Intervention de Michel Teston

Réunion du 3 novembre 2009 à 14h30
Entreprise publique la poste et activités postales — Demande de renvoi à la commission

Photo de Michel TestonMichel Teston :

Le projet de loi relatif à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales marque une rupture certaine dans l’organisation de nos services publics. Il constitue, à n’en pas douter, une étape de plus dans la remise en cause de notre modèle social, fondé sur des services publics correcteurs d’inégalités sociales et territoriales.

En effet, on ne saurait négliger les conséquences du basculement du statut d’EPIC vers celui de SA, tant sur le plan social et des statuts du personnel que sur le plan financier, avec la mise en œuvre de l’évaluation financière de La Poste ou encore l’attribution d’actions au personnel. Ces points méritent toute notre attention, car il s’agit là d’un véritable bouleversement de l’organisation de La Poste, consistant en un alignement sur le droit commun des SA.

Certaines questions restent sans réponse, qu’il s’agisse du régime conventionnel auquel seront soumis les personnels ou de la pérennisation du régime de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques, autrement dit l’IRCANTEC. Le projet de loi n’a rien prévu à cet égard, ce qui signifie que ce régime est condamné à terme.

Le basculement vers le droit commun des sociétés anonymes annonce l’extinction progressive des emplois de fonctionnaire. Or la cohabitation des fonctionnaires avec les contractuels soulève un certain nombre d’interrogations, dans la mesure où les contractuels devraient être régis par les conventions collectives.

Plus précisément, la coexistence de plusieurs régimes de conventions collectives, qu’il s’agisse de la convention collective de La Poste, de celle de la Banque postale, plus avantageuse, ou de celles des concurrents potentiels du fait de l’absence d’une convention commune pour les activités postales, risque de susciter de nombreuses injustices et inégalités entre les salariés. Cela est d’autant plus problématique que l’on observe, dans les postes étrangères, une nette dégradation des conditions de travail et une multiplication des emplois précaires.

Par ailleurs, la suppression dans le projet de loi d’une disposition de l’article 31 de la loi n° 90-568 faisant référence aux « conditions de travail » parmi les thèmes abordés par les instances représentatives du personnel, les IRP, est fortement symbolique : elle présage à coup sûr une diminution de la protection des salariés. Il semble pour le moins inopportun de supprimer l’expression collective des instances représentatives sur les conditions de travail à l’heure où celles-ci, sous la pression de plus en plus forte des objectifs de rentabilité, se dégradent dans toutes les entreprises.

On a pu voir, en particulier chez Renault ou France Télécom, à quel point l’évolution d’une entreprise publique était susceptible d’engendrer de fortes contraintes et ainsi d’entraîner un mal-être parmi les salariés. Les drames dont nous sommes témoins chaque jour doivent nous inciter à prendre le temps d’analyser les conséquences, pour les salariés, de la pression concurrentielle, ainsi que des exigences de productivité et de rentabilité.

Les questions et les problèmes que je viens d’évoquer auraient justifié un avis de la commission des affaires sociales et de la commission des finances, voire la mise en place d’une commission spéciale.

Pour ce qui relève, tout d’abord, de la commission des affaires sociales, l’article 9 du projet de loi vise à étendre le champ d’application des mécanismes d’épargne salariale et d’intéressement à l’ensemble des personnels de La Poste. L’intéressement, distinct de la participation, associe collectivement les salariés aux résultats ou aux performances de l’entreprise, tandis que le plan d’épargne salariale leur donne, toujours de manière collective, la faculté de participer à la constitution d’un portefeuille de valeurs mobilières. Ces dispositions, comme celles qui sont relatives à la représentation et à l’information des salariés, à la formation économique, juridique, ou encore aux conditions d’ancienneté, s’appliqueront à l’ensemble des personnels de La Poste, y compris les fonctionnaires en activité.

Par ailleurs, cet article précise les modalités selon lesquelles des augmentations de capital ou des cessions d’actions réservées pourront être réalisées dans le cadre d’un fonds commun de placement d’entreprise. Enfin, il étend le dispositif de participation aux résultats de l’entreprise.

Ainsi bascule-t-on concrètement dans le droit commun des SA, que ce soit avec l’intéressement du personnel de La Poste à la réalisation des objectifs de productivité et de performance de l’entreprise ou avec ces autres formes de rétribution, telles que les primes, qui ne font pas partie de la rémunération. Il s’agit de permettre aux salariés de constituer un portefeuille de titres émis par La Poste SA, pour les faire bénéficier d’un régime fiscal favorable, ce qui devrait, au demeurant, les inciter à agir pour faire monter le cours des actions de leur entreprise. Espérons que le changement de statut de La Poste, s’il intervient, ne préfigure rien de comparable à ce qui s’est passé dans d’anciennes entreprises publiques, comme GDF, avec l’instauration de mécanismes d’allocation et de distribution de stock-options aux dirigeants.

L’article 18 vise à compléter l’article L. 3-2 du code des postes et télécommunications en transposant des dispositions de la troisième directive européenne concernant, notamment, les « exigences essentielles ». Il s’agit de mettre en place des procédures transparentes et peu coûteuses de traitement des réclamations, de garantir l’accès aux services et aux installations des personnes handicapées, d’assurer la neutralité des envois postaux concernant l’identité de l’expéditeur. À cela s’ajoute une disposition introduite par le Parlement européen pour protéger les salariés, qui impose que « les obligations légales et conventionnelles » en matière de conditions de travail et de sécurité sociale soient respectées.

En outre, selon le considérant 53 de la directive, les dispositions adoptées ne doivent pas affecter le droit du travail, c’est-à-dire les dispositions légales ou contractuelles « concernant les conditions d’emploi, les conditions de travail, y compris la santé et la sécurité au travail, et les relations entre les employeurs et les travailleurs ».

Ces exigences essentielles devraient donc s’imposer à tous les prestataires de services postaux, sans préjudice du statut de fonctionnaire du personnel de La Poste. Encore faudrait-il qu’une harmonisation vers le haut des diverses conventions puisse être réalisée dans toute la branche ou le secteur des activités postales, afin d’éviter tout « dumping social » !

Or des incertitudes demeurent à cet égard. Comme je l’ai déjà indiqué, la mise en place d’une convention collective dans le secteur des activités postales est loin d’avoir abouti. En l’absence d’une telle convention, nous avons de bonnes raisons de penser que, après l’ouverture totale à la concurrence, les concurrents de La Poste continueront à appliquer des conventions moins avantageuses.

Enfin, ce projet de loi compromet l’équilibre financier du régime de I’IRCANTEC. Or, à ce jour, rien n’a été prévu pour pallier les conséquences de cette réforme. En effet, alors que les fonctionnaires conserveront leur statut et les garanties d’emploi et de retraite afférentes, il n’en ira pas de même pour les 160 000 salariés contractuels, dont le régime va être modifié et qui vont, par conséquent, perdre le bénéfice de leur régime de retraite complémentaire. Que va-t-il se passer pour tous ces salariés ? La question reste sans réponse. Ils seront a priori affiliés à un régime beaucoup moins avantageux, avec des cotisations plus élevées pour des pensions plus faibles. De plus, l’affiliation de ces salariés à l’AGIRC-ARRCO aura des conséquences financières défavorables pour l’IRCANTEC, dont les contractuels de La Poste représentent environ 6 % de l’effectif cotisant et près de 30 % de la marge technique. L’IRCANTEC se trouvera donc gravement fragilisée, ce qui aura pour effet de remettre en cause les bénéfices escomptés de la réforme de 2008. Les conséquences du changement de régime risquent d’être désastreuses pour l’IRCANTEC si l’on devait transférer les agents concernés vers l’AGIRC et l’ARRCO.

Nous regrettons en outre que la commission des finances n’ait pas été saisie pour avis sur un projet de loi qui crée une société anonyme par actions, avec à la clé l’annonce d’une augmentation de capital de 2, 7 milliards d’euros, dont 1, 2 milliard d’euros seraient apportés par l’État et 1, 5 milliard d’euros par la Caisse des dépôts et consignations.

Nous nous interrogeons, par ailleurs, sur la provenance des fonds mobilisés par l’État, à l’heure où les contraintes qui pèsent sur son budget, d’un côté, et les charges de la dette, de l’autre, laissent peu de marges de manœuvre financières. Dans l’hypothèse où la Caisse des dépôts et consignations participerait à l’augmentation de capital pour répondre aux besoins de financement de La Poste et assurer ainsi son développement, rien ne l’empêcherait de revendre sa part d’actions à tout moment. Il est d’ailleurs perceptible, au travers de ses dernières interventions, que la CDC semble cantonner son rôle à l’apport d’une aide transitoire à certaines entreprises en difficulté et/ou présentant un intérêt stratégique pour la France ; en aucun cas elle n’a vocation à demeurer perpétuellement au capital de l’entreprise à laquelle elle apporte des moyens de financement.

La commission des finances aurait encore eu son mot à dire sur la mise en place du fonds de compensation alimenté par l’ensemble des opérateurs postaux, au prorata de leur chiffre d’affaires. Son avis nous paraît tout aussi nécessaire sur l’amendement portant l’abattement, au titre de la taxe professionnelle, de 85 % à 100 % pour financer le fonds de péréquation, puisqu’il est prévu que la différence soit compensée, à due concurrence, par la dotation globale de fonctionnement.

De plus, de sérieux doutes existent quant à la possibilité de préserver le caractère public du capital de l’entreprise en cas d’abandon du statut d’établissement public. En effet, nous savons bien quelle évolution ont connue les grandes entreprises publiques ayant été soumises au même processus de transformation en SA : à terme, cela a abouti à leur privatisation. La fusion intervenue entre GDF et Suez illustre bien ce mouvement de privatisation. Le Gouvernement se défend de vouloir suivre cet exemple, arguant que la comparaison avec GDF n’est pas pertinente ; nous dirons simplement, à ce stade, que nous ne sommes pas dupes. J’ajouterai, en guise de démonstration supplémentaire, que de nombreux États ayant privatisé leur poste ont vu dans cette opération le moyen de récupérer des fonds destinés à alléger leur dette. Est-ce que ce projet de loi concernant La Poste le permettrait aussi à terme ? La question est posée.

M. le rapporteur affirme que La Poste sera certes une entreprise, mais « pas comme les autres », avec un capital à 100 % public. Or, face au jeu de la concurrence et des marchés, difficilement contrôlable, comment garantir effectivement que cette entreprise demeurera « pas comme les autres » ?

Par ailleurs, quelle sera la rémunération des nouveaux actionnaires ? L’État, en tant qu’actionnaire, percevra-t-il des dividendes, alors qu’il ne compense pas intégralement, comme il le devrait, le surcoût lié aux missions de service public ? Comment utilisera-t-il ces nouveaux dividendes ponctionnés sur la société anonyme ? Quel sera le retour sur investissement exigé par la Caisse des dépôts et consignations ? Toutes ces questions mériteraient un débat.

Dans ce contexte, comment La Poste, devenue société anonyme, pourra-t-elle garantir le financement de ses quatre missions de service public, à savoir le service universel postal, la présence postale, le transport et la distribution de la presse, l’accessibilité bancaire ? Aucune garantie n’est en effet donnée quant à un financement suffisant et pérenne de La Poste.

Si le projet de loi maintient La Poste comme le prestataire du service universel pour une durée de quinze ans, on relève l’absence de moyens nouveaux pour assurer cette mission. La nouvelle société anonyme risque de se voir contrainte à réduire ses coûts, ce qui se traduira probablement par des suppressions d’emplois, ainsi que par un recul de la présence postale et de la distribution du courrier. Les exemples ne manquent pas à cet égard en Europe, où nombre de services publics voient leurs missions se réduire du fait d’un environnement concurrentiel.

Pour toutes ces raisons, nous demandons le renvoi de ce projet de loi à la commission des affaires sociales et à la commission des finances, compétentes pour donner leur avis sur les dispositions que je viens de rappeler.

Enfin, compte tenu de l’incidence que peut avoir le changement du statut sur l’aptitude de La Poste à exercer ses quatre missions de service public, nous considérons que le projet de loi devrait être renvoyé en commission spéciale, s’il devait advenir que les commission des affaires sociales et des finances ne soient pas saisies, comme nous le demandons.

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