Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous discutons cet après-midi d'une proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.
Je sais que l'auteur de ce texte est élu d'un département dans lequel une ville a été endeuillée par un grave incendie voilà quelque temps. Je comprends son émotion, mais j'estime qu'il revient aux parlementaires de proposer des textes applicables et efficaces.
Nous débattons d'un sujet important. La prévention des risques domestiques est une nécessité dans notre pays. Il faut rappeler qu'en 2005 près de 800 personnes sont décédées à la suite d'un incendie dans leur habitation. Chacun de nous a en mémoire les incendies tragiques qui ont endeuillé Paris en 2005 ou Belfort au mois de mars 1999 et qui ont provoqué des dizaines de victimes.
Il est donc naturel que nos concitoyens attendent des pouvoirs publics et de leurs élus des solutions concrètes pour essayer de réduire les risques d'incendie. Mais nous considérons que la réponse apportée par la proposition de loi que nous examinons, et qui a été récemment adoptée par l'Assemblée nationale, n'atteindra pas l'objectif qui lui est assigné, à savoir réduire le nombre de décès.
L'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation n'est qu'un outil technique, qui ne règle pas le problème primordial de la prévention. Il s'agit d'une réponse non pas globale, mais parcellaire.
En effet, pour être efficace, l'obligation d'installer des détecteurs de fumée doit être précédée d'une campagne massive de sensibilisation à la lutte contre l'incendie ; c'est ainsi que le Royaume-Uni et les États-Unis ont réglé la question. Au Royaume-Uni, les pouvoirs publics ont consacré un budget colossal à la sensibilisation des populations et ils ont obtenu des résultats significatifs. Il en est de même aux États-Unis.
En France, une autre méthode est retenue, qui, selon les experts, peut s'avérer inutile, voire dangereuse. La Fédération nationale des sapeurs pompiers de France, qui regroupe plus de 250 000 adhérents - elle n'a été auditionnée ni par l'Assemblée nationale ni par le Sénat - estime que la proposition de loi, tout en ayant le mérite d'exister, peut être dangereuse. En effet, face au feu, les populations ne savent pas comment réagir.
Dans un établissement recevant du public, les consignes de prévention sont claires et les personnes sont évacuées. Des exercices d'évacuation sont régulièrement organisés.
En ce qui concerne les lieux d'habitation, la situation n'est pas la même. Si un feu se déclare dans les parties communes, les occupants doivent absolument rester dans leur logement. En revanche, si un incendie se produit dans un appartement, les habitants doivent quitter au plus vite leur logement. Les statistiques démontrent que 80 % des incendies se déclarent dans les immeubles d'habitation. Or les victimes sont essentiellement recensées dans les parties communes. Force est de constater que la proposition de loi ne traite que des parties privatives, en délaissant les parties communes, qui semblent être les plus dangereuses.
La Fédération nationale des sapeurs pompiers de France considère que, pour lutter efficacement contre les incendies meurtriers, le législateur doit adopter une réglementation nationale relative à la lutte contre les incendies y compris pour les bâtiments existants. En effet, ces dernières années, 90 % des feux qui ont fait des victimes ont eu lieu dans des bâtiments construits avant 1986.
En outre, pour évaluer l'efficacité des détecteurs de fumée, je vous invite à revenir sur les expériences conduites en France. On s'aperçoit que le bilan de la mise en place de détecteurs de fumée est pour le moins mitigé. Entre 2001 et 2004, deux organismes d'HLM importants ont décidé d'installer des détecteurs dans un ensemble de plus de 2 000 logements. Si l'un de ces organismes a maintenu ce dispositif, l'autre a jugé préférable de le suspendre.
En effet, à de nombreuses reprises, ces détecteurs ont été déclenchés de façon intempestive lors de la préparation de repas ou par la vapeur d'eau émanant de la salle de bain. Exaspérés par ces déclenchements intempestifs, les occupants sont souvent tentés de retirer la pile des détecteurs, les rendant ainsi parfaitement inopérants.
Eu égard au contexte de notre pays où la prévention des incendies dans les lieux d'habitation n'en est qu'à ses balbutiements, ces détecteurs peuvent avoir un effet pervers. En effet, ils nuisent à la prévention en déresponsabilisant les habitants. Confiants dans leur système de protection, ceux-ci pourraient avoir des comportements à risques.
Pour prévenir de tels comportements, seules la formation et la pédagogie seront efficaces. Je tiens, en la matière, à saluer la déclaration récente de M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement dans laquelle il s'engage à lancer une campagne pluriannuelle de sensibilisation aux risques incendie.
Cependant, les effets de cette campagne ne donneront des résultats que dans les prochaines années, alors que si cette proposition de loi est adoptée, elle est susceptible d'être appliquée dans les prochains mois.
Dans un rapport remis à M. le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, MM. Doutreligne et Pelletier avaient formulé plusieurs recommandations. Ils souhaitaient ne pas rendre obligatoire l'installation des détecteurs de fumée, inciter les occupants, par une réduction d'impôt, à installer progressivement de tels équipements, attendre que la moitié des ménages soient équipés avant d'imposer cette installation et, surtout, la rendre gratuite pour les personnes vulnérables. Je regrette que la proposition de loi n'ait pas pris en compte ces recommandations et qu'aucun amendement n'ait été déposé en ce sens.
Enfin, je terminerai mon propos en insistant sur le coût de ce dispositif. Je souhaite, au préalable, rappeler à notre assemblée que, selon l'INSEE, la part du revenu consacrée au logement par les Français s'élève aujourd'hui à 25 %. Face à la hausse du prix de l'immobilier et des loyers, il n'est pas possible d'alourdir encore plus la charge du logement dans le budget des ménages.
L'estimation du coût généré par une installation obligatoire de détecteurs de fumée est extrêmement floue ; elle peut varier d'un logement à l'autre. Les dépenses d'entretien doivent également être prises en compte. Par ailleurs, ces dispositifs ont une durée de vie très limitée.
Selon l'Union sociale pour l'habitat, pour un appartement de type F4, il faut au moins deux détecteurs. Cela finit par coûter cher. De plus, il semble qu'une seule entreprise en France distribue les détecteurs certifiés NF. Se pose alors la question du monopole rendu obligatoire par la loi.
Par ailleurs, le groupe socialiste considère qu'il est anormal de faire supporter les frais de cette installation uniquement par les locataires ou les petits propriétaires.
Cette proposition de loi révèle une approche simpliste et segmentée du problème. Même si elle est populaire, elle n'apporte ni réponse probante ni aucune garantie de résultat. Pour ces raisons, le groupe socialiste ne votera pas ce texte.