Après ce beau plaidoyer pour les auteurs et leurs droits, je veux rappeler que c’est lors de la discussion de la loi DADVSI, la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, puis de la loi HADOPI, la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, que nous avons assisté, dans cet hémicycle, aux discours les plus marquants en faveur de la création et de la protection du droit d’auteur. Il s’agissait de défendre la musique, car on ne savait pas alors que le cinéma serait aussi durement touché.
Mes chers collègues, si, à l’époque, le fait que tout le monde ait pu, à ce point, défendre les auteurs était tout à fait louable, je me souviens de vous avoir mis en garde contre l’attitude des majors de la musique : j’avais en effet le sentiment que, lorsque ces grandes firmes multinationales brandissaient l’étendard du droit d’auteur, elles pensaient plutôt au bénéfice et à l’argent qu’elles pourraient gagner ; en d’autres termes, elles instrumentalisaient les auteurs et le danger qui pesait sur eux pour bien d’autres raisons.
Puis, j’ai vu les éditeurs – les grands éditeurs ! – monter au créneau pour s’opposer à un objectif qui tient en une toute petite phrase : « Permettre une rémunération juste et équitable des auteurs. » Celui-ci me paraissait pourtant vraiment consensuel dans un contexte où la révolution numérique fragilise tout le secteur, l’ensemble de la chaîne du livre et la protection des droits. Dès lors que ces personnes sont venues nous expliquer qu’il n’était pas possible de l’inscrire dans la loi, je me suis dit : enfin, les masques tombent ! Tout à coup, on ne soucie plus des auteurs !
Pourtant, il faut le réaffirmer ici : au-delà de la question du prix, il n’y a pas de livre numérique ou papier sans auteur !
Aujourd’hui, d’aucuns sont prêts à payer parfois des sommes incroyables, mais pas pour la création : ceux qui imaginent, créent, passent du temps à concevoir, sont très souvent rémunérés n’importe comment ! Certes, certains sortent du lot : ils ont du talent et deviennent des vedettes ! Malgré tout, combien de dizaines de milliers d’auteurs, tout aussi talentueux mais qui ne sont pas encore connus ou reconnus, vivent avec rien ou, en tout cas, ne peuvent vivre de leur travail ?
On peut trouver au moins un avantage à cette révolution numérique : bien des coûts seront atténués, même si ce n’est peut-être pas dans l’immédiat, parce qu’il va falloir investir. Toutefois, à terme, il n’y aura plus à assurer une distribution lourde et coûteuse, à supporter des frais d’imprimerie, à payer le papier, qui, lui aussi, a un prix. Il y aura toujours, bien sûr, la relation entre l’auteur et l’éditeur pour promouvoir l’œuvre, l’embellir et faire en sorte qu’elle arrive jusqu’au lecteur, mais ce sera pratiquement tout !
Pour autant, on nous dit : oh non, ne parlez pas de « juste rémunération » ! Mais l’auteur sera désarmé face à son éditeur, car c’est ce dernier qui tranchera. Même si les marges augmentent et sont multipliées par cinq ou dix, l’auteur aura le même niveau de rémunération !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons pas rester les bras ballants devant une telle situation ! J’attends donc des démentis officiels, car, si certains m’ont rassuré, ils l’ont toujours fait oralement, officieusement.
Aujourd’hui, le coût d’achat d’un livre se décompose comme suit : 55 % pour l’ensemble de la chaîne de distribution, 15 % pour l’impression, 20 % pour l’édition et 10 % pour le droit d’auteur. Autrement dit, l’éditeur touche deux fois plus que l’auteur, que celui qui a créé et imaginé. On pourrait déjà s’interroger sur un tel ratio, mais acceptons-le eu égard aux frais fixes, aux frais d’administration notamment, et l’éditeur est indispensable.
Avec le livre numérique, les coûts de distribution et d’impression seront largement réduits, voire supprimés. Une fois que les quelques investissements engagés auront été amortis, on arrivera peu ou prou à ce résultat : l’éditeur touchera sept fois plus que l’auteur !
Dès lors, ne vous semble-t-il pas normal que nous essayions, par la loi, de rendre le système plus équitable ? Il faudrait à tout le moins que l’auteur puisse se défendre lors de la négociation contractuelle et rappeler à son éditeur que le législateur a voté des dispositions dont il doit tenir compte.
Avec cet article 5 bis, oui, nous faisons œuvre utile, sans rien mettre en danger ! Et demain, on saluera notre action !
Je n’ai donc pas du tout compris que les députés, pourtant aussi avertis et aussi soucieux que nous de la situation des auteurs, aient pu céder à des arguments si minces ! Comment peut-on affirmer que tout cela relève de la relation contractuelle et refuser de reconnaître la baisse des coûts qu’entraîne le livre numérique ? Pour qui nous prend-on ? Ce marché existe déjà au Japon, aux États-Unis, au Canada, et nous nous sommes rendus dans ces pays pour juger par nous-mêmes. Les éditeurs que nous avons interrogés nous ont tous fait spontanément la même réponse : les économies de coûts sont au moins de 40 %. Que l’on ne me dise pas que le prix du livre numérique sera identique à celui du livre papier ! Pourtant, dans ces trois pays, les éditeurs ont les mêmes contraintes que chez nous.
Mais j’arrête là ma plaidoirie, car je sais qu’il n’y a, dans cet hémicycle, que des convaincus. Au-delà de cette enceinte, je m’adresse surtout à nos collègues de l’Assemblée nationale. Je suis très heureux que le Sénat ait rétabli l’article 5 bis et que le Gouvernement soutienne notre volonté de défendre les auteurs !