Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se réjouit que vienne aujourd'hui en séance publique la discussion de la proposition de loi déposée par le sénateur Michel Thiollière, tendant à introduire dans le code général des collectivités territoriales des dispositions nouvelles permettant de compléter et de préciser notre droit de la coopération décentralisée.
L'initiative de M. Thiollière trouve son origine dans la réaction immédiate et généreuse des élus locaux qui a suivi le drame du tsunami. Ce fait mérite d'être souligné. Il ne s'agit pas, en effet, de procéder à un simple aménagement technique destiné à améliorer une rédaction juridique. Le législateur entend, de manière plus fondamentale, répondre à l'aspiration de nos concitoyens qui souhaitent plus de solidarité et de partage, surtout lorsque des populations étrangères sont touchées par une catastrophe naturelle.
La mobilisation des collectivités territoriales à la suite du tsunami a été massive et ordonnée : elle s'est, en effet, organisée en étroite relation avec le délégué interministériel nommé par le Gouvernement, les services centraux du ministère des affaires étrangères et nos postes diplomatiques à l'étranger. Ce sont ainsi plus de 17 millions d'euros qui ont été versés, et des perspectives sérieuses de participation à la reconstruction des régions sinistrées se sont ouvertes.
C'est dans ce contexte que je souhaite aujourd'hui rendre hommage à l'initiative de M. Thiollière, ainsi qu'à votre important travail, monsieur le rapporteur de la commission des lois, visant à sécuriser ce type d'actions dans la perspective de la survenance de nouvelles catastrophes, toujours possible, hélas !
La commission des lois du Sénat, dans sa sagesse, a pensé que cette proposition pouvait également permettre de répondre à d'autres préoccupations de sécurité juridique, devenues plus actuelles au cours des derniers mois, et tournant autour de la notion d'intérêt local, dont les contours méritent en effet d'être précisés en matière de coopération décentralisée.
Pour sa part, l'administration fait déjà preuve d'une conception ouverte de cette notion, en estimant qu'il y a présomption d'intérêt local dans les différents domaines de compétence d'attribution des collectivités territoriales. Dès lors, l'intérêt local ne doit être explicitement démontré que lorsqu'il est fait application de la clause de compétence générale. Tel est le sens de la circulaire conjointe du ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire et du ministre des affaires étrangères, du 20 mai 2001.
Pour autant, des décisions ont été récemment rendues dans des sens contradictoires par des tribunaux administratifs - ceux de Cergy-Pontoise et de Poitiers - et par la cour administrative d'appel de Douai. Si cette dernière a retenu une argumentation très proche de celle que développe l'administration, les deux autres juridictions, dans des contextes assez différents, n'ont pas admis qu'il y avait un intérêt direct pour les populations à mener des actions en faveur du développement. Cette interprétation, qui n'a pas encore été confirmée en appel, pourrait néanmoins, dans la pratique, aboutir à priver d'effet utile l'intention du législateur de 1992, telle qu'elle résulte des débats parlementaires qui ont conduit à l'adoption des articles 131 et suivants de la loi d'orientation sur l'administration territoriale de la République.
Or, dans cette affaire, le Gouvernement se sent solidaire des collectivités territoriales. La coopération décentralisée française est présente dans 115 pays et apporte une contribution substantielle - sans doute la deuxième du monde après celle du Japon - à la cause du développement local et territorial. Cette coopération décentralisée opère sur la base de relations entre élus et populations, dans le respect des engagements internationaux de la France et avec un souci croissant de qualité, d'évaluation et de responsabilité.
Je tiens d'ailleurs à souligner devant la représentation nationale l'excellente collaboration qui existe, dans les faits, entre les collectivités territoriales et le ministère des affaires étrangères pour mener à bien leurs actions de coopération décentralisée.
Il ne faudrait pas que des hésitations juridiques conduisent à affaiblir cette présence qui contribue au rayonnement de la France. Le Gouvernement ne s'y trompe pas en cofinançant de nombreuses actions de coopération décentralisée dans le cadre des crédits ouverts à cet effet chaque année par le Parlement. Il y aurait d'ailleurs paradoxe à subventionner des programmes dont la légalité serait discutable !
Cette question avait déjà été abordée dans le cadre des travaux de la Commission nationale de la coopération décentralisée. L'année dernière, lorsque le Gouvernement a décidé de saisir le Conseil d'Etat de l'ensemble des questions touchant la coopération décentralisée et transfrontalière, le ministère des affaires étrangères n'a pas manqué de proposer au groupe de travail présidé par M. Philippe Marchand, dès le début de ses réflexions, d'orienter ses travaux vers cette question. Cela a conduit à des propositions de rédaction dont votre commission des lois a eu connaissance.
Sur cette base, elle a pensé de manière unanime qu'il était opportun d'adjoindre des dispositions de portée plus générale au dispositif proposé par M. Thiollière, notamment pour en élargir le champ aux régions et aux départements.
Au total, le Gouvernement se réjouit de cette position, à laquelle il adhère complètement. Il a en effet la volonté de faire en sorte que la coopération décentralisée puisse se poursuivre et se développer selon les bonnes pratiques actuelles, mais dans un cadre juridique plus sécurisé. C'est bien ce que vise le texte de votre commission des lois, qui prévoit que les collectivités territoriales et leurs groupements « peuvent, dans le respect des engagements internationaux de la France, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères pour mener des actions de coopération ou d'aide au développement ». Cette construction de phrase avec la conjonction « ou » montre bien - et c'est la conception du Gouvernement - qu'il peut s'agir aussi bien de coopération « Nord-Nord » que de coopération « Nord-Sud », et que les opérations peuvent porter avec une égale légitimité sur des échanges de bonnes pratiques et sur de l'aide à proprement parler. Celles-ci acquièrent donc « un intérêt public par détermination de la loi » auquel on ne pourra plus, sauf à méconnaître la volonté expresse du législateur, opposer une prétendue absence d'intérêt local immédiat et direct.
Le texte de la commission des lois conserve l'idée selon laquelle, sauf urgence, la coopération décentralisée est une construction conventionnelle, tout en prenant soin, avec réalisme, de permettre la signature avec une « autorité locale étrangère », qui peut être « moins » ou « plus » qu'une collectivité au sens de la législation française : parfois un état fédéré, parfois, au contraire, une structure en devenir, encore administrée sous le seul mode de la déconcentration. C'était d'ailleurs déjà l'interprétation de l'administration.
Cela ne signifie pas pour autant que la loi interdirait à l'avenir la poursuite d'actions extérieures non conventionnelles dans les domaines, par exemple, de la promotion économique ou culturelle, du tourisme, de la francophonie, ou encore pour le fonctionnement de réseaux internationaux. Ces actions devront continuer à s'appuyer sur des considérations d'intérêt local que le juge, s'il en est saisi, peut toujours vérifier.
Par ailleurs, c'est avec raison que votre commission des lois a profité de ce passage au Parlement pour élargir le champ de l'article L. 1115-1 du code général des collectivités territoriales, en complétant les références aux conditions d'entrée en vigueur des conventions de coopération décentralisée : désormais, les articles du code vaudront aussi bien pour les départements et les régions que pour les communes et leurs groupements.
Enfin, dans la rédaction proposée par votre commission des lois, le deuxième alinéa nouveau conserve l'esprit du texte de M. Thiollière quant à la souplesse des moyens d'intervention des collectivités locales : celles-ci ont le choix de « mettre en oeuvre » ou de « financer des actions à caractère humanitaire », en ayant recours, dans ce dernier cas, à des organisations non gouvernementales ou au fonds de concours institué auprès de la délégation à l'action humanitaire du ministère des affaires étrangères. C'est d'ailleurs ce qui a été fait, et bien fait, lors du tsunami.
Votre commission des lois a envisagé un moment de profiter de cette procédure législative pour assouplir, sous certaines conditions tenant aux intérêts nationaux, la règle figurant à l'article L. 1115-5 du code général des collectivités territoriales et prohibant les conventions avec des Etats étrangers. Il s'agit effectivement d'ajustements qui pourraient s'avérer nécessaires, en particulier compte tenu du projet de groupement européen de coopération territoriale, le GECT, en cours de négociation dans les instances européennes, ou encore en raison de la mise en application du protocole additionnel n° 2 à la convention de Madrid.
En étroite liaison avec le ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, nous approfondissons donc les études à ce propos, en nous appuyant sur les analyses du Conseil d'Etat. Cela ne doit pas pour autant retarder la clarification de notre droit en matière de coopération décentralisée et d'action humanitaire des collectivités locales. Votre rapporteur et la commission des lois unanime ont donc eu la sagesse de ne pas maintenir les dispositions qu'ils envisageaient d'inclure dans la présente proposition de loi, mais vous pouvez être assurés que les conclusions auxquelles ils sont parvenus permettront d'éclairer les travaux législatifs futurs sur ce sujet complexe et porteur d'avenir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment de conclure, je souhaite vous dire combien le Gouvernement se réjouit de voir le Sénat examiner aujourd'hui ce texte et je tiens à remercier non seulement son promoteur, M. Thiollière, mais aussi le président de la commission des lois et son rapporteur.