Intervention de René Beaumont

Réunion du 25 janvier 2007 à 15h00
Installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation — Adoption d'une proposition de loi

Photo de René BeaumontRené Beaumont, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, selon les données statistiques dont nous disposons désormais - « enfin », serais-je d'ailleurs tenté de dire -, les incendies domestiques ont fait, en 2005, 6 264 victimes, dont 295 morts et 728 blessés graves.

Si ces chiffres sont, bien sûr, moins élevés que les estimations précédentes, ils n'en sont pas moins intolérables.

Ils sont intolérables en raison des souffrances qu'ils représentent pour les victimes et leurs familles : ainsi, en une seule année, plus de 1 000 personnes auront perdu la vie dans des conditions terribles ou garderont, même après des mois ou des années de traitements très lourds et très pénibles, des séquelles irréparables.

Ils sont également intolérables parce qu'ils pourraient sans doute être très sensiblement réduits par de simples mesures de prévention, comme l'attestent les statistiques émanant de pays du nord de l'Europe déjà équipés de détecteurs de fumée depuis quelques années.

C'est pourquoi, même si la commission des affaires économiques a eu quelques doutes quant au caractère législatif de ce texte, nous souhaitons une adoption rapide de la proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation qui nous est aujourd'hui soumise, après avoir été adoptée par l'Assemblée nationale sur l'initiative de deux députés, MM. Damien Meslot et Pierre Morange.

Ce texte nous paraît en effet pouvoir utilement compléter la réglementation nationale relative à la protection des habitations contre l'incendie.

Deux conditions nous semblent toutefois indispensables pour que le texte atteigne toute son efficacité : d'une part, son application doit être précédée d'un important effort d'information et de formation du public et, d'autre part, des ajustements du dispositif nous paraissent souhaitables.

Ce sont ces points que je voudrais évoquer brièvement.

Déjà obligatoire dans les établissements recevant du public, l'installation de détecteurs de fumée dans les logements complétera la réglementation relative à la sécurité incendie des habitations.

Cette réglementation a essentiellement pour objet de limiter les conséquences des incendies, en garantissant la résistance au feu de la structure des immeubles et des matériaux de construction.

Elle est toutefois relativement récente : elle existe depuis 1967 pour les immeubles de grande hauteur, mais, pour tous les autres immeubles d'habitation, il a fallu attendre 1988 pour qu'entrent en vigueur des normes suffisamment exigeantes.

De ce fait, comme l'a souligné M. le rapporteur de l'Assemblée nationale, ce sont aujourd'hui environ 80 % des logements qui ne sont pas conformes à ces normes.

Je n'oublie pas, bien sûr, et je les cite dans mon rapport écrit, les importantes mesures qui ont été prises pendant l'actuelle législature pour lutter contre l'habitat indigne ou dégradé et qui contribueront aussi à améliorer la sécurité incendie ; M. le ministre a rappelé quelques-unes de ces mesures.

Mais tout cela ne suffit pas : même si les bâtiments sont conformes aux normes, un incendie éclatant dans un logement peut aujourd'hui tuer en quelques minutes, essentiellement en raison des fumées toxiques dégagées par la combustion de matériaux présents dans l'ameublement ou les équipements domestiques.

Ce constat et le bilan positif des expériences étrangères démontrent l'utilité des détecteurs de fumée pour limiter les conséquences humaines des incendies domestiques et, en particulier, de ceux qui se déclarent la nuit : ce sont les moins fréquents - ils représentent 30 % des sinistres seulement -, mais ce sont de loin les plus meurtriers, puisqu'ils entraînent 70 % des décès.

Permettez-moi d'ajouter, monsieur le ministre, que cette utilité serait renforcée si, comme au Royaume-uni, on imposait parallèlement dans l'industrie de l'ameublement l'utilisation de matériaux plus résistants au feu.

Une réflexion est en cours à ce sujet, nous a-t-on dit. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous le confirmer et nous annoncer son prochain aboutissement.

J'aborderai ensuite le préalable de l'information et de l'éducation du public. Vous aviez vous-même insisté sur ce point, et à juste titre, monsieur le ministre, lors du débat à l'Assemblée nationale.

Comme le soulignait le rapport Pelletier-Doutreligne, l'installation obligatoire de détecteurs de fumée serait « vaine, sinon imprudente », sans une sensibilisation préalable du public.

Souvenons-nous, en effet, des dix-sept victimes de l'incendie de l'Hay-les-Roses, en septembre 2005 : à la différence des drames survenus à Paris peu de temps auparavant, celui-ci était imputable non pas à la vétusté ou à la suroccupation des locaux sinistrés, mais bien à une réaction de panique, causée par le déclenchement d'une alarme.

Certes, des campagnes d'information sur la prévention des incendies et la conduite à tenir en cas de sinistre sont régulièrement organisées et le travail de proximité accompli par les services d'incendie et de secours, les associations ou les organismes d'HLM est souvent remarquable.

Cependant, tout cela n'est pas à la hauteur du problème. Vous le savez bien, monsieur le ministre, puisque vous aviez annoncé l'an dernier des actions d'une toute autre ampleur. De telles actions sont en effet indispensables, en ce domaine comme en d'autres, si l'on veut vraiment faire évoluer les comportements. Nous attendons donc dès à présent leur mise en place, et nous serons attentifs à ce qu'il en soit rendu compte au Parlement, comme le prévoit l'un de nos amendements.

J'en viens aux modifications que nous proposerons au Sénat pour améliorer l'efficacité du dispositif.

En premier lieu, il ne nous paraît pas concevable que la loi impose un modèle unique de détecteur, le détecteur avertisseur autonome de fumée, ou DAAF, appareil fonctionnant sur pile et comportant une alarme sonore intégrée.

Ces appareils ont certes l'avantage de pouvoir être installés rapidement, sans travaux importants et pour un coût relativement modique. Ils peuvent donc représenter une solution minimale pour l'équipement rapide des logements existants.

Nous nous étonnons toutefois que le texte mentionne expressément et exclusivement ces appareils, au détriment de dispositifs plus fiables et plus performants : détecteurs fonctionnant sur secteur et batterie, réseau de détecteurs associés à une alarme sonore qui, elle-même, peut être reliée à l'extérieur du logement à un poste de sécurité, s'il en existe un dans l'immeuble, ou à un réseau de télésurveillance.

Il serait aussi choquant que dangereux que la loi impose un choix technique plutôt qu'un autre, surtout si ce choix ne répond pas aux besoins de certaines catégories de personnes : pensons en particulier aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux très jeunes enfants.

En second lieu, nous estimons nécessaire, dans tous les cas, que le propriétaire du logement soit responsable de l'installation et de l'entretien des détecteurs de fumée. Nous rappellerons que, depuis l'adoption de la loi portant engagement national pour le logement, un accord collectif local pourra permettre d'inclure cet entretien dans les charges récupérables.

Je sais, monsieur le ministre, que ce choix ne vous agrée pas totalement. Mais, comme nos voisins belges, il nous semble s'imposer, pour des raisons à la fois de logique et d'efficacité.

Tout d'abord, l'installation de détecteurs de fumée concourt à la conservation et à la valorisation du patrimoine, ainsi qu'à la sécurité des occupants. La charge doit donc en incomber aux propriétaires, comme celle de la sécurité des portes de garages, des piscines ou des ascenseurs.

Ensuite, il sera possible de prévoir des aménagements permettant l'installation de détecteurs sur secteur ou leur mise en réseau lors de la construction des logements ou à l'occasion de leur rénovation, et de mettre à profit les compétences et les moyens techniques dont disposent les bailleurs institutionnels ou les copropriétés pour organiser, dans de bonnes conditions, l'installation rapide et l'entretien des appareils. Les données sur l'application de la loi pourront également être plus facilement collectées.

Permettez-moi à ce propos, monsieur le ministre, d'aborder une question que le texte ne fait qu'effleurer, mais qui est au centre du sujet : le coût de la mesure qui nous est proposée.

Même si ce coût reste très modique au regard des drames qu'il permettra d'éviter, il ne sera pas tout à fait négligeable, d'autant que l'effort de construction doit actuellement être intensifié, et l'accès de tous au logement facilité.

Devant l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, vous aviez évoqué la possibilité de mener des concertations tendant à faire participer les assureurs au financement de l'installation de détecteurs de fumée dans les logements. Cette idée nous paraît excellente. Nous souhaiterions savoir si vous avez déjà engagé cette concertation, ou si vous comptez toujours le faire.

En conclusion, sous réserve des amendements qu'elle propose, la commission des affaires économiques demande au Sénat d'adopter la proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.

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