La Poste fait partie de la catégorie des services publics nationaux par détermination de la loi. En effet, en 2004, le Conseil constitutionnel a considéré ceci : « en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Électricité de France et Gaz de France [...] le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux ».
En ce qui concerne La Poste, l’organisation du service public postal a été fixée historiquement à l’échelon national et confiée par le législateur à une seule entreprise. Aujourd’hui encore, la Poste reste – ce qui est confirmé par l’article 14 du projet de loi – le seul prestataire du service universel postal. Le service public postal est toujours confié à titre exclusif à une seule entreprise : La Poste.
En ouvrant le secteur postal dans sa totalité à la concurrence, le projet de loi tend à dévoyer largement la notion de service public national.
En l’état actuel, on peut considérer que l’entreprise exploite un service public national. Or, par ce projet de loi, vous retirez à l’entreprise son caractère de service public national, et ce n’est pas en présentant des amendements d’opportunité que vous maintiendrez ce caractère. La réalité est que le projet de loi vide le service public national de sa substance.
Il s’agit maintenant de déterminer si, en dépit du changement de statut de l’exploitant public, La Poste reste la propriété de la collectivité. La réponse est non, car même avec une privatisation partielle, La Poste cesse d’appartenir à la collectivité.
La modification apportée au texte, en commission, visant à passer de l’expression « personnes morales appartenant au secteur public » à celle de « personnes morales de droit public » ne garantit pas que le capital reste majoritairement entre les mains de l’État. Aussi, parmi les parts détenues par le public, l’État ne sera pas majoritaire au regard de l’ensemble.
Une pluralité d’indices montre que La Poste va cesser d’appartenir à la collectivité : le défaut de majorité garantie à l’État, la privatisation du statut, les incertitudes quant au régime applicable aux personnels sont autant d’éléments qui vont dans le sens d’une gestion privée de La Poste.
Rien ne garantit dans le texte une nouvelle intervention du législateur en cas de privatisation de La Poste. Or cette privatisation est parfaitement envisageable si l’État ou les personnes morales visées cèdent leur part du capital, conformément aux règles applicables aux sociétés anonymes.
Avec le changement de statut de La Poste en société anonyme, avec la logique de rentabilité qui sous-tend de telles structures conçues pour faire des bénéfices et la possibilité de diviser le capital et la gestion privée de l’ensemble, le poids des intérêts privés sera déterminant dans la gestion de l’entreprise, comme en témoigne d’ailleurs la composition du conseil d’administration.
Or si les intérêts privés deviennent déterminants dans le fonctionnement de La Poste, non seulement La Poste ne répondra pas aux besoins des usagers, mais on peut en conclure sans détour que ce service public ne sera plus la propriété de la collectivité. Il en découle que l’article 1er du projet de loi est contraire au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Ce projet de loi contrarie les principes constitutionnels d’égalité devant les services publics, d’égalité des salariés, de liberté syndicale.
Dans sa décision du 16 juillet 2009 relative à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Conseil constitutionnel a examiné la compatibilité de cette loi avec le principe à valeur constitutionnelle d’égalité devant les services publics, issu de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La décision précise : « Les établissements de santé privés exerçant des missions de service public seront tenus, pour l’accomplissement de ces missions, de garantir l’égal accès de tous à des soins de qualité ». Or le projet de loi que nous examinons ne garantit pas l’égal accès à un service postal de qualité.
L’article 2 du texte décline les missions de service public à la charge de La Poste et précise que la nouvelle société anonyme contribue, par son réseau de points de contact, à l’aménagement et au développement du territoire. Or, même avec la mention des 17 000 points de contact, à l’article 2, le réseau se situe déjà en dessous des exigences d’un service public de qualité et il est mis en danger par le changement de statut de La Poste et l’absence de consolidation du fonds postal national de péréquation territoriale.
Le statut de société anonyme et la fin du contrôle de l’État risquent d’aggraver une situation d’inégalité qui existe déjà sur le territoire, notamment en termes d’accessibilité. On le sait, le contenu même de l’activité postale varie énormément selon la structure proposée, ne serait-ce qu’en raison du statut des agents ou du commerçant, donc des opérations qu’ils sont en droit de réaliser.
Ainsi, en ce qui concerne les lettres recommandées, si le dépôt se fait dans un relais poste, la preuve du dépôt est envoyée sous enveloppe à l’expéditeur par l’établissement de rattachement dont dépend le relais poste. Dans ce cas, la seule date de dépôt faisant foi est celle qui est saisie par l’établissement de rattachement. L’usager n’est donc pas traité de la même manière selon que les missions de service public sont confiées à un relais poste ou à un bureau de poste.
Dans les relais poste, pour un retrait sur un compte courant postal ou un livret A dématérialisé, le titulaire du compte, domicilié dans la ou les communes de la zone, ne peut disposer que de 150 euros par période de sept jours consécutifs.
Le principe constitutionnel d’égalité devant les services publics ne doit pas être conçu comme une idée abstraite que seuls le juge constitutionnel ou le législateur seraient à même de comprendre : il s’agit des droits de nos concitoyens. On parle ici de situations concrètes et de problèmes injustifiables auxquels sont confrontés plus durement les habitants des zones rurales et des zones urbaines sensibles.
Les usagers ne sont pas les seuls à être touchés dans leurs droits par le projet de loi. Les personnels sont également mis à mal.
L’article 8 du projet de loi tend à supprimer certaines dispositions de l’article 31 de la loi de 1990 revisitée par le législateur en 2005. En effet, l’article 8 prévoit que La Poste peut, comme toute société commerciale, employer des agents contractuels. Il fait référence à l’article 31 de la loi de 1990 auquel il soumet les nouveaux agents de la société anonyme. Cependant, l’article 31 précise que ni les dispositions du code du travail relatives aux comités d’entreprise ni celles qui concernent les délégués du personnel et les délégués syndicaux ne sont applicables aux agents contractuels. Et cet article renvoie à un décret en Conseil d’État pour définir les conditions dans lesquelles les agents de La Poste sont représentés dans des instances de concertation chargées d’assurer l’expression collective de leurs intérêts, notamment en matière d’organisation des services, de conditions de travail et de formation professionnelle. Or, à ce jour, ce décret n’a toujours pas été publié.
En d’autres termes, les agents contractuels de La Poste société anonyme, contrairement à n’importe quel salarié de droit privé, ne sont protégés, dans ces domaines, ni par le code du travail ni par d’autres textes, en raison de la carence du pouvoir réglementaire. En soumettant les salariés de La Poste à un régime moins favorable que tout autre salarié d’une société anonyme, le législateur se rend coupable d’une violation du principe d’égalité des salariés.
De plus, cette absence de réglementation concerne les conditions dans lesquelles la représentation individuelle des agents de droit privé est assurée, les règles de protection, au moins équivalentes à celles qui sont prévues par le code du travail pour les délégués du personnel.
L’article 8 constitue également, à ce titre, une violation de la liberté syndicale, principe à valeur constitutionnelle qui découle du sixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».
Enfin, le Gouvernement se rend coupable d’un détournement de la procédure constitutionnelle aux seules fins de servir ses choix et au mépris de l’intérêt général.
L’article 3 de la Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Mais la Constitution prévoit également, dans son article 11, que le peuple a un droit d’initiative s’agissant des consultations populaires.
Depuis le vote de cette faculté constitutionnelle, deux événements majeurs sont intervenus. Tout d’abord, le Gouvernement a retardé le dépôt du projet de loi organique permettant d’exiger la consultation référendaire. Mais, dans nos communes – vous l’avez vu, mes chers collègues –, plus de deux millions de personnes se sont déplacées pour rejeter le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
Ce rappel des faits est d’une importance majeure pour comprendre l’empressement du Gouvernement à faire passer sa réforme en engageant la procédure accélérée. Cette dernière, qui prive le Parlement d’une seconde lecture et raccourcit les délais concernant les travaux préparatoires, ne se justifie aucunement au regard des exigences communautaires.
Le droit communautaire n’impose pas le changement de statut comme préalable à l’ouverture totale du secteur postal à la concurrence. Je vous rappelle que l’échéance est fixée au 1er janvier 2011.