Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 29 mars 2011 à 21h45
Prix du livre numérique — Article 9

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Monsieur le ministre, mes chers collègues, cet amendement a pour objet de supprimer l’article 9.

J’aurais souhaité vous épargner la lecture de ce chef-d’œuvre législatif – nous sommes en effet bien loin des dispositions du code civil ! –, mais elle me paraît indispensable, car, à elle seule, elle devrait justifier le bien-fondé de mon amendement.

Je vous donne donc lecture de l’article 9 : « Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés, à la date de leur délivrance, les permis de construire accordés à Paris en tant que leur légalité a été ou serait contestée pour un motif tiré du non-respect des articles ND 6 et ND 7 du règlement du plan d’occupation des sols remis en vigueur à la suite de l’annulation par le Conseil d’État des articles N 6 et N 7 du règlement du plan local d’urbanisme approuvé par délibération des 12 et 13 juin 2006 du Conseil de Paris. »

Voilà, mes chers collègues, la qualité du texte législatif que vous allez être appelés à voter !

Lors du débat à l’Assemblée nationale, M. Tardy, qui s’était exprimé le dernier, avait déclaré qu’il ne manquait plus que le numéro du permis ; j’y inclurai même, pour ma part, les plans du géomètre… Ce degré de précision me fait penser aux tableaux des circonscriptions figurant parfois en annexe des lois électorales.

L’article 9 a été introduit par l’Assemblée nationale à la suite du vote de deux amendements identiques défendus respectivement par un membre du groupe UMP et un membre du groupe socialiste.

Il s’agit d’opérer une validation législative du permis de construire qui a été accordé à la fondation LVMH avant d’être annulé par le tribunal administratif. Ce permis avait été délivré après une modification du plan local d’urbanisme annulée par le Conseil d’État.

Nul doute que les auteurs du projet connaissaient les procédures engagées devant la juridiction administrative, mais ils n’ont pas usé de la prudence nécessaire qui s’impose dans une telle situation et semblent avoir manifesté, en réalité, la volonté de passer en force, en faisant débuter les travaux avant l’épuisement des procédures.

Pour m’en tenir à l’aspect juridique, mon amendement se justifie pour deux raisons.

En premier lieu, la disposition proposée présente le caractère d’un cavalier législatif. Même si la construction projetée a une vocation culturelle, dans le cadre d’une opération de mécénat, cette validation est dépourvue de tout lien avec la proposition de loi que nous examinons ce soir et qui ne concerne en rien l’urbanisme ni, d’ailleurs, le mécénat culturel ou l’art contemporain.

En second lieu, les normes constitutionnelles et européennes s’opposent à cette mesure de validation.

Sur le plan constitutionnel, celle-ci doit pouvoir être justifiée par la poursuite d’un intérêt général suffisant. Selon le Conseil constitutionnel, il peut s’agir d’une atteinte à des situations personnelles nombreuses que nous connaissons tous – par exemple, l’annulation d’un concours ou le rétablissement de certaines dispositions –, d’une rupture de la continuité du service public, de considérations d’ordre public, de la stabilité des situations juridiques.

Il convient d’avoir à l’esprit que cette mesure de validation pourra peut-être faire l’objet, bien que je sois pessimiste, d’une question prioritaire de constitutionnalité.

Sur le plan européen, compte tenu de l’exigence du droit à un procès équitable, prévu au célèbre article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la mesure doit être motivée par d’impérieux motifs d’intérêt général.

Or, en l’espèce, quels que soient les mérites architecturaux de la construction en cause et l’intérêt qui s’attache à l’opération, cette mesure de validation peut difficilement être assimilée à une opération motivée par l’intérêt général.

On ne peut davantage justifier la poursuite des travaux en raison de préjudices que serait amené à supporter le constructeur.

Mes chers collègues, nous devons, en règle générale, nous abstenir de nous immiscer dans le débat judiciaire, et cela doit être encore plus fortement affirmé dans notre hémicycle qu’ailleurs.

En l’espèce, la validation proposée a pour objet non pas de vider de ses effets une simple irrégularité, mais de trancher une question de fond, puisqu’il s’agit de faire échec à la qualification de « voie » au sens du plan d’urbanisme applicable à une allée intérieure du Jardin d’acclimatation. Voilà le cœur du débat !

Il s’agit, par conséquent, de contredire une décision juridictionnelle au motif que la qualification juridique retenue par le juge serait contestable. Nous nous substituerions alors au juge.

À ce rythme, où allons-nous ? Que devient le principe de la séparation des pouvoirs ?

En votant cet article, nous dessaisirions les juges administratifs, qui se seraient donc trompés ! Comme l’a, au demeurant, reconnu Mme le rapporteur, les mesures de validation législative doivent rester exceptionnelles et obéir à des critères précis. Or nous ne voyons pas, en l’espèce, quelles circonstances exceptionnelles justifieraient que le législateur fasse obstacle à ce que ce litige puisse être franchement débattu dans des conditions normales devant une juridiction compétente.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion