Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 29 mars 2011 à 21h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi en deuxième lecture

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une étude récente de l’IDATE, l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe, présentée lors du dernier Salon du livre de Paris, démontre que le marché du livre numérique représentera 17 % du marché mondial de l’édition en 2014.

Cette même étude nous enseigne que, à l’horizon 2016, les lecteurs occasionnels, qui ne lisent qu’un ou deux livres par an et uniquement des best-sellers, basculeront alors dans le numérique.

Les best-sellers français tireront l’économie du livre vers le haut et permettront une offre importante et diverse d’ouvrages plus complexes dont la mise à disposition sur les plateformes numériques est la condition sine qua non de la richesse de notre diversité littéraire et artistique.

C’est dans ce contexte prospectif et anticipatif que nous avons adopté, le 26 octobre 2010, à l’unanimité, la proposition de loi relative au prix du livre numérique déposée par Mme Catherine Dumas et M. Jacques Legendre.

En effet, transposer la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite loi Lang, à la commercialisation des ouvrages numériques, fussent-ils homothétiques, suppose la mise en œuvre par la France d’un système légal devant être respecté par l’ensemble des acteurs internationaux désireux de commercialiser des ouvrages en France.

Or le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale est très en retrait par rapport à celui que le Sénat a adopté en première lecture.

En faisant disparaître les clauses d’extraterritorialité que nous avions introduites, l’Assemblée nationale a créé une inégalité de traitement entre les acteurs français de la chaîne du livre et leurs concurrents internationaux.

Si ce texte adopté par la majorité de nos collègues députés devait être maintenu en l’état, les grandes plateformes de vente de livres numériques établies hors de nos frontières comme Amazon, Google et Apple seraient exclues de son champ d’application, alors même qu’elles s’adressent à des acheteurs situés en France. Les avis circonstanciés rendus par la Commission européenne appellent, de notre part, une lecture positive, optimiste et combative !

En effet, la Commission européenne n’a pas fermé la porte à la possible compatibilité du prix unique du livre numérique avec le droit communautaire. A priori, les dispositions prévues par les articles 2 et 3 de la proposition de loi, visant à créer une exception aux principes de libre prestation de services et de liberté d’établissement posés par les directives « e-commerce » et Services, répondent aux quatre critères permettant de déroger à ces principes.

Premièrement, les mesures ne sont pas discriminatoires dans la mesure où le prix fixé par l’éditeur s’appliquera à toutes les plateformes de vente.

Deuxièmement, elles répondent à des exigences d’intérêt général. Une offre éditoriale diversifiée existe grâce à la loi Lang pour le livre papier ; il convient de la maintenir pour les éditions numériques.

Troisièmement, l’exception garantira la réalisation de l’objectif recherché : l’application d’un prix unique effectif.

Quatrièmement, enfin, cette même exception n’excédera pas l’objectif poursuivi puisqu’il n’y aura aucune obligation contractuelle ou légale nouvelle. Il reviendra toujours à l’éditeur de fixer le prix de vente au public.

Le combat est éminemment politique ! La validation par Bruxelles de l’harmonisation à 5, 5 % du taux de TVA pour les livres physique et numérique que nous avons votée dans le cadre de la loi de finances pour 2011 est l’un des éléments de la bataille que nous menons pour défendre la spécificité des biens culturels.

Il s’agit d’envoyer un message clair à l’Europe. Quel serait le poids d’une loi sur le prix unique du livre numérique si l’oligopole nord-américain constitué par Apple, Google et Amazon pouvait y échapper ?

Les risques sont connus. En témoignent les secteurs de la musique et de l’édition phonographique où l’absence de régulation a conduit au piratage des œuvres et à l’effondrement des ventes physiques concomitamment à une concentration du marché de la musique numérique entre les mains d’acteurs internationaux, dont la puissance financière a permis des pratiques prédatrices sur les prix.

Si le prix unique du livre numérique ne devait pas s’appliquer à l’ensemble des acteurs commercialisant des livres en France, y compris ceux qui sont établis en dehors de nos frontières, s’ensuivrait presque automatiquement un appauvrissement de la création éditoriale. Le livre numérique se développerait de manière non maîtrisée, et, dans un contexte de baisse des prix, nous assisterions, à court terme, à une chute de la rémunération des ayants droit, auteurs et éditeurs.

Les librairies, notamment indépendantes, qui maillent notre territoire en favorisant l’accès au livre et à la culture, seraient, elles aussi, fragilisées dans la mesure où elles seraient placées dans l’impossibilité de concurrencer les multinationales du livre numérique. Les plateformes attractives de promotion et de commercialisation d’ouvrages numériques déployées par nos éditeurs et nos libraires sont tout à fait essentielles pour répondre à la concurrence internationale.

La loi Lang, dont nous fêtons cette année les trente ans, avait été une bataille difficile, mais il s’était agi, avant tout, d’une bataille collective. Il nous faut renouveler cet effort commun pour le livre numérique, en apportant notre soutien politique aux libraires, aux éditeurs et à l’ensemble de la chaîne du livre. Le livre ne peut pas être considéré comme n’importe quel produit commercialisable : il est un bien culturel porteur de sens et de civilisation et doit être, à ce titre, régulé par une concurrence organisée non pas sur les prix, mais sur sa mise en valeur.

Nous sommes convaincus que le livre, comme l’ensemble des activités, biens et services culturels, a également une double nature : économique et culturelle.

Parce qu’il est porteur d’identités, de valeurs et de sens, le livre ne peut pas être traité comme ayant uniquement une valeur commerciale. C’est tout le sens de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles que nous avons ratifiée en 2006, après en avoir été les principaux artisans.

Quelque 116 États, dont vingt-six des vingt-sept pays membres de l’Union européenne, ont aujourd’hui souscrit à ces principes en ratifiant cette convention. À l’heure où la justice américaine vient d’interdire à Google de numériser des millions d’ouvrages orphelins sans autorisation préalable des ayants droit, il serait inconcevable que la France, patrie du droit d’auteur de Beaumarchais et fer de lance de la Convention de l’UNESCO, cède à la pression des lobbys sur Bruxelles pour transformer nos livres en simples services électroniques.

La numérisation du livre est une opportunité formidable pour maintenir et développer l’extraordinaire richesse et diversité de notre offre éditoriale dans le respect des droits patrimoniaux et moraux des auteurs, qui sont les étendards de la diversité culturelle à laquelle nous sommes tant attachés. Ce combat de civilisation pour l’indépendance et la richesse de la création numérique, nous le mènerons à vos côtés, monsieur le ministre !

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