Les services publics ne doivent pas être considérés comme de simples activités marchandes. C’est pourquoi, en 1946, le constituant a souhaité protéger les citoyens contre la domination des puissances économiques et financières.
L’État a donc le droit, mais surtout le devoir, d’intervenir dans certaines activités, car il est le seul à pouvoir préserver l’intérêt général.
En réservant la propriété des services publics nationaux à la collectivité, le constituant a entendu protéger celle-ci des appétits privés. Par notre motion, nous dénonçons solennellement devant vous l’atteinte grave qui est portée au préambule de la Constitution de 1946 et, à travers lui, à l’intérêt général. Or cette atteinte est inadmissible, car nous touchons là au noyau irréductible de ce qui doit demeurer sous le contrôle de la collectivité, de ce qui doit appartenir à l’ensemble de la communauté.
L’exploitant public La Poste constitue un monopole de fait et exploite un service public national du fait de la volonté du législateur. Certaines de ces activités dépendent de services publics constitutionnels, comme celui de la justice, mais également de la défense. C’est pourquoi le projet de loi du Gouvernement, en dépossédant la collectivité au profit de la satisfaction des intérêts privés, est inconstitutionnel.
Cette nouvelle atteinte du Gouvernement au socle des services publics est d’autant plus grave que ce même Gouvernement fait reposer sur l’opérateur historique de lourdes responsabilités en matière de défense nationale et de sécurité publique.
Ainsi, l’article R1-1-25 issu du décret du 5 janvier 2007 relatif au service universel postal et aux droits et obligations de La Poste et modifiant le code des postes et des télécommunications électroniques dispose : « La Poste prend, conformément aux directives du ministre chargé des postes, toute mesure utile pour assurer l’exécution des missions de défense nationale et de sécurité publique qui lui sont prescrites.
« À ce titre, elle accomplit toute opération considérée comme indispensable à la continuité de l’action gouvernementale. »
On voit mal comment demander à La Poste, société anonyme, d’assurer de telles missions. C’est pourquoi il est nécessaire que l’entreprise reste un exploitant public sous le contrôle exclusif de l’État.
La volonté du Gouvernement de livrer in fine, coûte que coûte, l’exploitant public au privé, alors même qu’il s’agit d’un service public national, entraîne des incohérences dans le texte.
À calquer un peu vite le modèle de la société anonyme sur l’établissement public, le Gouvernement a oublié quelques règles élémentaires.
Ainsi, l’article 7 du projet de loi prévoit que les fonctionnaires de La Poste sont sous l’autorité du président de La Poste et gérés par lui. Le Gouvernement a rappelé l’avis du Conseil d’État du 18 novembre 1993, pour nous rassurer sur une éventuelle violation de l’article 13 de la Constitution et de l’ordonnance du 28 novembre 1958. Ce texte précise les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être délégué par lui.
Cependant, l’article 7 du projet de loi, en prévoyant que le président de La Poste peut autoriser la subdélégation de ses pouvoirs de nomination et de gestion, dépasse largement les questions posées au Conseil d’État en 1993 et entre en contradiction avec l’article 13 de la Constitution. En effet, cela revient, à l’avenir, à permettre la nomination des fonctionnaires par des salariés de droit privé, par exemple.
Vous le voyez, les griefs d’inconstitutionnalité du projet de loi relatif à l’entreprise publique de La Poste et aux activités postales sont nombreux.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous vous dites prêt à soutenir un amendement visant à reconnaître le caractère de service public national de la Poste. Très bien, mais dans ce cas, tirez-en les conséquences et retirez votre projet de loi !
Vous dites : « Service public national/société anonyme » ; pour notre part, nous disons : « Service public national/établissement public national ». Nos différences sont irréductibles, malgré vos manipulations pour laisser penser le contraire !
De plus, le Conseil constitutionnel a précisé que le transfert au secteur privé d’une entreprise exploitant un service public national suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national.
Mes chers collègues, en votant le changement de statut de La Poste et le titre II du projet de loi, qui met en œuvre l’ouverture totale à la concurrence, que fait le législateur si ce n’est priver La Poste de ses caractéristiques de service public national ?
Le Gouvernement veut inscrire dans la loi que La Poste exploite un service public national et, par cette même loi, il prive l’entreprise de tous les éléments qui en font un service public national !
Il s’agit pour nous de protéger l’intérêt général, de préserver des activités régaliennes de l’État et un outil essentiel de la solidarité nationale ! C’est pourquoi, les sénateurs du groupe CRC-SPG soutiennent avec force cette motion et voteront bien évidemment pour.