En octobre, lors d’une audition au Sénat, votre directeur de cabinet disait : « Le CMN est promis à un bel avenir »…
Il n’y a pas que lui. Ce projet de budget prévoit, RGPP exige, 93 nouvelles suppressions d’emploi pour le ministère de la culture sur le seul budget de l’État. Les établissements sous tutelle de la culture constituant, à peu de chose près, l’autre moitié des emplois du ministère, il faut s’attendre, RGPP oblige, au doublement des suppressions de poste, soit environ 200.
En outre, s’applique à de gros opérateurs la diminution de 5 % des crédits de fonctionnement voulue par le Gouvernement, charge à eux de compenser par des ressources propres ou privées. Ce n’est pas l’autorisation accordée au ministère de limiter cette mesure à sept établissements, comme le musée du Louvre et le Centre Pompidou, qui nous console.
Enfin, vous savez les difficultés financières et budgétaires de l’archéologie préventive et de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP. Les personnels permanents et précaires les subissent. Le Gouvernement va-t-il réduire les effectifs au détriment des missions de l’archéologie préventive ?
Finalement, le rapport Jouyet-Lévy, amalgamant l’homme et le capital, est devenu, sans le dire, la feuille de route gouvernementale. Elle joue aussi pour le spectacle vivant.
Voilà le problème du carburant de la culture. Mais il serait incompréhensible d’ignorer le contenu de la politique culturelle, en tout cas l’aspect que vous mettez en avant : « La culture pour chacun. » Vous avez dit au Forum d’Avignon, les 5 et 6 novembre derniers : « La réflexion sur la culture pour chacun n’est pas une substitution d’une politique culturelle de l’offre et de la création par une politique de la demande et de la diffusion. » C’est en contradiction avec la lettre de mission de M. Sarkozy du 1er août 2007 à la ministre de la culture et de la communication, recommandant de « veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public ». Qui assure cette offre en épousant la demande ? Essentiellement les industries culturelles, dominantes au Forum d’Avignon, véritable « Davos de la culture ».
Les artistes sont plus nuancés. Aragon : « J’imagine mal un écrivain qui écrirait pour ne pas être lu. » Stefan Hermlin, écrivain de République démocratique allemande, racontait que, dans Le Manifeste du parti communiste, il avait toute sa vie substitué inconsciemment à l’expression : « Le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous » son contraire : « Le libre développement de tous est la condition du libre développement de chacun ». Jean Vilar, en juin 1970, évoquant des murmures dans la société : « Débrouille-toi, compagnon. On t’a appris à lire, à écrire et même à calculer. […] Pars, compagnon. Va, chemineau, chemine. À toi de jouer », concluait : « Non, il ne se débrouillera pas. »
« La culture pour chacun » réclame des conditions : un respect et la liberté des artistes, des moyens garantis sur la durée, une éducation artistique à l’école – où en est-on ? –, des conditions de travail ne rendant plus malade, alors que tel est le cas aujourd’hui du travail qui mutile les travailleurs, du précaire au cadre, au point de leur interdire un partage dans le temps dit « libre » avec les créations artistiques.
Le 8 décembre, la fille d’Albert Camus présentera un livre intitulé Albert Camus, solitaire et solidaire. Ces mots approchent finement « la culture pour chacun ». Mais n’oubliez pas que vous n’aurez pas d’alliés dans les industries culturelles, qui pratiquent le fatalisme technologique torsadé avec le fatalisme du marché, le tout béni par « l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le coffre-fort » qui cherchent avant tout le client.
Si les Rencontres européennes des artistes de l’Adami à Cabourg, les 25 et 26 novembre, furent un régal de « disputes » pluralistes, notamment sur l’Europe et la création, pas d’uniformité, les contradictions vécues à plein, sans clivage matriçant le débat, il reste qu’une question a hanté l’auditoire : pourquoi se multiplient en Europe les accords bilatéraux pilotés par le commerce quand une partie du sujet est la culture ? Que fait le commissaire français Michel Barnier ? Le commerce « fait rage, il touche à tout [...] ; ne pouvant créer, il décrète [...] ce qui sonne, ce qui brille », dirait Hugo.
On vit en France un semblable envahissement du commerce, qui vous a fait réagir. Hachette Livre signe un accord partiel avec Google. Le Monde écrit qu’il a créé « stupeurs et tremblements », tant il y a crainte que le travail conjoint, et si discret, des éditeurs et du ministère – où sont les auteurs ? – ne s’en trouve ébréché. Et pourtant, c’est l’incontournable numérisation et son « petit grand » emprunt, si silencieux, dont il s’agit. Mais saluons la signature hier d’une convention de partenariat sur la numérisation entre le Sénat et la Bibliothèque nationale de France.