour mener les concertations au niveau européen en vue d’aboutir à une uniformisation des taux de TVA sur le livre numérique.

Cette affaire étant aujourd’hui réglée pour ce qui est de nos assemblées, nous nous heurtons cette fois-ci à un blocage sur la clause d’extraterritorialité. Je ne m’attarderai pas sur le sujet, plusieurs d’entre nous ayant rappelé les divergences d’appréciation qui nous opposent aux députés, nous qui avons voulu, sur l’initiative de Jean-Pierre Leleux, prendre en compte la dimension transnationale de la vente de livres numériques sur Internet et la réalité de la concurrence qui s’y exerce, en application, toujours, de la clause de diversité culturelle.

La Commission européenne a émis des réserves, certes. Mais au nom de quoi les plateformes établies hors de France faisant commerce des créations françaises seraient-elles exclues du champ d’application du prix unique du livre ? Au nom de quoi cautionnerait-on finalement les pratiques commerciales prédatrices d’acteurs étrangers tout puissants ? Monsieur le ministre, vous vous êtes exprimé sur ce sujet ces jours-ci et il y a quelques instants encore, à cette tribune : je sais que, comme nous, vous pensez qu’il faut se battre et que la démarche doit être poussée à l’échelle européenne. D’ailleurs, il faudrait aller plus loin dans cette perspective et également suggérer à Bruxelles l’idée d’une TVA à 5, 5 % applicable à tous les biens culturels, aussi bien la vidéo que la musique ou la presse en ligne, dans l’ensemble des pays membres.

Lors de la discussion de la loi de finances, nous avons mené une réflexion plus large sur l’évasion fiscale que représente aujourd’hui l’installation de certains opérateurs au Luxembourg ou en Irlande. Nous devons en effet nous interroger sur le rôle que doit jouer l’Europe pour la diversité culturelle à l’heure du numérique, sur la manière dont elle doit concevoir la survie de ce qui constitue son patrimoine et son héritage, mais aussi l’originalité de sa création

Il faut que, sans arrogance, mais avec force et détermination, nous puissions continuer de défendre l’idée que le livre, quelle que soit sa forme ou son support, n’est pas tant une marchandise ou un service en ligne qu’un bien culturel précieux, dont il faut préserver la diversité en matière d’offre. Que faut-il défendre, en fait ? L’intérêt du consommateur, prétendument avantagé par la libre concurrence, ou l’intérêt de ce que vous préférez appeler, monsieur le ministre, le lecteur ? Vous l’avez dit, l’économie du livre c’est tout de même autre chose que celle de la lessive ou des céréales du petit-déjeuner !

Comme l’a souligné Thierry Tuot, membre du collège de l’Autorité de la concurrence, l’objectif n’est pas d’atteindre le prix le plus bas, mais le prix le plus juste, qui permette aux acteurs de la chaîne de trouver une juste rémunération et aux « lecteurs-internautes » d’accéder aux biens dans des conditions normales.

La défense de cette idée est importante, car la législation française est observée dans le monde entier, particulièrement dans le domaine culturel ! Vous y avez fait allusion, monsieur le ministre, en rappelant que vous rentriez d’un déplacement aux États-Unis au cours duquel vous avez pu rencontrer les représentants d’Apple, de Google et d’Amazon et leur affirmer votre attachement au présent texte. Vous avez d’ailleurs indiqué que Google et Apple sembleraient faire preuve, à l’égard de la position française, d’une plus grande ouverture qu’Amazon.

Si ce texte nous permet de poser les bases d’un modèle économique, il adresse aussi à tous les acteurs un encouragement à s’organiser, afin d’assurer une juste rémunération des éditeurs, des auteurs, des libraires... Ils savent qu’il est dans l’intérêt de tous de se structurer rapidement, afin de faire face au risque d’hégémonie que représentent Apple, Google et Amazon. Certaines initiatives sont déjà prometteuses, comme le portail « 1001librairies.com », qui fédère trois cents librairies indépendantes et dont le service de géolocalisation des stocks présente un réel avantage concurrentiel face à ces plateformes.

Je suis satisfaite que le texte issu de notre commission veille aussi à assurer la défense du droit d’auteur dans l’univers numérique, car l’absence de fabrication, de stockage et de transport dans la production et la diffusion de livres numériques exige une réévaluation des parts revenant aux éditeurs et aux auteurs.

À cet égard, permettez-moi malgré tout de souligner que les évolutions technologiques des produits, qu’il s’agisse des contenus, des outils ou des accès, vont certainement entraîner, qu’on le veuille ou non, l’apparition de nouveaux modèles économiques et obliger les acteurs du secteur à s’adapter. Certains ne risquent-ils pas de céder à la tentation d’éviter les intermédiaires, notamment les éditeurs ou les libraires ? Un auteur ne pourra-t-il pas traiter directement, demain, avec un distributeur électronique ?

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