Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui recouvre des enjeux majeurs.
Le premier enjeu tient à notre capacité à créer les conditions d’un développement équilibré et dynamique du secteur émergent du livre numérique. Certes, cette ambition peut paraître limitée à certains, car nous ne pouvons légiférer, à ce stade, que sur le livre que nous qualifions d’« homothétique ». Or nous savons tous que se profile à l’horizon un univers créatif foisonnant, avec le développement d’œuvres multimédias, hybrides, mêlant outre du texte et de l’image, du son et des éléments permettant l’interactivité avec le lecteur. L’appellera-t-on d’ailleurs encore « lecteur » ?
Ne sous-estimons pas ce défi – car il s’agit bien d’un défi. Comment encourager le développement d’un cercle vertueux, au bénéfice de tous, lecteurs et professionnels – et, parmi ces derniers, tous les précieux maillons de la chaîne : l’auteur, l’éditeur, le libraire –, dans l’esprit de solidarité interprofessionnelle que nous souhaitons tous, même s’il n’exclut pas les rapports de force ?
La proposition de loi déposée par le président de la commission de la culture, Jacques Legendre, et notre collègue Catherine Dumas porte cette ambition. Comme l’a indiqué tout à l’heure notre rapporteur, Mme Colette Mélot, dont je tiens à saluer les compétences et le travail de grande qualité qu’elle a accompli, notre commission a considéré que la pleine efficience du dispositif supposait qu’il s’applique aussi aux acteurs étrangers, notamment les libraires qui, sans être établis en France, y exercent leur activité commerciale.
En effet, il ne serait pas souhaitable de créer un éventuel déséquilibre des obligations imposées aux libraires nationaux – ceux-ci supportent en outre le coût de leur présence physique, si précieuse, dans nos communes – par rapport aux sociétés établies hors de France. Le Sénat nous a suivis en première lecture et le groupe UMP votera de la même façon en deuxième lecture.
Le développement tentaculaire de l’oligopole qui se répartit les parts de marché des œuvres et services numériques dans le monde entier laisse planer des menaces, tant en matière de respect de la vie privée qu’au regard du droit d’auteur et de la diversité culturelle et linguistique. Je ne suis pas convaincu que les textes européens, ou leur interprétation, et leur application au secteur de la culture prennent en compte la réalité de ces risques ainsi que de leurs conséquences sur les industries européennes concernées.
Pourtant, les prises de conscience de cette réalité se multiplient, y compris au niveau des autorités judiciaires de différents pays, comme l’a encore montré l’actualité récente. Cette évolution me semble confirmer que le combat politique que nous menons en défendant ce texte est essentiel. Je forme le vœu qu’il ne soit pas vain !
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour que ce combat se poursuive à Bruxelles et à Strasbourg – où nous devons également nous rapprocher de nos collègues députés européens –, ainsi qu’auprès de nos partenaires étrangers, en replaçant la question du livre numérique dans le contexte global évoqué tout à l’heure par Colette Mélot.
En l’occurrence, je pense notamment à l’aggravation du déséquilibre concurrentiel dû aux différents taux de TVA qui s’appliquent aux uns et aux autres, ainsi que notre collègue Catherine Morin-Desailly l’a très judicieusement rappelé. En effet, s’agissant de la France, nous avons voté le principe d’une TVA à 5, 5 % pour le livre numérique à partir du 1er janvier 2012, contre 19, 6 % aujourd’hui. Cette baisse est cependant suspendue à la validation des instances européennes.
J’ajoute qu’il est essentiel de renégocier la directive Services. En effet, est-il vraiment logique et souhaitable de traiter l’achat d’un livre numérique comme n’importe quel autre service ? Les crises récentes qui ont secoué l’économie mondiale montrent la nécessité d’une régulation dans tous les domaines.
Cette évidence politique doit aussi s’imposer à Bruxelles. Une saine concurrence sur le marché suppose le respect de règles du jeu loyales et établies en cohérence avec les objectifs politiques des États. Or les États membres de l’Union européenne ont revendiqué, notamment dans le cadre de la Convention de l’UNESCO de 2005, leur attachement à la diversité culturelle et linguistique. Encore convient-il de traduire cette volonté dans les faits et, par conséquent, de porter ce débat au niveau européen. Telle est notre ambition.
Parallèlement, pour éviter un combat tel que celui auquel se sont livrés David et Goliath, les différents acteurs français et européens de la filière doivent se structurer rapidement afin de trouver une position commune forte susceptible de faire front contre cette concurrence étrangère.
Les libraires doivent aussi pouvoir trouver leur place sur ce nouveau marché, et le lancement du site internet www.1001libraires.com doit les y aider.
En définitive, il faut que le monde numérique constitue une formidable opportunité pour tous les professionnels, qu’ils soient nouveaux ou « historiques ». Outil de communication et vecteur permettant aux éditeurs de mieux diffuser la création dans toute sa diversité et aux libraires de valoriser leur rôle de conseil, celui-ci pose à chacun le défi de l’adaptabilité, de la mutualisation et de la réflexion en commun.
Chacun d’entre eux devra s’adapter à l’évolution de la demande et des usages du lecteur, acteur évidemment essentiel du dispositif, et au bénéfice duquel est également élaborée cette proposition de loi.
En outre, le développement d’une offre légale abondante, diversifiée et attractive doit permettre de limiter le phénomène de piratage, d’ailleurs encore minime dans le domaine du livre, sauf dans certains secteurs comme la bande dessinée.
Même s’il est d’ores et déjà possible d’accéder à plus de 80 000 titres, il convient d’être vigilant. En effet, l’adage « tout travail mérite salaire » doit également s’appliquer aux professionnels de la culture. La création et la diffusion de celle-ci ont un prix, même si les coûts de la diffusion des biens numériques diffèrent de ceux de la diffusion des biens physiques. Il est donc essentiel que les auteurs tirent un parti équitable de la diffusion numérique de leurs œuvres.
La numérisation des œuvres du patrimoine, notamment par la Bibliothèque nationale de France, facilitera également l’accès de tous à des œuvres parfois indisponibles et/ou épuisées. C’est pourquoi notre commission soutient fortement les projets Gallica et Europeana, qui seront confortés par les crédits de l’emprunt national. Ces derniers constituent une réponse importante – la France est un modèle en la matière ! – face aux offensives de Google.
Nous devons ainsi trouver les termes d’un partenariat équitable entre nos grandes bibliothèques publiques et les acteurs privés. Toutefois, quel que soit le support, papier ou numérique, nous sommes face à un autre formidable défi : celui de l’avenir de la lecture elle-même.
En effet, les pratiques culturelles des Français ont évolué, la lecture étant en concurrence avec bien d’autres types de loisirs. Les mutations sont évidentes : les jeunes regardent désormais la télévision sur leur ordinateur et l’avènement prochain de ce que l’on appelle la « télévision augmentée » accélérera encore ce processus. Cette concurrence concerne moins le prix relatif des livres, qu’ils soient imprimés ou numériques, que le temps disponible que chacun est prêt à leur consacrer.
Au-delà, c’est bien la question de la motivation et du désir qui est posée. Je forme le vœu que le nouvel accès aux livres, que permet l’arrivée sur le marché des tablettes de lecture et des œuvres numériques, suscitera, notamment chez les jeunes, un appétit renouvelé pour l’écrit.
Enfin, cette motivation et ce désir me semblent également liés à la façon dont les nouvelles méthodes pédagogiques, que les outils numériques permettent désormais de promouvoir, seront mises en œuvre.
En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UMP votera le texte proposé par la commission.