Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 2 décembre 2010 à 22h45
Loi de finances pour 2011 — Conseil et contrôle de l'état

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’axerai mon propos sur le programme Conseil d’État et autres juridictions administratives.

Nous ne méconnaissons pas l’augmentation de 4, 8 %, la création de 90 emplois d’ici à 2013 et l’ouverture, pour la région parisienne, du tribunal administratif de Montreuil-sous-Bois. Néanmoins, cela sera-t-il suffisant pour faire face à une charge de travail croissante qui met en cause les objectifs assignés aux juridictions administratives, à savoir la « maîtrise des délais de jugement » et le « maintien de la qualité des décisions » ?

Reconnaissons que les magistrats ont fait des efforts très importants qui ont permis de réduire le nombre des affaires en attente et les délais de jugement. C’est un progrès fragile. Comme le confirme notre rapporteur pour avis, le contentieux administratif ne cesse de croître : il s’est en effet accru de 51, 8 % pour les tribunaux et de 65, 92 % pour les cours d’appel entre 2000 et 2009. Or, les effectifs sont bien loin de connaître une telle progression.

Ce progrès est également fragile en raison de l’augmentation très importante de certains contentieux, conséquence de réformes faites sans évaluation ou sans les réponses pour y faire face. Il faut s’attendre à un accroissement du contentieux du revenu de solidarité active, avec la mise en œuvre de la réforme. Mais de combien ? On ne sait pas. Le contentieux relatif à la mise en œuvre du droit au logement opposable continue sa progression : 35, 8 % en 2009. Comment en serait-il autrement avec une politique faite pour les promoteurs privés au détriment de logements accessibles à tous ?

Des disparités géographiques pèsent sur certaines juridictions. Selon le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, 60 % des recours émanent d’Île-de-France. Le tribunal administratif de Paris a enregistré, à lui seul, 54, 8 % du total des requêtes déposées au plan national. Il est vrai qu’à Paris se loger devient un luxe.

Avec votre politique migratoire, toujours plus répressive, avec la multiplication des refus de séjour et des éloignements, le contentieux relatif aux étrangers s’est déjà accru de 75 % de 2006 à 2008. Il représente 57 % des entrées à Montreuil-sous-Bois, 51 % à Cergy-Pontoise, 41 % à Paris ; contre 24 % en moyenne nationale.

Dans votre dixième projet de réforme de l’immigration, vous voulez retarder l’intervention du juge des libertés et de la détention de quarante-huit heures à cinq jours. Cela contribuera, à n’en pas douter, à augmenter le nombre de saisines du juge administratif.

Outre mon opposition de fond à cette disposition, je conteste la possibilité des juridictions administratives, compte tenu de leurs effectifs actuels, de faire face à ce surcroît de travail, si ce n’est au prix d’une dégradation de leurs missions.

En outre, le contentieux des étrangers se complexifiera davantage. Comme le souligne la présidente du Syndicat de la juridiction administrative, Mme Elsa Costa, le juge administratif pourra être amené à statuer sur six décisions simultanément. J’ajoute que le tribunal administratif de Nantes est désormais compétent en premier et dernier ressort pour le contentieux des affaires de refus de visa d’entrée en France.

Dans ces conditions, il faudrait selon Mme Costa soixante-dix postes de magistrats administratifs supplémentaires pour faire face à cette seule réforme. Autrement dit, les créations de poste prévues d’ici à 2013 seront immédiatement absorbées par celle-ci.

Quant à la délocalisation des salles d’audience en matière de droit des étrangers, elle est peut-être dans l’intérêt du ministère de l’intérieur, mais elle coûtera cher en frais de déplacements – parfois sur de longues distances – et en temps de travail des magistrats, greffiers et interprètes.

La Cour nationale du droit d’asile connaît une situation « critique » qui exige, selon notre rapporteur pour avis, un nouveau renforcement de ses moyens. Il est évident que la politique de la France en la matière n’est pas si humaine que veut nous en convaincre le Gouvernement. La CNDA a d’ailleurs assuré en 2009 plus de 50 % des protections, annulant autant de décisions de l’OFPRA, l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides.

Par ailleurs, il faut aussi s’attendre à une montée en puissance des procédures liées à la mise en œuvre de la question prioritaire de constitutionnalité, pour le Conseil d’État et pour les tribunaux administratifs.

Je ne pense pas qu’une suppression de l’intervention du rapporteur public dans certains cas – pour l’heure, une telle disposition a heureusement été rejetée par la commission des lois – soit une solution, pas plus que l’intervention croissante du juge unique, à laquelle je suis également opposée, car ce moyen de réduction des délais de jugement ne me paraît pas souhaitable pour les personnes concernées.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce budget, malgré l’augmentation de 4, 8 %.

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