Permettez-moi tout d’abord, madame la ministre, de vous présenter mes félicitations pour votre promotion, qui vous mettra mieux à même de peser sur les arbitrages budgétaires. Même si un rattachement au Premier ministre eût été selon nous plus pertinent, c’est déjà un élément très intéressant pour l’outre-mer.
Au début de l’année 2009, nos compatriotes d’outre-mer défilaient nombreux dans les rues, criant leur mécontentement et, parfois, leur désespoir. Par la puissance et la durée de leur mobilisation, ils ont réussi à forcer l’écoute du Gouvernement.
Au bout du compte, après plusieurs semaines de manifestations menées dans un climat parfois quasiment insurrectionnel, des protocoles d’accord ont pu être signés, et le Gouvernement a pris un certain nombre de décisions. Il a ainsi avancé le débat sur la LODEOM, que nous avons votée dans l’urgence. Cependant, je constate, madame la ministre, que nous attendons toujours la mise en œuvre des mesures présentées comme des leviers du développement, donc de l’emploi, pour l’outre-mer, telles la défiscalisation du logement social ou les zones franches d’activité. Qu’en est-t-il, par ailleurs, de l’aide au fret et du fonds exceptionnel d’investissement, également censés encourager le développement endogène de l’outre-mer ?
Le Gouvernement a en outre mis en place un complément de revenu, le RSTA, pour faire suite aux accords sur les salaires signés avec les collectifs. Vous savez, madame la ministre, quelles inquiétudes suscitait l’article 11 de ce projet de loi de finances pour 2010, qui prévoyait d’imputer le RSTA sur le montant de la prime pour l’emploi. Je suis heureux que votre décision de supprimer une telle disposition ait permis de satisfaire, à la toute dernière minute, l’amendement que j’avais déposé en ce sens, lequel est donc devenu sans objet.
Par ailleurs, plusieurs rapports ont été rédigés sur les questions ayant déclenché les conflits sociaux, à savoir la vie chère et le prix des carburants. De son côté, le Sénat, alerté par les événements, a adopté, dans un esprit constructif et consensuel, un rapport sur la situation des départements d’outre-mer, qui dresse un état des lieux sans concession et formule 100 propositions fortes et concrètes.
Dans le même temps, pour répondre à l’ampleur de la crise, le Président de la République a lancé les états généraux de l’outre-mer.
Aussi est né en outre-mer, après le tumulte et l’investissement de tant d’hommes et de femmes, un immense sentiment d’espoir. Pourtant, les difficultés n’ont fait que s’aggraver, car l’arrêt durant plusieurs semaines de toute une économie déjà fragile n’est pas sans conséquences : mon collègue Claude Lise en a déjà fait largement état.
C’est dire avec quelle attention nous attendions tous les décisions du premier conseil interministériel de l’outre-mer et avec quel intérêt nous avons étudié le projet de budget de la mission « Outre-mer » pour 2010, qui devait, selon nous, traduire les aspects financiers de ces décisions ! Quels ne sont pas aujourd’hui, madame la ministre, notre étonnement et notre déception devant le caractère pusillanime de votre projet de budget !
En vérité, le premier CIOM a présenté un nombre important de mesures, qui recoupent largement, pour les départements d’outre-mer, les 100 propositions réunies dans le rapport d’information sénatorial. Cependant, les deux recueils de conclusions du conseil interministériel de l’outre-mer ressemblent davantage à des synthèses programmatiques qu’à des relevés de décisions. Ils ne prévoient que rarement les modalités de mise en œuvre des mesures préconisées et ne comportent que de très rares évaluations des coûts et aucun échéancier.
Quant aux crédits de la mission que nous sommes invités à examiner aujourd’hui, ils ne traduisent en aucune façon les engagements annoncés et ne permettront pas de répondre à la gravité de la crise économique et sociale des collectivités d’outre-mer.
On aurait pu penser, madame la ministre, qu’il en serait autrement, puisque le budget de la mission « Outre-mer » augmente de 6, 4 % en autorisations d’engagement et de 6, 3 % en crédits de paiement, et continue à afficher pour priorités, comme l’an dernier, l’emploi et le logement. Mais l’essentiel de cette hausse, à concurrence de 80 %, réservé à l’action « abaissement du coût du travail », qui est destinée à compenser des exonérations de charges patronales, ne permet de couvrir que les impayés de l’État à l’égard des organismes de sécurité sociale. Cette dotation budgétaire ne suffira pas à enrayer l’accroissement de la dette de l’État, qui devrait s’élever, à la fin de l’année 2009, à 609 millions d’euros pour les quatre départements d’outre-mer.
Les crédits consacrés au SMA, le service militaire adapté, augmentent également, mais insuffisamment pour répondre à l’engagement présidentiel de doubler, en trois ans, le nombre de jeunes bénéficiant de ce dispositif, même en tenant compte de la réduction de la durée du service. Le passage de celle-ci de douze mois à huit mois, voire à six mois, pour des raisons budgétaires, risque de se traduire par une dégradation de la qualité de la formation.
Nous resterons donc vigilants quant à l’évolution de ce dispositif, qui demeure la mesure phare du Gouvernement pour favoriser l’emploi des jeunes outre-mer, d’autant que la situation de l’emploi s’est de nouveau fortement dégradée au cours du deuxième trimestre de 2009 et que les crédits en faveur des contrats aidés, qui sont maintenant intégrés à la mission « Travail et emploi », subissent cette année encore une baisse importante, de l’ordre de 748 millions d’euros.
Quant aux crédits consacrés à l’autre priorité de cette mission, à savoir le logement social, ils sont pour le moins décevants !
Les documents budgétaires font apparaître, à première vue, une augmentation de 2 % des crédits de paiement de la ligne budgétaire unique. Mais, en réalité, les crédits de la LBU stricto sensu diminuent de 1, 7 million d’euros. Les sommes inscrites sont de toute façon insuffisantes pour faire face aux besoins considérables de nos collectivités. Bien sûr, ils sont abondés cette année pour permettre de réorienter la défiscalisation locative vers le logement social, mais j’émets de fortes réserves sur l’efficacité de ce dispositif très complexe issu de la LODEOM, car non seulement les textes réglementaires permettant son application ne sont toujours pas publiés, mais ce système, véritable usine à gaz, engendre une forte évaporation fiscale. Je note également que les organismes de logement social, déjà en difficulté, devront absorber, en 2010, la dette contractée par l’État, qui s’élèvera alors à 17 millions d’euros. Dans ces conditions, madame la ministre, comment comptez-vous relancer le logement social outre-mer et favoriser la résorption de l’habitat insalubre ?
À l’instar de nombreux observateurs, je suis convaincu que, comme le montre une étude de la Cour des comptes, seule une augmentation importante des crédits de la LBU permettrait de répondre à moindre coût aux enjeux du logement social. La LBU doit rester le socle de l’aide publique au logement social outre-mer.
Des crédits supplémentaires en faveur du logement social, de 20 millions d’euros en autorisations d’engagement et de 6 millions d’euros en crédits de paiement, ont bien été votés à l’Assemblée nationale en seconde délibération. Même s’il faut s’en féliciter, ces sommes sont encore très insuffisantes pour compenser l’énorme retard de nos collectivités en la matière.
Avant de conclure, je souhaite vous interroger, madame la ministre, sur un sujet très préoccupant, qui, selon moi, présente un caractère d’extrême urgence.
La crise économique et sociale que connaissent nos territoires ne pourra être résolue si on laisse de côté ce vecteur essentiel de croissance pour l’outre-mer que sont les collectivités locales. Celles-ci traversent actuellement une crise sans précédent. Les communes d’outre-mer, en particulier, sont très affectées par l’effondrement de leurs recettes d’octroi de mer après les conflits sociaux de ce début d’année. Elles ne pourront supporter, en l’état, les nouvelles restructurations budgétaires prévues dans ce projet de loi de finances. Leurs marges de manœuvre sont souvent inexistantes. Aujourd’hui, la commande publique est en panne et les plans de relance sont hypothéqués, faute de financements propres. Cette situation appelle des réponses urgentes et d’exception. Pourtant, je n’ai entendu aucune annonce particulière, que ce soit de la part du CIOM ou d’une autre instance, susceptible de leur apporter un peu d’oxygène.
Circonstance aggravante, M. le ministre chargé du budget a repoussé avant-hier un amendement que j’avais déposé, qui reprenait la proposition n° 20 du rapport d’information sénatorial et visait à assainir la situation des communes d’outre-mer, en permettant l’annulation de leurs dettes sociales tout en encadrant le dispositif.
Madame la ministre, vous qui connaissez très bien l’outre-mer, estimez-vous normal que l’on puisse verser aux communes d’outre-mer le même montant de DGF qu’aux communes équivalentes de l’Hexagone, sans tenir compte des réalités spécifiques de l’outre-mer ? Pourquoi ne pas augmenter la DGF des communes d’outre-mer d’une part d’« ultrapériphéricité » ? Ce ne serait que justice !
Sur ce point comme sur les autres, je veux croire, madame la ministre, que vous ne resterez pas sourde à nos appels ! À l’instar de toutes les populations d’outre-mer, nous avons beaucoup attendu de ce projet de budget, mais, telle sœur Anne, nous n’avons rien vu venir…