Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Réunion du 26 novembre 2009 à 15h00
Loi de finances pour 2010 — Outre-mer

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, de ce projet de budget pour 2010 de la mission « Outre-mer », on a déjà dit tout et son contraire.

Ceux qui comptent voter pour saluent l’avancée que constitue la création du RSTA et excusent la faiblesse de certaines lignes budgétaires par les effets de la crise économique mondiale, la fragilité des finances de l’État ou le caractère récent des décisions du conseil interministériel de l’outre-mer.

Ceux qui comptent voter contre dénoncent un projet de budget en trompe-l’œil, où les prétendues augmentations servent à combler des retards de paiement de l’État à la sécurité sociale – les compensations d’exonérations de charges sociales augmentent de 12 % – et aux bailleurs sociaux, sans pour autant annuler la dette.

En fait, s’agissant des vrais enjeux, comme la formation, le logement ou la coopération régionale en matière économique, les efforts ne sont toujours pas à la mesure des défis à relever dans les outre-mer.

Comment comprendre, par exemple, que les crédits de l’action « insertion économique et coopération régionales » du programme 123 diminuent de 3, 5 %, alors que le Président de la République, lors du conseil interministériel de l’outre-mer, a présenté l’insertion régionale comme un axe de travail privilégié ? Les dix mesures annoncées dans ce chapitre du CIOM seraient-elles purement symboliques ?

En réalité, que l’on vote pour ou contre ce projet de budget, force est de constater l’écart frappant entre l’acuité des besoins, hautement médiatisés en 2009, et la vigueur des promesses faites au plus haut niveau, d’une part, et, finalement, la faiblesse des traductions opérationnelles, notamment budgétaires, de celles-ci, d’autre part.

Je crois, pour ma part, qu’il faut sortir, pour l’analyse de ce projet de budget, de la simple dialectique du verre à moitié vide et du verre à moitié plein. Nous n’en sommes plus là ; nous n’en sommes même plus à devoir souligner, selon le point de vue adopté, ce que l’outre-mer coûte à la République en transferts sociaux et en dépenses fiscales ou ce qu’il lui rapporte en termes de biodiversité, de richesses marines ou de captation de carbone. Ces guerres de positionnement relèvent désormais d’un autre temps.

En effet, depuis le vote du budget de 2009, il y a eu cette crise sociale sans précédent, qui a culminé en Guadeloupe et à la Martinique en janvier 2009, après avoir commencé en Guyane et à la Réunion en novembre 2008, et qui a levé le voile sur des réalités scandaleuses, parfois inconcevables, pourtant désormais indiscutables.

Ensuite, il y a eu le vote de la LODEOM, en mai 2009, prétendument destinée à apporter les mesures de sortie de crise, car il fallait agir en « pompier », disait le ministre de l’époque en engageant les sénateurs à travailler jour et nuit dans l’urgence… Or on attend toujours les décrets d’application les plus importants de cette loi d’urgence !

Enfin, il y a eu le rapport de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer, en juillet 2009, puis les états généraux de l’outre-mer, en octobre 2009, sans oublier le conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009, qui devait apporter les mesures de fond, en vue d’un renouvellement radical dans la manière d’aborder le développement des outre-mer.

Et alors ? Comme diraient les enfants chez nous : « Tout ça pour ça ! »

Le premier acte fort du Gouvernement, après tous ces bouleversements, le dernier de l’année 2009, le plus symbolique de sa politique, le plus significatif de ses priorités, se résume à ajouter quelques milliers d’euros par-ci et à en retrancher quelques autres par-là.

Le Gouvernement a même voulu reprendre d’une main ce qu’il avait donné de l’autre en imputant le RSTA sur la prime pour l’emploi. Il a fallu toute la pugnacité des parlementaires pour que, finalement, il recule au Sénat, de peur, sans doute, de nouveaux soulèvements dans les DOM.

Dans de telles conditions, quelle est la crédibilité des engagements annoncés par le Gouvernement ? C’est là, pour moi, la question fondamentale que soulève ce projet de budget : celle de la sincérité des démarches engagées – et elles ont été nombreuses en 2009 – pour que de « nouvelles relations » s’établissent entre l’État et les territoires ultramarins, pour qu’une « nouvelle page s’ouvre » dans notre histoire commune – je ne fais que citer le Président de la République et ses ministres. Or, finalement, on découvre un document budgétaire qui conserve l’esprit du précédent, celui de l’ancien régime, pourrait-on dire, eu égard à la quasi-révolution annoncée…

Ce projet de budget met également en question la fiabilité des promesses du Gouvernement sur un problème aussi sensible que celui de la continuité territoriale. Si le discours d’un ministère varie à chaque changement de personne, comment, finalement, se fier à la parole de quiconque ?

Enfin, ce projet de budget amène à s’interroger sur l’opérationnalité des décisions annoncées après un an de travaux, d’inspections, de missions, d’études, de rapports, de débats, sans que les moyens nécessaires, ne serait-ce que pour l’ingénierie « préparatoire » à l’exécution de ces décisions, aient été budgétisés, alors que tout le monde sait à quel point le Gouvernement, quand il le veut vraiment, peut prendre des mesures budgétaires d’anticipation.

Par exemple, madame la ministre, les postes des trois « commissaires au développement endogène », celui du conseiller du pôle outre-mer à Bruxelles ou encore ceux des cinq hauts fonctionnaires chargés de la cohésion sociale et de la jeunesse sont-ils créés et budgétisés ? Ces personnes auront-elles les moyens de travailler ? Ou bien s’agira-t-il de déshabiller Pierre pour habiller Paul, dans le cadre d’un système à moyens constants ?

Par ailleurs, comment seront financés les nouveaux dispositifs annoncés par le CIOM pour lutter contre l’illettrisme, créer les internats d’excellence, développer les dispositifs Erasmus régionaux ou encore l’assistance technique aux collectivités locales ?

S’agissant plus particulièrement de la Guyane, où sont les moyens dégagés pour la cour d’appel de plein exercice de Cayenne et le tribunal de grande instance de Saint-Laurent-du-Maroni, seules mesures acceptables afin d’instaurer une justice équitable dans cette région et pour la mise en œuvre desquelles les avocats se sont à nouveau mis en grève ?

Par une cruelle ironie de l’actualité, la Guyane est paralysée depuis ce matin par la fermeture de deux ponts, points névralgiques de communication entre l’île de Cayenne et le reste de la région : c’est une façon de rappeler des retards infrastructurels encore patents. Comment gérer ces urgences ?

La réponse à toutes ces questions ne se trouve pas dans ce projet de budget, déjà obsolète si l’on considère les objectifs affichés par le Président de la République, à moins de convenir que tout ne démarrera qu’en 2011, voire en 2012, voire après les prochaines crises sociales…

Madame la ministre, mes chers collègues, ma critique n’est pas une négation de tout le chemin parcouru en 2009 en termes de prise de conscience et de changement d’approche des problèmes des outre-mer. Sans conteste, on peut dire que 2009 aura été l’année d’un regard neuf sur les outre-mer. Mais sans traduction concrète, sans moyens effectifs, sans renouvellement des organisations, les bases du changement seront vite sapées, tant les problèmes restent aigus sur le terrain.

Un système de santé au standard des pays développés, des logements décents pour tous, des résultats scolaires normalisés, un taux d’activité et d’emploi équivalent à celui de la métropole, des économies locales compétitives grâce aux atouts propres des territoires, des moyens supplémentaires pour les collectivités locales afin de leur permettre de continuer à stimuler les investissements : voilà l’horizon de nos luttes, voilà les défis pour l’outre-mer ! Quand allons-nous vraiment commencer à les relever ?

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